I. Pierre Jean Jouve comme mouvement littéraire
Aujourd’hui, comment rendre compte théoriquement de la situation paradoxale de Pierre Jean Jouve, poète et romancier, musicologue et traducteur, par deux fois engagé par réaction aux catastrophes européennes ? Comme le livre de Laure Himy-Piéri résulte d'un travail profond que je ne saurais résumer dans les quelques feuillets que devrait compter cette chronique, je choisis de le commenter à partir d'un angle d'attaque personnel. Je déclare volontiers : à lui tout seul — c’est cette apparente solitude qui nous empêche de le classer —, Pierre Jean Jouve est un mouvement littéraire, contemporain (et concurrent) du Surréalisme d'André Breton, du Grand Jeu auquel participait son ami Joseph Sima, et du Collège de Sociologie de Georges Bataille. À ma liste, Laure Himy-Piéri ajoute : « et de la littérature engagée de Sartre », et un de ses lecteurs (Philippe Raymond-Thimonga) commente : « Jouve est sur le même terrain qu’eux, mais il regarde dans une direction opposée ». Je peux valider ma position à partir de considérations pragmatiques en faisant constater qu'avec Sueur de sang (1933) et La Scène capitale (1935), Jouve a fait entrer la « pulsion de mort » dans l'écriture poétique et romanesque. Il tient ainsi compte de la « seconde topique » de Freud (exposée à partir de 1920 : Au-delà du principe de plaisir), alors que le mouvement littéraire concurrent en est resté à la « première topique », celle de La Science des rêves de 1899. Cette connaissance permet à Jouve de théoriser (« Avant-propos » de Sueur de Sang) ce qu'il mettra lui-même en écriture poétique en 1938 quand il montrera dans « Les Quatre Cavaliers » (de l'Apocalypse) dans Kyrie comment la pulsion de mort permet la fusion de son mythe privé, « Lisbé » (la femme aimée, morte stigmatisée) avec la Catastrophe européenne apocalyptique (l'invasion nazie). Pour cela, il lui suffit de deux vers :
Le troisième Cheval d'extermination
Est noir, il porte la robe et le fard.
Jouve à côté de Dada et du Surréalisme
Mais là, c'est une lecture subjective qui guide le lecteur : est-il sensible (ou insensible) à cette écriture poétique, à cette percussion entre l'individuel et le collectif portée par des figures mythiques et des images, toutes propres à l'auteur ? Il faudrait objectiver cette prise de position, et je crois que c'est ce qu'a réussi Laure Himy-Piéri grâce à son recours aux outils puissants (très techniques, parfois difficiles) de la stylistique. Elle aborde une première question : pourquoi certains écrivains sont-ils valorisés ? Pourquoi d'autres sont-ils marginalisés ? Elle décrit ainsi la scène littéraire comme un champ de bataille où il y a des envahisseurs et des repoussés. Et pourtant :
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épisode 2, mercredi 5 Août 2015