J'avais de Berlin une image très confuse. Aucun des films tournés dans cette ville ne m'avait suffisamment éclairée. Je ne parvenais pas à me faire une idée des proportions, de l'espace, ni surtout de l'atmosphère. guère pratique pour préparer un séjour dans la ville.
Je recommande deux ouvrages, dans un style très différent, un Grand week-end à Berlin, chez Hachette (régulièrement réédité et mis à jour) et puis Berlin sera peut être un jour de Christian Prigent, réédité cette année par La Ville Brûle. En effet, c'est la réédition revue, complétée et mise à jour d’un ouvrage publié en 1999 aux éditions Zulma.
Outre le fait que cet auteur analyse parfaitement la problématique de la ville, j'ai apprécié la manière qu'il a de mettre en lumière ce que cette ville a de si attachant. Son éditeur n'exagère aucunement en le présentant comme une virée psycho-lyrique, politique et poétique à travers les rues et l'histoire de Berlin, qui est l'un des plus beaux textes jamais écrits sur cette ville.
Cet ouvrage est un trompe-l'œil. Il se lit facilement et pourtant, peut être parce qu'il n'est pas illustré de photographies, l'effort d'imagination est surhumain. On se surprend à le refermer en ayant le sentiment de n'avoir pas progressé.
Cependant, une fois sur place et au fur et à mesure de mes balades au petit bonheur, je me suis surprise à ressentir une sorte de familiarité dans telle ou telle rue, comme si l'endroit ne m'était pas inconnu. A éprouver des émotions qui faisaient écho à la manière très particulière de Christian Prigent de nous embarquer dans cette ville qu'il connaît depuis plus de cinquante ans.On la regarde au filtre de l'histoire, cela ne sera jamais possible de faire autrement, mais aussi d'une sorte de berliner way of life qui aurait repris le dessus après les cataclysmes historiques, à l'instar des plantes qui ont réinvesti le Tiergarten dévasté par les bombardements.Malgré l'agitation des grues, le grondement incessant des travaux de reconstruction, les entrelacs de tuyaux roses et bleus qui scarifient les avenues, et un dynamisme économique flagrant, la ville semble exhumer une langueur contagieuse.On ne s'énerve pas à Berlin. On attend que le feu passe au vert pour traverser d'immenses avenues plutôt vides comparatives aux boulevards parisiens. On dit allo (bonjour) à tout le monde en souriant. On ne resquille pas dans le métro, moyennant quoi on est dispensé de portillons privateurs de liberté. On investit les trottoirs pour dîner en plein air. Et on fait la sieste dans les parcs sans subir de reproche. Berlin est une ville étonnante où personne ne s'étonne de rien. On peut y déambuler avec une boule de cristal en équilibre sur le sommet du crâne sans susciter d'attroupement.Hormis l'excitation des voyageurs qui se font immortaliser à Check Point Charlie à côté de militaires de pacotille avant de demander bêtement un tampon sur de faux passeports, le touriste est quasi invisible, comme dilué dans l'immensité berlinoise.C'est pratique parce qu'on s'y promène incognito, en ayant le sentiment d'être intégré, sans jamais se trouver dans une position de voyeur, en passant d'un quartier à l'autre comme on sauterait du coq à l'âne, entre les guinguettes généreuses en bière et en saucisses, l'anarchie des friches à ronces et à gravats, l'alternance des avenues solennelles et des sentiers forestiers, des buildings flambant neufs et des chicots de murs graffités, des squares à toboggans et des squats bariolés, des jardins partagés avec leurs abris en bois (p. 8).Ce texte flamboyant est à lire avant, pendant et après un séjour dans cette ville dont je vais tenter de restituer l'ambiance dans les prochains jours au fil de plusieurs articles.
Christian Prigent est poète, romancier et critique littéraire. Il a publié de nombreux ouvrages, principalement publiés aux éditions POL. Directeur de la revue de poésie TXT, il a édité les poètes dissidents de RDA avant la chute du Mur. Il a longtemps vécu à Berlin mais se partage aujourd'hui entre cette ville et la Bretagne.Berlin sera peut être un jour de Christian Prigent, La Ville Brûle, 2015