Les bâtiments qui ont surgi il y a presque trente ans (en 1987) sont encore flambant neuf. Et pour peu qu'on les aborde avec l'esprit ouvert la surprise est de taille, surtout en période de chaleur caniculaire lorsqu'on recherche la fraicheur.
L’ouverture des diaphragmes des 240 moucharabiehs métalliques de la façade sud est réajustée toutes les heures pour s’adapter à la luminosité extérieure, dompter la lumière et la filtrer à l’intérieur du bâtiment.Les éléments architecturaux sont issus de la tradition orientale et font l’objet d’une réinterprétation. Celui-ci m'évoque un panneau de zellige, comme cette marqueterie de céramique de pâte argileuse, glaçure opaque originaire du Maroc, XVIII° siècle que je découvre plus tard dans la dernière salle du musée. Carrés, cercles, hexagones, se déploient avec une exactitude toute mathématique. Elles renvoient à la fascination des Arabes pour la géométrie, à leur invention de l’algèbre, de la trigonométrie.Plusieurs ascenseurs vertigineux distribuent les étages autour d'un patio, impénétrable. On accède aux collections permanentes par le septième étage, métaphore d'un ryadh recélant un trésor, suspendu, comme les jardins de Babylone.Quant à l'espace bibliothèque il fait penser à une ziggourat.
L'idée de créer à Paris un l'Institut du Monde Arabe remonte aux années 70. Elle est née sous l'impulsion de Jack Lang qui en est toujours le président. Une carte recense les 22 pays arabes qui ont passé un accord avec la France pour concrétiser le projet de mieux faire connaître le Monde Arabe contemporain et la civilisation arabo-musulmane.
L'idée centrale
centrale est de fondre l’Occident dans l’Orient, ou vice versa, sans rien ôter à l’un ni à l’autre, de manière à ressentir l’altérité positivement.Une vaste salle recouverte de miroirs conditionne le visiteur qui la parcourt comme il entreprendrait la traversée du désert. Certains ont perdu tout repère : ça commence par où, madame ? m'interroge un touriste manifestement désorienté.
De larges méridiennes de cuir blanc sont régulièrement disposées pour apprécier les oeuvres sans fatigue. On nous rappelle d'entrée de jeu l'affirmation d'Hérodote justifiant le parfum de l'Orient : l'Arabie est le seul pays au monde produisant encens, myrrhe, cannelle, cinnamone et labdanum.
Le seul regret est de ne pas pouvoir humer ces essences. Mais on est vite distrait par une voix racontant l'histoire de la Reine de Saba.
Le monde arabe peut être vu comme un désert entouré de mers.La prospérité des échanges commerciaux a permis un fort dynamisme.
Son identité linguistique et culturelle est fondée sur des valeurs nomades et tribales que l'on retrouve sur ce bloc inscrit.Une défunte ((provenance Yémen) représentée mains croisées devant la poitrine attire mon attention. Ses yeux et ses sourcils étaient incrustés de matériaux colorés. Son cou s'orne des "trois plis de beauté" proches des conventions de la sculpture antique.
Un escalier permet d'accéder à l'étage inférieur. Cette fois c'est en langue arabe qu'on entend un texte qui est affiché en surtitrage. On y présente le Sacré et les figures du divin, et surtout les saintes écritures.
En bas, à gauche, une plaque funéraire en calcaire, Palmyre, II°-III° siècle, représente deux frères vêtus à la mode grecque, sculptés selon les canons de l'art funéraire palmyrénien, mêlant le portrait hérité de l'hellénisme à l'attitude frontale et la stylisation arabes.
Cette flûte de berger (nûfar) de cuir et de bois, Maures, Sahara, XX° siècle, est l'instrument des bergers et des caravaniers. Elle est associée à la solitude des grands espaces et à la nostalgie des campements, grands thèmes d'inspiration de la poésie du désert, quelle que soit sa langue d'expression.
