« Tous nos efforts pour cacher la fragilité de notre cœur et ne pas nous laisser bouleverser par la réalité ne font que nous enfermer dans une prison, que nous priver des sources de vie. Quelle incroyable nouvelle ! L’endroit où je suis le plus vulnérable, l’endroit de ma peur, de mon inquiétude, est le seul lieu où peuvent pousser les plus belles fleurs, où je peux advenir à ce que je suis. Si le lotus, l’une des plus belles fleurs qui poussent en Asie, naît dans la boue, il en est de même de la joie. Elle ne naît pas en étouffant notre cœur, en essayant de faire comme tout le monde, en n’osant jamais dire ce que nous ressentons — mais en reconnaissant la tristesse et la peur. Quand je vois ces gens qui veulent à tout prix être heureux, qui font tant d’efforts pour y arriver, qui suivent de nombreuses thérapies ou en dirigent, et qui tentent ainsi de juguler leurs angoisses, j’ai un pincement au cœur. Bien sûr, leurs efforts sont touchants et louables, mais ils restent basés sur la peur d’eux-mêmes — et plus ils en font, plus ils deviennent lisses comme des images de papier glacé — inauthentiques. Ces professionnels du bonheur ont fui le lieu de la vraie joie.
L’art d’être humain nous apprend à ne plus avoir peur de notre fragilité, à lui donner droit, à la laisser ouvrir notre cœur. Lorsque nous voyons un ami cher, notre petit-fils, une goutte de pluie glisser sur la fenêtre, il se pourrait que nous soyons émus. Loin d’être un problème, cette sensibilité nous permet au contraire d’établir une authentique communion avec le monde. Sans elle, il nous serait même impossible de parler à quelqu’un. Cette tendre vulnérabilité ne renvoie donc à aucune sentimentalité, mais à la disposition primordiale qui fait que nous puissions être touchés et entrer en relation avec les autres et le monde. »
Fabrice Midal, Risquer la liberté, « Deviens qui tu es », Paris, Seuil, 2009, p. 85