Ce qu’il y a de plus mystérieux pour moi, c’est moi. Car comment me connaîtrais-je ? Comment m’observerais-je ? Il semble que je me perde dès que je me cherche.
La conscience est comme une faculté d’observation, mais intérieure, qui projette une lumière sur ce qui se passe en moi. Ces battements précipités, ces mains tremblantes, je les sens, je les perçois, et j’y reconnais la peur, ou la colère. Cette vague de chaleur qui irradie, je la reconnais, c’est la joie. Je vis au plus proche de moi-même.
Mais ces états, ces sentiments, ils sont miens sans être moi. Puisque c’est moi qui en ai conscience et qui les éprouve, je m’en distingue donc. C’est le paradoxe de ce qu’on appelle conscience de soi, et qui est proprement la conscience d’états en soi. Pour m’observer il faudrait que je sois deux, comme si, étant à mon balcon, je voulais me voir passer dans la rue. Au mieux, j’y apercevrais mon double, qui certes ne serait pas moi, mais un autre.
Il est vrai que je peux m’observer en société, attentif à ma contenance et à mes gestes, étudiant le choix de mes propres mots. Mais c’est que je désire alors donner une certaine image de moi ; je me donne en représentation au lieu d’être moi-même. En cet autre sens je ne peux m’observer sans cesser d’être moi, naturellement. Après l’impossible dédoublement, l’irritante hypocrisie.
Où est donc ce moi qui s’échappe dès que je tente de le saisir ? Même ces pensées qui me traversent ne sont pas moi, puisque je les connais et les reconnais comme m’appartenant. Je puis observer le ciel, un insecte et n’importe quel objet ; mais le sujet que je suis est inobservable, inconnaissable à la façon des autres objets.
Renonçons à nous connaître comme nous connaissons le reste !