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[Critique] LE PARRAIN

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] LE PARRAIN

Titre original : The Godfather

Note:

★
★
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★
★

Origine : États-Unis
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Distribution : Marlon Brando, Al Pacino, James Caan, Robert Duvall, John Cazale, Diane Keaton, Talia Shire, Sterling Hayden…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 15 mars 1972

Le Pitch :
En 1945, Vito Corleone, le parrain de l’une des cinq familles de la mafia new-yorkaise, célèbre le mariage de sa fille, entouré de tous ses proches. Dans le même temps, Michael, son fils cadet, arrive tout juste de la guerre. Plus posé et loin des considérations inhérentes aux affaires de sa famille, ce dernier n’aspire qu’à une vie paisible aux côtés de Kay, sa fiancé. Cependant, alors que les choses s’enveniment entre les différents clans, notamment lorsque la question du trafic de drogue arrive sur la table, Michael s’engage dans un engrenage malsain afin de prêter main forte aux siens…

La Critique :
En voilà un gros morceau ! Aujourd’hui unanimement reconnu comme un monument du cinéma, Le Parrain n’eut pourtant, à l’époque de sa mise en chantier, rien d’évident. Surtout pour la Ligue italo-américaine des droits civils et pour quelques personnalités politiques, qui essayèrent d’empêcher la Paramount d’adapter à l’écran le roman de Mario Puzo, avant qu’un terrain d’entente ne fut trouvé. Avant Coppola, plusieurs réalisateurs furent également approchés, de Sergio Leone (qui préféra se pencher sur son propre projet de gangsters, qui deviendra Il était une fois en Amérique) à Otto Preminger (qui voulait Frank Sinatra dans le rôle du Parrain), en passant par Arthur Penn, Peter Yates ou Costa-Gavras. Ce n’est peut-être pas évident quand on voit le film, mais Le Parrain n’a rien eu, dans un premier temps, d’un projet personnel pour Francis Ford Coppola. Tout l’inverse d’Apocalypse Now en somme, qui faillit lui coûter la vie tant il se jeta corps et âme dans sa conception. Idem pour la distribution des rôles. Jack Nicholson, qui fut approché pour le rôle de Michael, refusa, en prétextant que le long-métrage gagnerait en crédibilité si le personnage était campé par un acteur aux origines italiennes. Robert Redford, Warren Beatty ou Dustin Hoffman furent aussi évoqués, avant que Al Pacino finisse par apposer son nom en bas du contrat, lui qui jusqu’alors était surtout populaire sur les planches, et pour avoir brillé dans Panique à Needle Park, de Jerry Schatzberg.
Si le projet s’était monté dans les années 2000, il y a fort à parier que les gros titres quant à sa mise en route chaotique se seraient multipliés, forçant à une certaine méfiance ceux qui accordent trop d’importance aux problématiques complexes liées à la bonne mise en route des films. Pourtant, à l’arrivée, Le Parrain s’imposa d’emblée comme un classique instantané, avec tout ce que cela sous-entend de récompenses diverses et variées.

The-godfather-Le-Parrain-Marlon-Brando

Au départ, les intentions de Coppola étaient très claires et consistaient à livrer le plus fidèlement possible une vision authentique d’un microcosme complexe. Bénéficiant d’un formidable matériau de base, à savoir le livre de Mario Puzo, le film n’est certes pas le premier à aborder le sujet de la Cosa Nostra, mais c’est probablement celui qui osa véritablement pénétrer en profondeur les rouages de cette organisation criminelle d’envergure. Coppola le savait, seul une certaine exactitude et un respect véritable pour son sujet pourraient lui permettre de donner naissance à une œuvre de référence. Du coup, chose importante, Le Parrain ne porte pas vraiment de jugement sur les actes de ses protagonistes. Il évolue en vase-clos, à l’intérieur des limites de la famille Corleone et de ses membres, à divers degrés engagés dans un processus de mort. Finalement, seul le personnage de Kay, interprété par Diane Keaton, offre un point de vue extérieur, quant aux actes perpétrés par les Corleone. Un point de vue bien présent mais plutôt étouffé, car destiné à prendre plus d’ampleur dans la mise en abîme que sera davantage le deuxième volet.
Le Parrain tourne alors principalement autour du Don (Marlon Brando), et de ses fils, Sonny (James Caan), Fredo (John Cazale) et Michael (Al Pacino). Les deux premiers étant depuis toujours impliqués dans les affaires de la famille et le troisième s’étant lui-même volontairement exilé loin de ce qu’il juge comme étant contraire à ses valeurs. Son arrivée, après son expérience sur le front de La Seconde Guerre mondiale, au début du long-métrage, coïncide avec le début de problèmes décisifs en ce qui concerne la suite des événements. Le récit prenant pied dans un période clé car voyant émerger de nouvelles sources de revenus potentielles pour les criminels, avec en tête de gondole la drogue. La vieille école est mise à rude épreuve et tandis que les choses changent, des questions se posent et entraînent irrémédiablement des conséquences. Le fait d’avoir choisi de débuter l’histoire des Corleone à ce moment-là, en dit long sur les intentions de Mario Puzo et ainsi, sur celles du film. Elle permirent également au Parrain de se démarquer des autres (et rares) œuvres traitant plus ou moins du même sujet sorties jusqu’alors et d’ouvrir la voie pour toute une génération de longs-métrages et de cinéastes (Martin Scorsese par exemple). Le Parrain brutalise ses personnages, les met en danger, fait trembler sur ses fondations une organisation amenée à revoir ses positions, et se garde bien de jeter un œil accusateur sur leurs actes, de toute façon suffisamment éloquent pour s’imposer d’eux-mêmes comme l’expression d’un désir de supériorité à la base même de la dynamique d’ensemble.