Al-Lât est l'une des trois déesses mekkoises mentionnées par le Coran (sourate LIII, "L'étoile", v.19-23) pour fustiger le paganisme arabe qui en faisait des filles de Dieu. A l'origine elle est vénérée à Tayf, dans le Hidjâz, sous la forme d'une roche blanche de forme cubique. Sous l'influence hellénistique, elle devient déesse cosmique comme Astarté, ou guerrière comme Athéna. Avec Manât et al-'Uzza elles représentent sans doute les trois visages de Vénus : figure simple (Manât), doublée en étoile du matin, pourvoyeuse de pluie et de fertilité (Al-lât), et en étoile du soir, guide nocturne des caravaniers (Al-'Uzza). Cette sculpture de basalte provient de la région de Khanaser au sud d'Alep (Syrie), Ier siècle.
La surprise de cette salle concerne la présentation des livres saints qui appartiennent aux trois religions monothéïsmes abrahamiques (judaïsme, christianisme, islam).
Chacune accorde une place particulière au Livre qui contient la Parole d'un dieu invisible. La rédaction des écrits fondateurs du judaïsme s'étendit sur un peu plus de mille ans, de la fin du II° millénaire av J.-C. au Ier siècle après J.-C. La Bible hébraïque comporte vingt-quatre livres répartis en trois grands ensembles : Torah (le Pentateuque), Neviim (les Prophètes) et JKetouvim (les Ecrits ou Hagiographes), d'où son appellation de Tanakh, désignation formée à partir des initiales de ces trois ensembles.
La main de lecture, yad en hébreu, permet de lire la Torah sans la toucher, ce qui préserve son caractère sacré et évite d'en effacer les encres.
La Torah comprend cinq livres, la Genèse, l'exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. La Genèse s'ouvre par le récit de la création et des premières générations, suivi par l'histoire des patriarches, qui commence avec l'ordre de Dieu adressé à Abraham de tout quitter pour se mettre en route vers un pays qui lui sera indiqué.
Le lectionnaire rassemble les textes qui sont lus à l'église dans un temps liturgique. Cet ouvrage fragmentaire (Egypte, VXV°-XVI° siècle, encres et pigments à l'eau sur papier oriental) contient des passages issus de l'Ancien Testament - les Prophètes, les Proverbes et Job- des psaumes et des évangiles pour tous les jours du Carême. Il est écrit en copte, la langue liturgique des chrétiens d'Egypte, avec une traduction en arabe, et finement enluminé.
On apprend que gospel signifie évangile. Et que le Coran doit respecter un équilibre entre graphie et enluminure.
Le Coran (de l'arabe qur'ân : lecture ou récitation) se présente comme transmis oralement. Il affirme rétablir "la religion immuable de toujours" (sourate XXX, "les Romains", v.30) centrée sur l'Unique, à la fois Créateur et Juge. Le texte en est codifié par écrit au VII° siècle, sous le règne du troisième des califes dits "orthodoxes ou bien guidés", Uthman, gendre de Muhammad, qui est élu chef de la communauté (umma) musulmane en 644.Dans ce Coran en un volume, le texte sacré est copié en écriture naskhï à l'encre noire avec une traduction et des commentaires en persan, interlignés à l'encre rouge. La première double page contenant la Fâtiha et le début de la deuxième sourate est traitée comme un tapis, à décor de rinceaux et d'arabesques, au sein duquel le texte apparait en réserve sur un fond ourlé d'or. L'ouvrage a été remonté sur des pages d'un plus grand format au cours du XVIII° siècle et les marges de cette double page ont, à cette occasion, reçu un décor floral tapissant à l'or. L'objet provient de
Vhirâz ou Hérat, dernier quart du XV° siècle, Encres, pigments à l'eau et or sur papier, reliure en cuir.Il ne faut pas manquer d'observer les photographies accrochées sur les murs. Prises à un siècle d'intervalle, elles témoignent de l'évolution des paysages.
Le quatrième étage exprime la beauté au travers de costumes et de parures de mariage pour commencer. Un film présente le travail du tisserand.
