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Uberisation de l’économie : « Le B2B est mort, vive le C2B ? »

Publié le 29 juillet 2015 par Pnordey @latelier

Guy Mamou-Mani, président du Syntec Numérique et Bruno Teboul, directeur innovation de Keyrus analysent le phénomène d'uberisation de l'économie, et en pointent les effets.

Uber Pop, AirBnb : les consommateurs prennent le pouvoir. Le B2B et le B2C perdent-ils de leur force face à cette économie de l’ombre ? Jean de Chambure et François Sorel, qui ont mené cette interview lors d’un enregistrement de L’Atelier numérique, interroge un passage d’un business d’abord B2B-B2C vers du C2B. À savoir que c’est le consommateur qui passe « entrepreneur ». Les géants d’Internet surveillent de près le phénomène. Amazon songe à une uberisation de ses livraisons. Guy Mamou-Mani, président du Syntec Numérique et Bruno Teboul, directeur scientifique, R&D et innovation de Keyrus et co-auteur de « Uberisation = économie déchirée ? », décryptent cette tendance de fond.

Le B2B est mort ! Vive le C2B ?

Entretien.

Guy Mamou-Mani, vous avez publié récemment une tribune enjoignant les entreprises à ne pas s’effrayer de l’uberisation de l’économie. Où placez-vous le curseur ?

Guy Mamou-Mani: La question n’est plus là. C'est inéluctable. Aujourd'hui, cette question de la transformation numérique des business models est notre quotidien. Et, ce que je regrette, c'est qu’un certain nombre d’entreprises en France ne l’aient pas encore compris. Je martèle assez souvent dans les conférences que toutes les entreprises sont concernées. Il y a toujours quelqu’un dans la salle qui affirme que ces clients ayant plus de 60 ans ou qu’étant dans le bâtiment, ça ne le regarde pas. Je leur réponds systématiquement qu’au moment même où ils posent la question, il y a sûrement dans un garage, un appartement, un endroit quelconque où un plus jeune est en train de concevoir l’Uber de leur métier. On ne doit même plus se poser la question s’il faut y aller ou pas. Il est nécessaire et impératif d’y aller. Soit vous résistez et vous serez balayé, soit vous l’intégrez et à ce moment-là, vous transformez ça comme une opportunité pour justement créer de nouveaux métiers, de nouveaux business models.

Mais changer les mentalités dans des sociétés en place des années, c'est compliqué, non ?

Guy Mamou-Mani : Oui, c’est le point essentiel. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n'est pas une question technologique. La technologie existe. Il n'y a pas de sujet. Le problème est la gestion du changement. C'est ainsi que le Kenya est, par exemple, le pays le plus avancé dans la banque mobile. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait ni banque, ni téléphone. Donc, pas à gérer un historique que nos entreprises, elles, doivent gérer. Et c'est pour ça qu’on parle de transformation. Et c'est difficile.

« Soit vous résistez et vous serez balayé, soit vous l’intégrez et à ce moment-là, vous transformez ça comme une opportunité pour justement créer de nouveaux métiers, de nouveaux business models. »

À quoi ressemble l’uberisation de la banque au Kenya, par exemple ?

Guy Mamou-Mani : Il n'y a aucune agence, aucun siège. Tout se passe en mobilité, ce qui génère une efficacité absolument incroyable. Le téléphone fixe n’était pas courant. Les Kenyans ont donc acquis tout de suite toutes les fonctions bancaires au travers de la mobilité. Mais sachez que nos banques dans notre pays sont en train de reconstruire tout cela. Simplement, ça prend du temps ; ils doivent gérer leurs collaborateurs, leurs agences, leurs clients.

Bruno Teboul, aviez-vous déjà anticipé ce mouvement ?

Bruno Teboul : L’uberisation est un phénomène réel qui est, selon moi, la poursuite d’un mouvement plus profond de digitalisation, de robotisation de l’économie toute entière. Et ce n'est pas négatif en soi. Mais ça entraîne des changements profonds, des mutations de l’économie, sur l’emploi, sur le contrat et le droit du travail, marketing aussi, profondes. On en voit le résultat avec ces start-up qui autrefois en périphérie, viennent balayer aujourd’hui des économies traditionnelles.