Généralement, lorsqu’on est invité à un mariage, c’est que nous sommes proches de ceux qui célèbrent leur amour. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le film débute par un mariage. Une fête sur laquelle il prend le temps de s’attarder. De cette façon, il nous prend par la main et nous présente les personnages les plus importants. En musique, il nous immerge dans un univers qui n’est pas le nôtre et nous fait sentir que nous sommes les bienvenus et que tout va bien se passer. C’est ensuite, lorsque les portes se referment (à double tour), que nous comprenons que non, rien ne va bien se passer et que quoi qu’il en soit, les Corleone sont aux commandes. Immersif, le processus permet aussi de faire connaissance avec les acteurs de cette valse funeste. De les apprécier, puis de les craindre. À bien des égards, Le Parrain a révolutionné la narration en emportant le spectateur dans un monde dénué de morale. Où tous ceux qui tentent de faire le bien sont brisés par une machine implacable. Authentique film d’anti-héros, précurseur d’un mouvement qui perdure encore aujourd’hui, Le Parrain reste dans le camp des méchants et ne cesse de nuancer son propos, en pénétrant la psyché de criminels plus complexes et torturés qu’il n’y paraît. Le procédé est non seulement ingénieux et original (pour l’époque), mais aussi brillamment exécuté.
Car si il n’a pas lui-même initié le projet, Coppola s’est appliqué à retranscrire sa vision, et celle de Mario Puzo. La pression était grande, tout comme les risques, mais à la fin, c’est lui qui a remporté la mise, en réussissant un véritable et remarquable exploit : traiter de personnages « mauvais », en nous les faisant aimer et en conférant à leurs actes une signification portée par les puissants accents d’une universalité indéniable. Non content de parler de la mafia (sans la citer explicitement), le film traite de l’Amérique d’après-guerre, du rôle de la corruption dans une société en voie de reconstruction, de la famille et de la place de chacun, des traditions et de leur poids, mais aussi de la perte de l’innocence. Michael Corleone s’impose en cela, dès ce premier volet, comme le pivot central de l’histoire, quand bien même Marlon Brando ou James Caan occupent beaucoup d’espace. Il est le « héros » car c’est lui qui abrite ces thématiques. Il revient de la guerre à reculons car il sait que ce qu’il a vécu en Europe n’est rien en comparaison de ce qu’il peut vivre chez lui. Combien de films voient un type revenir du front l’air plutôt serein ? Michael est l’un des seuls, car pour lui, l’éloignement était nécessaire et tant pis si cela impliquait de mettre sa vie en danger face aux nazis. Ce qui en dit long sur pas mal de choses finalement, et notamment sur le désir de Coppola de centrer l’attention sur la lente descente aux enfers d’un innocent que même la guerre n’avait pas réussi à corrompre, mais que la mafia va transformer en monstre.

