Selon Francis Pisani, une ville intelligente passe, certes, par les données, mais aussi et surtout par la participation de son citoyen.
On connaît et suit, entre autres choses, Francis Pisani pour son tour du monde de l’innovation, le projet Winch5. En moins d’un an, entre 2011 et 2012, il a parcouru une trentaine de villes. Naît alors la conviction que c’est justement la ville qui représentera l’enjeu technologique et social de demain. Avec Jean de Chambure aux manettes de l’interview diffusée dans L’Atelier numérique sur BFM Business, Francis Pisani revient sur deux visions de la smart city, une focalisée sur les données, l’autre par la participation citoyenne.
Entretien.
Francis Pisani, vous avez publié sur Netexplo un ouvrage autour de la notion de ville intelligente, « Voyage dans les villes intelligentes : entre datapolis et participolis ». Vous distinguez entre autres deux interprétations, une qui s’organise autour des données, l’autre autour du citoyen.
Francis Pisani : Oui, je pense qu’il y a un problème avec la smart city. A savoir que c’est un bon terme de marketing pour Cisco, IBM et d’autres.
Deuxièment, « smart » induit, apparemment, la collection et le traitement de données, le data mining. Et depuis l’affaire Snowden, ce n’est pas pour rassurer les gens qui pensent qu’ils vont être par là contrôlés.
L’intelligence, ça n’est quand même pas les données !
Ce qu’il ne faut pas oublier est que dans l’histoire des technologies et de l’information, il y a toujours une tension. Au départ, elle était entre l’intelligence artificielle – tout passe par l’ordinateur et l’intelligence augmentée, - l’ordinateur est un outil. A présent, avec l’Internet, elle est dans la centralisation organisée sur des sites tels que Facebook, Google, et dans l’architecture de participation créée, à savoir qu’on communique horizontalement, directement. On peut donc tous participer.
Et face à ça, on a une version dominante d’une ville intelligente grâce aux données qui permettraient de résoudre quantité de problèmes. Il existe une autre version de la ville intelligente, qu’il faudrait rééquilibrer et valoriser davantage : celle qui met en avant la participation des gens pour contribuer directement à améliorer leur rue, leur quartier, leur ville, leur région, leur territoire.
Vous citez beaucoup d’exemples passionnants. J’en prends un, celui de Séoul. Vous expliquez qu’il s’agit tout de même la troisième ville du monde avec une population de 25 millions d’habitants. Et Séoul adopterait une démarche de smart city depuis très longtemps, depuis 2003. Peut-être même avant que Bill Clinton et John Chambers n’ait l’idée.
Oui, c'est juste. L’idée est sortie d’un dîner entre Bill Clinton et John Chambers, président de Cisco, alors, une des plus grosses sociétés d’informatique d’infrastructure. Bill Clinton avait dit, alors, que Cisco devrait utiliser ses outils pour rendre nos villes meilleures. Et c’était en 2004. C’est ce qui a donné naissance au concept de smart city.
Sauf que les Coréens avaient déjà lancé la notion de Ubiquitous City, ces villes dans lesquelles il y a de l’informatique ubiquitaire partout. 12 villes ont été lancé sur ce principe, dont une entièrement nouvelle qui s’appelle Songdo. Et ils ont travaillé sur Séoul.
Ce qui est intéressant sur Séoul est qu’au lieu de développer ce qu’on croit aujourd’hui indispensable à tort, soit beaucoup de capteurs – ce qui coûte très cher – ils ont par exemple utilisé les données provenant des téléphones mobiles pour savoir quelles étaient les meilleures routes à prendre en autobus de nuit. En somme, à partir du destinataire et de la localisation des appels passés, on a une idée des distances et des chemins qu’on souhaite parcourir. On peut donc tracer des routes de bus de nuit qui correspondent au vrai besoin des gens, au lieu de routes qui émaneraient d’un planificateur dans son bureau.
Mais est-ce que ce n’est pas très asiatique, au fond ? En Asie, n’est-on pas moins frileux quant à l’utilisation des données que nous, Européens ?
Il y a deux choses. Premièrement, il est sûr que le mobile est utile plus massivement en Asie, et sur un débit plus important. Et deuxièmement, oui, on a particulièrement peur en France, plus que partout ailleurs dans le monde, de tout ce qui concerne l’utilisation de données. Mais je précise que la traçabilité d’appel est faite sur la base de métadonnées, sans avoir accès aux individus. Il s’agit uniquement des traces d’appel. On a besoin de connaître les deux points, mais on n’a pas besoin de connaître les noms des gens qui sont au bout des deux points. Même si oui, il faut être vigilant.
Ceci dit, je pense que si le recueil de données permet de résoudre des problèmes, comme celui que j’ai cité, il ne faut pas, pour autant, rester dans l’approche de la ville intelligente par les données.
Il faut partir des choses que les gens font eux-mêmes pour résoudre, par exemple, les problèmes du feu rouge dans leur rue. Il y a de nombreuses initiatives qui vont dans ce sens et qui sont extrêmement utiles et compensent. C’est pour ça que je pense que la notion de participation donnera une ville meilleure.
C'est la galactique positive. On serait donc prêt à éventuellement donner ses données si elles sont utiles ?
Donner ses données, si j’ose dire, n’est pas suffisant. Il faut donner ses idées. Et il ne faut pas seulement donner ses idées. Il faut participer au design, à la gestion de la ville. Le budget participatif, par exemple, c'est bien.
A Paris, le budget participatif, à savoir les projets d’investissement poussés par les habitants, est à hauteur de 5% du budget d’investissement de la ville.
Oui, sur toute la mandature. C'est a priori, aujourd'hui, le plus gros budget participatif dans le monde. Mais c'est la municipalité qui initie.
Il faudrait, - et c’est fondamental que les gens marquent leurs envies. Il existe des initiatives très intéressantes, dans Paris pour le design de quartier.
D’autres exemples ?
Par exemple, kappo.bike, vient du Chili et considère que les cyclistes sont les meilleurs explorateurs des villes. Ils ont une application dédiée et c’est vraiment utilisé. Ensuite, l’initiative a ajouté une couche de gamification, ce qui fait que les gens ont envie de participer plus. Et ça permet de recueillir beaucoup d’informations sur la ville.
Edité par Lila Meghraoua.