L’autre facteur – qu’il est important de rappeler, est que ces mêmes start-up ont très peu d’actifs immobiliers ou d’intensité capitalistique. Airbnb ne possède pas d’hôtel. Uber ne possède pas de taxi.

Toutes ces start-up ont des niveaux de financement stratosphériques. J’insiste sur ce point. C'est ce qui permet à ces entreprises de prendre un leadership très rapidement, sur un marché où effectivement personne ne les attendait, mais où les positions dominantes s’effondrent rapidement du fait des investissements R&D sur ces entreprises, qui peuvent s’élever à des dizaines, voire des centaines de millions de dollars. Ce qui n’est pas le cas du tout en France aujourd'hui.

Ces mêmes start-ups ont été baptisées licornes. Elles sont valorisées à plusieurs milliards de dollars. Uber, Airbnb et consorts sont des entreprises qui, aujourd'hui, sont beaucoup plus valorisées que certaines entreprises du CAC40. Il ne faut pas l’oublier.

On n’assiste pas là à une virtualisation de l’économie, ni une économie qui deviendrait complètement spéculative et folle. Il s’agit d’une économie réelle.

Et clairement, ça peut avoir des impacts négatifs sur l’emploi. Il faut s’y préparer. Le plus important est d’être capable de construire des écosystèmes innovants, de véritables clusters entre l’université, les labos – c'est important –, les start-up, les entreprises et les grands groupes. Tout ça n’existe que très peu en France, malheureusement.

Mais selon vous, en tant qu’acteur traditionnel, comment fait-on pour conduire ce changement et changer son business model ? Certaines démarches d’open innovation sont encore balbutiantes.

Bruno Teboul: Il y a une fonction cruciale dans l’innovation. C’est celle de veille stratégique, qui est capable d’identifier les start-ups, en phase d’amorçage sur lesquelles on devrait investir très tôt.

Maintenant, il faut qu’en France et surtout en Europe que nous additionnons nos forces pour investir encore plus. Je rappelle que pour Uber ont été levés 2,7 milliards de dollars

« On n’assiste pas là à une virtualisation de l’économie, ni une économie qui deviendrait complètement spéculative et folle. Il s’agit d’une économie réelle. » 

Guy Mamou-Mani, partagez-vous le point de vue de Bruno Teboul sur la question de l’emploi ?

Guy Mamou-Mani : Oui, sur le sujet, je suis un adepte de Bernard Stiegler qui affirme que « l’emploi est mort, vive le travail ! ». De nombreux économistes arguent que le numérique va tuer l’emploi. D’après moi, ils se trompent totalement dans la mesure où il reste sur une vision traditionnelle de l’emploi : l’industrie, le service, le contrat de travail. Or, ce qui va complètement exploser est la notion d’emploi.

L’expression « supprimer l’emploi » ne veut rien dire. Vous aurez des millions de formats possibles. Certaines personnes travailleront cinq heures par semaine, jusqu’à 80 ans, d’autres, 80 heures par semaine jusqu’à 40 ans, d’autres en auto-entrepreneuriat, etc. En ce moment, on débat du travail dominical. De quoi parle-t-on ? Nous entrons dans un monde où toutes ces notions vont disparaître. Je réfute toutes ces théories puisqu’elles sont basées sur des postulats faux.

Bruno Teboul: Pour autant, ce qui est réel aujourd'hui, c'est malheureusement les suppressions d’emplois peu qualifiés à l’horizon 2025-2030. Des études malheureusement assez sérieuses le prouvent. Aujourd'hui, on ne peut pas imaginer un seul instant que des gens, qui avaient des emplois très peu « qualifiés » puissent survivre à cette accélération de la convergence des sciences et des technologies.

Demain, l’intelligence artificielle réalisera peut-être ces tâches. Certes, les robots ne remplaceront pas les humains totalement.

Mais nous devons tout de même nous préparer, en volume d’emplois, à une réduction drastique des emplois peu qualifiés et peu diplômés, et à une montée, au contraire, vers une formation pluridisciplinaire et de plus en plus pointue de gens, qui auront à conduire ces mutations technologiques et scientifiques convergentes.

Edité par Lila Meghraoua


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