Illuminé par le thème culte de Nino Rota (plus tard repris par de nombreux artistes dont Slash et le groupe Fantomas), Le Parrain impressionne au moment de sa sortie et n’a cessé depuis lors de fasciner les générations successives. Quand on cause de cinéma, il convient de l’avoir vu. Plusieurs fois si possible, pour en saisir toute la dimension et toute l’importance. Dans le fond, mais aussi sur la forme, vu qu’on a ici affaire à un authentique bijou de mise en scène. Francis Ford Coppola, épaulé par la sublime photographie de Gordon Willis (un fidèle de Woody Allen, avec lequel il travailla entre autres sur Manhattan), fait montre ici d’une acuité extraordinaire et d’une maîtrise totale de son art. Exploitant à merveille les pauses et autres silences d’un script où tous les mots comptent (et où les répliques cultes fusent), il ponctue son récit de points d’orgues fulgurants, où son talent de metteur en scène fait exploser une tension relativement incroyable. En soi, jamais Coppola ne met à côté. Quand il tire, il touche sa cible et fait de chaque étape importante de son long-métrage des séquences mémorables. On peut par exemple citer la scène du restaurant avec Michael, la fameuse scène de la tête de cheval ,ou encore la célèbre exécution au péage. Autant d’instants à la puissance décuplée par un découpage et une pertinence de tous les instants. Posé quand il faut l’être, Coppola sait aussi être percutant quand les circonstances l’exigent, et si son film apparaît comme un exemple de maîtrise parfaite, c’est justement grâce à la faculté de son réalisateur de ne jamais trop en faire. De tout le temps situer la limite à ne pas franchir. De savoir ralentir le tempo sans provoquer l’ennui, d’accompagner les descriptions de longs plans empreints d’une poésie crépusculaire, et de choquer le spectateur par des accès de violence saisissants.

Bien sûr, les acteurs ne sont pas étrangers à l’extraordinaire impact du Parrain. Souvent parodié et imité, Marlon Brando par exemple, est extraordinaire, en capturant ce petit quelque chose qui fait du Don, l’expression d’une menace permanente teintée d’une sorte de résignation carrément touchante. De quoi donner le change à un réalisateur qui cherche toujours la faille chez ses personnages, histoire de ne pas en faire des sur-hommes. James Caan par exemple, l’expression même d’une fureur jamais vraiment contenue, exprime aussi avec une acuité folle, les fêlures de Sonny Corleone. John Cazale pour sa part, fait de Fredo, la brebis galeuse de la famille, un maillon faible bouffé par un ressentiment dont on se doute qu’il ne sera pas sans suites. Diane Keaton, comme dit plus haut, incarne ce point de vue extérieur. En passe de voir son intégrité avalée par le monstre, elle se pose comme un point d’ancrage menacé en permanence. Il en est un peu de même de Talia Shire, la sœur de Francis Ford Coppola et future Adrian de Rocky Balboa, qui campe Connie, la seule femme de la fratrie Corleone. Un rôle crucial malgré sa présence réduite, qu’elle incarne à la perfection, avec toute la grandiloquence et la retenue dont elle sait faire preuve. Impossible également de ne pas saluer la classe et la prestance de Robert Duvall, alias Tom Hagen, impérial en permanence, à l’instar d’Al Pacino. Le grand Pacino, qui explose véritablement pour la première fois, dans un rôle qui semblait taillé sur mesure. Tout bonnement parfait, d’une puissance contenue à proprement parler spectaculaire, il laisse libre court à un charisme boosté par un talent hors-norme.

Quand Coppola nous prend par la main pour nous présenter à tour de rôle les Corleone, difficile de lui résister. Sa plongée en apnée dans la « famille » est éprouvant et passionnant. Les 2h55 passent à une vitesse folle, tant la construction du récit, les dialogues concis et ciselés, et la facilité apparente avec laquelle tout s’imbrique pour ne former qu’un tout d’une homogénéité rare, confèrent à cette œuvre phare une universalité qui lui est propre.
Si Le Parrain est régulièrement cité dans la liste des meilleurs films de l’histoire, ce n’est pas un hasard. Si on lui rend régulièrement hommage, au fil de clins d’œil par exemple (comme dans Les Soprano), non plus. Quand un long-métrage arrive à vous mettre au tapis autant de fois en si peu de temps, c’est qu’il possède quelque chose de spécial. Quelque chose qui échappe aux mots et qui s’apparente à des ressentis viscérals. Non seulement jubilatoire, Le Parrain sait aussi être effrayant et reste bien entendu passionnant en permanence, instaurant une succession de codes fondateurs sur lesquels vont s’appuyer de nombreux films après lui. L’ultime séquence d’une intensité dramatique inouïe, apparaît alors comme la conclusion parfaite d’un premier chapitre en forme d’inoxydable chef-d’œuvre. La porte se referme sur Michael Corleone, alors à l’aube de sa prise réelle de pouvoir. L’Amérique est gangrenée de l’intérieur par ceux qu’elle a considéré à tort comme inférieurs. Le ver est dans la (grosse) pomme et il a sacrement la dalle. La métaphore de Coppola a non seulement du sens, mais elle fait aussi redoutablement mal. C’était le cas en 1972 et c’est toujours le cas en 2015.

@ Gilles Rolland

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Crédits photos : UIP/Paramount Pictures/Park Circus


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