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[Critique] AMY

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] AMY

Titre original : Amy

Note:

★
★
★
★
☆

Origine : Royaume-Uni
Réalisateur : Asif Kapadia
Distribution : Amy Winehouse, Mitchell Winehouse, Tony Bennett, Blake Fielder-Civil, Mos Def, Salaam Remi, Mark Ronson, Juliette Ashby, Pete Doherty, Questlove…
Genre : Documentaire
Date de Sortie : 8 juillet 2015

Le Pitch :
Avec seulement deux albums à son actif, la chanteuse Amy Winehouse est devenue l’une des plus grandes icônes de la musique, avec sa voix jazzy unique qui a touché toute une génération. Mais alors que sa musique fit d’elle une star, c’est sa vie personnelle qui, tragiquement, a fait les gros titres…

La Critique :
Il y a une séquence très marquante vers la fin de l’éprouvant documentaire Amy, d’Asif Kapadia dont il est difficile de se débarrasser. Une scène qui se déroule à Belgrade, lors d’un énorme concert en extérieur. Amy Winehouse est en train de faire exactement ce qui était devenu tristement célèbre pour elle à l’époque, soit arriver sur scène complètement bourrée, avec ses cheveux en bataille et son mascara dégoulinant. Pourtant, les scènes précédentes viennent d’offrir les premières lueurs d’espoir dans ce sombre voyage : Amy a enregistré un duo avec son héros d’enfance Tony Bennett, parle de commencer un groupe de jazz avec Questlove, et s’est même remise à écrire de nouvelles chansons.

Mais les machinations d’une carrière de pop star étant ce qu’elles sont, Winehouse ne pouvait pas passer à autre chose sans repartir en tournée. Du moins, pas selon les conseils de son équipe de gestion – que le film critique sans ménagement pour ne pas avoir pas agit dans l’intérêt d’Amy (c’est le moins qu’on puisse dire). Pour eux, comme pour l’industrie artisanale de parasites et de complices involontaires qui surgit souvent autour des superstars, le seul moyen de faire progresser Amy c’était de la renvoyer à la tentation. Retour aux chansons douloureusement émotionnelles qu’elle avait écrites cinq ans auparavant sur le junkie toxique qu’était son ex-mari, Blake Fielder-Civil : Back To Black.

Amy-2

Dans une des images d’archives les plus époustouflantes qu’on aura sans doute occasion de voir autour d’un concert filmé, Amy Winehouse refuse de chanter. Le groupe fait péter les meilleurs tubes et ressort les vieux morceaux populaires, et Amy, qui est maintenant quelqu’un de périlleusement fragile, est carrément éclipsée par son nom écrit en panneaux néons, et ignore obstinément son public. Les musiciens continuent de jouer alors qu’elle se balade un peu sur scène, avant de s’asseoir sur une enceinte avec un petit sourire, comme pour dire une bonne fois pour toutes: « Non, non, non ». Au début, la foule rigole, mais très vite, tout le monde se retourne contre la chanteuse – criant, huant, balançant des ordures sur la scène. Un mois plus tard, Amy Winehouse sera morte.

Sur le coup, il y avait peut-être quelques infos qui circulaient autour du concert de Belgrade à ce moment-là, mais honnêtement il était souvent difficile de suivre la tornade de scandale et de sensation qui avait emporté tous les exploits artistiques impressionnants de Winehouse et transformé sa souffrance très réelle et très publique en cible facile pour tous les humoristes amateurs et leurs blagues à deux balles. L’objectif très noble (quoique pas entièrement réussi) du film de Kapadia est de remettre un visage humain sur toutes ces affreuses photos paparazzi. Amy veut qu’on refasse connaissance avec Amy.

