En racontant le parcours d’une jeune femme qui arrive enceinte dans le camp de concentration de Ravensbrück, Valentine Goby propose un point de vue inédit de l’horreur des camps de la mort.
La première force de ce roman est que l’auteure parvient à mettre des mots et des images sur l’indicible. Son écriture sans concessions relate avec justesse la destruction lente du corps et de l’esprit de la jeune Mila. Les appels nocturnes, le froid, la maladie, les odeurs, les infections, la promiscuité, la fatigue, la faim, les chambres à gaz, les fours, la peur permanente, la mort omniprésente, les punitions, les coups, les humiliations, les abus, le désespoir, les travaux forcés… et finalement la mort, le tout raconté au présent, comme si l’on y était… c’est horrible à lire, inimaginable à vivre…
« Le camp est une régression vers le rien, le néant, tout est à réapprendre, tout est à oublier. »
Et pourtant, au plus profond des ténèbres, Valentine Goby, parvient à introduire une lueur d’espoir… la Kinderzimmer. Même si l’espérance de vie ne dépasse pas trois mois dans cette chambre des nourrissons, il ne faut pas grand-chose pour raviver la flamme de l’espoir. En cachant sa grossesse, Mila a l’impression de résister, d’avoir quelque chose en elle que les nazis ne peuvent pas lui prendre. Alors, elle décide de s’accrocher à son secret et à cette vie qui pourrait voir le jour contre toute logique de ce camp voué à la mort. Un bout de charbon que l’on vole pour réchauffer un bébé, du lait que l’on offre pour le nourrir, de l’amour que l’on donne à un bébé qui n’est pas le sien, un rayon de soleil qui fait du bien, une rencontre qui aide à tenir, de l’amitié qui nait, du partage, de la solidarité, un peu de chaleur humaine… l’espoir ne tient qu’à d’infimes choses. Cet angle d’approche totalement différent et ces infimes traces d’humanité qui émergent de tant de noirceur sont l’autre gros point fort de ce roman !
« Contre toute attente, ce qui arrive est une échappatoire, le ventre un lieu que personne, ni autorité, ni institution, ni parti ne peut conquérir, coloniser, s’accaparer tant que Mila garde son secret. Elle y est seule, libre, sans comptes à rendre, on peut bien prendre sa gamelle, voler sa robe, la battre au sang, l’épuiser au travail, on peut la tuer d’une balle dans la nuque ou l’asphyxier au gaz dans un camp annexe, cet espace lui appartient sans partage jusqu’à l’accouchement, elle les a eus, les Boches ; plus qu’un enfant, c’est bien ça qu’elle possède : une zone inviolable, malgré eux. Et comme disait son père, qu’ils crèvent ces salauds. »
Un roman impossible à aimer, mais une lecture indispensable…