La mariée réalise souvent le diadème qu'elle porte à son mariage. Elle coud sur un bandeau de tissu les éléments en or, décoratifs et protecteurs achetés chez l'orfèvre. A Sfax comme à Djerba la femme réalise ses parures dont le collier dont les éléments sont cousus sur un ruban, en ajoutant des pendeloques et des mains de Fatma en guise de protection.La mariée porte une pièce maitresse héritée de l'Antiquité, un drapé-robe (h'rem), lors du septième jour du mariage dans différentes régions de Tunisie. Constituée de deux pans en laine, en coton ou en soie, son ornementation varie selon les régions. A Mahdiya, deux fibules d'or et une ceinture toursi en permettent le maintien. Sous ce voile, la mariée superpose une chemise de mariage, brodée et un gilet farmla. Une coiffe kufiya complète la parure; Le drapé-robe peut également se porter en tant que voile sans ceinture lors de grandes occasions. Ce drapé-robe provient de Tunisie, début du XX° siècle, laine, fil d'argent doré, sequins.
De toute évidence on trouve de beaux spécimen de
revêtements en céramique. C'est une constante dans le monde musulman ou prédominent les constructions en brique, crue ou cuite. Parfois en mosaïque, mais plus généralement en carreaux de formes variées, ces parements protègent les murs et les sols, à l'intérieur comme à l'extérieur des bâtiments publics et privés, des intempéries et participent à leur ornementation. La multiplicité des techniques décoratives de la céramique islamique se retrouve dans ces panneaux. Le répertoire associe arabesques et entrelacs floraux dans des compositions tapissantes.A gauche, de haut en bas, plusieurs Etoiles à huit branches en provenance de Syrie du Nord ou Anatolie, ou de Kashan (Iran), datent du XII° au début XIV°. Elles sont en pâte siliceuse. Le décor est peint sous glaçure transparente ou opaque.Sur la droite, tout en bas : un Carreau de revêtement, provenant de la Casbah de Tunis, XV° siècle, pâte siliceuse, glaçures colorées opaques et cuerta serta. Dans cette méthode particulière, le dessin est préalablement tracé avec une matière organique grasse qui, lors de la cuisson, maintient la séparation des glaçures et les empêche de fuserEn Iran, le malaîr Vagireh est un modèle ou échantillon qui permet au commanditaire d'un tapis, dans un atelier citadin, de choisir coloris et motif, du champ comme de la bordure. Ce Vagireh est iranien, datant fin du XIX° siècle, en laine sur coton.Plat ottoman aux quatre fleurs en provenance d'Iznik (Turquie), début du XVII°, pâte siliceuse, décor peint sous glaçure transparente.
D'autres thèmes sont abordés comme l'hospitalité, la musique, le hammam, dont l'atmosphère est rendue avec des bruits d'eau...A l'extrémité de cet étage, une exposition temporaire (jusqu'au 4 octobre) présente les travaux de couture réalisés par une douzaine de détenues de la maison d'arrêt de Versailles, sous la houlette de la styliste Anne Valérie Hash, connue pour son amour des belles matières.La directrice artistique de Comptoir des Cotonniers a aidé ces femmes à concevoir, couper, assembler de lumineux caftans, des pochettes de soirée et des gilets gansés, en partenariat avec le musée.Cette évasion fil à fil comme l'écrit l'une d'entre elles a été déterminante dans la reconstruction de leur estime de soi.Il ne faudrait pas oublier de monter ensuite au 9ème étage pour apprécier un panorama qui s'étend de la Défense aux tours Air France du Grand Est parisien.C'est surtout la vue sur Notre Dame, la Seine, l'Île Saint-Louis et l'Île de la Cité qui impressionne. On remarquera en arrière-plan la structure bleue et rouge de Beaubourg et le génie doré de la Bastille. Cette plateforme est accessible en entrée libre du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Institut du Monde Arabe
1, rue des Fossés-Saint-Bernard
Place Mohammed-V 75005 Paris
01 40 51 38 38
Fermeture hebdomadaire le lundi
Mardi,mercredi et jeudi : 10h00-18h00
Vendredi : 10h00-21h30
Samedi, dimanche et jours fériés : 10h00-19h00
Fermeture des caisses 45 mn avant.