Comme dans Senna, son documentaire précédent, Kapadia évite le format traditionnel des porte-parole et des têtes pensantes pour mieux étaler des interviews en voix-off sur un collage d’images d’archives. C’est un choix formel qui de temps en temps peut donner l’impression d’être une contrainte que le réalisateur s’est imposé à lui-même (parfois on aimerait bien voir qui parle). Mais au moins, il a la chance d’avoir une mine d’or de films amateurs à sa disposition, saisissant le dernier soupir de l’ère pré-smartphone où les gens filmaient des heures et des heures de n’importe quoi sur un caméscope, juste pour le fun. C’est comme ça qu’on rencontre Amy à ses débuts, cette jeune tchatcheuse de Camden avec une voix unique, saluée par le présentateur télé britannique Jonathan Ross pour être « si ordinaire ».

Winehouse ne paraissait pas exactement calme et sereine à la base, mais on ne peut pas s’empêcher d’imaginer ce qui aurait pu se passer si son père n’avait pas refusé de l’envoyer en cure de désintox. Dans les premiers jours de sa carrière par exemple, quand Frank, son premier album, n’était qu’un succès modeste et que la vie d’Amy avait encore un semblant de normalité. Avant l’explosion supernova de Back to Black, et avant que Fielder-Civil ne l’aide à faire connaissance avec les merveilles du crack et la cocaïne.

Ce qui se passe ensuite donnera une impression inévitable de déjà vu, même pour ceux qui ne suivent jamais la presse people. D’ailleurs, le truc tristement véridique (et surtout enrageant) avec Amy, c’est à quel point il serait possible de voir plus ou moins exactement le même film chaque année, sauf que le titre pourrait être Britney. Ou Whitney. Ou Lindsay. Et ainsi de suite.

Il faut le dire, le film rend furieux. Furieux contre la boucherie qu’est le monde moderne des superstars dans notre culture populaire. Furieux contre la façon dont on balance ces jeunes gens dans la machine pour nous amuser à n’en plus finir alors qu’ils se font massacrer. Jusqu’à ce qu’ils meurent, et tout à coup tout le monde est soudainement hyper triste sur les réseaux sociaux pendant un jour ou deux. On a tous eut l’occasion de faire notre petite moquerie à propos d’une célébrité de temps en temps (et l’auteur de ces lignes n’est pas une exception), mais la quantité profonde d’angoisse à l’écran dans Amy fait sérieusement réfléchir : quelle est cette pathologie tordue dans notre société qui nous pousse à bâtir ces jeunes icônes et ensuite savourer leur destruction ? Que cherche-t-on dans ces gens-là ?

Peut-être la scène la plus désagréable du film arrive lorsque le soi-disant comédien George Lopez est en train d’annoncer les nominations de Winehouse au Grammy Awards, plaisantant : « Quelqu’un peut aller la réveiller vers six heures cet après-midi pour la prévenir ? ». L’humoriste continue ensuite sa présentation formelle d’une des figures les honorées de l’industrie musicale en l’appelant une « alcoolo ». La diatribe de Lopez est encouragée par une série de rires obséquieux de la part des invités à la cérémonie (parmi eux, nul autre que Dave Grohl).

Mitch Winehouse a apparemment objecté contre l’image qui est donnée de lui dans ce film, protestant que ses commentaires les plus accablants ont été sortis de leur contexte. Mais difficile de savoir dans quel contexte on pourrait justifier sa réapparition épouvantable un peu plus tard dans le film, alors qu’Amy s’est cachée à Saint Lucia dans les Caraïbes, fuyant la presse et essayant de se remettre sur pied (ce qui pour elle, à ce stade, consiste à arrêter le crack et l’héroïne et juste passer ses journées à boire). Elle invite son père à descendre pour une réconciliation entre père et fille, donc bien sûr Mitch débarque avec son équipe personnelle de télé-réalité. Quelques minutes plus tard, leur dispute familiale sur la plage est interrompue par un couple américain en vacances qui demandent à Amy de poser avec eux pour une photo. « On est désolé » s’excusent faiblement les touristes. « On déteste vous imposer ça, mais… »

« Si vous le détestiez, vous ne le feriez pas » répond Amy. Puis elle sourit pour la caméra.

@ Daniel Rawnsley

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Crédits photos : Mars Distribution 


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