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Mort d'un journaliste d'investigation

Par Sergeuleski

   Emmanuel Ratier n’est plus. Il était un des derniers journalistes d'investigation avec Pierre Péan et Philippe Cohen qui nous a quittés lui aussi cette année.

   Qu’il soit permis ici de préciser ceci à propos du travail de ce journaliste infatigable : Emmanuel Ratier n'enfonçait pas des portes ouvertes ; il n'enquêtait pas sur ce que nous savons tous (investigation à la Médiapart : des ministres et des députés qui se servent au passage ; investigation destinée le plus souvent à faire tomber un ennemi politique, et à propos de laquelle nous ne sommes, in fine, guère plus avancés) ; Emmanuel Ratier enquêtait bien plutôt sur ce qui nous échappe, là où toutes les énergies sont occupées à nous garder dans l'ignorance, la meilleure alliée de la domination.

   La spécialité d’Emmanuel Ratier était le Who's Who politique, économique et médiatique. Comprenez : qui fait quoi, à qui, où, comment, pour()quoi et pour le compte de qui.

Publié sous le titre « Au cœur du pouvoir », ce Who’s Who que des médias dominants se gardaient bien de commenter à chacune de ses mises à jour et ré-éditions – la dernière chez Kontre Kulture -, permet d'expliquer le maillage labyrinthique d’un système de contrôle et de domination des uns par et pour les autres, larbins et garçons de courses compris, tous au service de ceux qui trônent au sommet de la pyramide… celle du « Pouvoir ».

Tout s’éclaire à la lecture de cet ouvrage : les nominations dans les secteurs médiatique, économique et politique ; comment les places sont attribuées, par qui et dans quel but ; la chute des uns, l’ascension des autres, le pourquoi ; l’influence que peut exercer tel ou tel lobby ; tout alors fait sens.

Cet ouvrage et ses ré-éditions successives ainsi que la publication de sa lettre confidentielle d'information "Faits et documents" - on lui doit aussi : "Le vrai visage de Manuel Valls"disponible ICI -, représentent la quintessence du travail d’investigation d’Emmanuel Ratier : qui commande, qui obéit ; qui est redevable de quoi auprès de qui. L’ouvrage permet donc, et le plus simplement du monde, de comprendre le mode de fonctionnement d’un système contre lequel tous les dissidents se sont un jour heurtés, jusqu’au constat amer de leur échec ; cette incapacité à changer la nature d’un pouvoir qui n’admet aucun partage, aucune contestation, aucune remise en cause, tellement il se régale et se repaît de tout, hilare : du prix du sang, de notre sang ! et de nos dernières indignations.

   Nul doute, Emmanuel Ratier aura été la mauvaise conscience du journalisme, de ces centaines de salariés payés pour ne jamais nous informer à la grande satisfaction de leurs patrons et des actionnaires. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la presse à l’annonce du décès d’Emmanuel Ratier : dites-moi comment vous rédigez vos nécrologies et je vous dirai qui vous cherchez à tuer une seconde fois.

Il aura été aussi la mauvaise conscience de tous les pistonnés du système, médiocres et sans mérite ; classes politique, médiatique et économique inextricablement enchevêtrées : pères, mères, filles et fils de..., époux, épouses, gendres………. tous au service des uns et des autres, et réciproquement.

Et puis enfin, Emmanuel Ratier était plus généralement  la mauvaise conscience de tous ceux qui ne veulent pas savoir, de tous ceux qui ne veulent rien savoir de peur sans doute de défaillir, incapables de gérer une prise de conscience qui les anéantirait ; ceux pour lesquels le réel c’est déjà une réalité de trop. Sans oublier ceux qui se font grassement payer pour tout ignorer : on ferme les yeux, ou bien on regarde ailleurs.

***

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   Emmanuel Ratier a longtemps vécu le visage masqué ; ce qui lui a permis de vivre un peu plus longtemps que la moyenne de ceux qui, tout comme lui, avaient à cœur de nous informer, c’est-à-dire : de nous alerter.

Personne ne l’a suicidé ; aucun chauffard téléguidé ne l’a renversé ; Emmanuel Ratier a expiré dans un lit à l'âge de 57 ans ; trop tôt, trop jeune, beaucoup trop jeune, n'empêche !

   Mais alors, qui reprendra le flambeau de l'investigation - qui fait quoi, à qui, où comment, pour()quoi et pour le compte de qui -, la plus haute mission du métier de journaliste ?

P.S

On dit Emmanuel Ratier proche de l'extrême droite.

Peu importe pour qui il votait. Peu importent ses motivations. Seules importent la pertinence et la qualité des infos qu'il partageait. Il était le meilleur dans son domaine.

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Pour prolonger, cliquez : Matthieu et le journalisme d'investigation


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