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Le cartel de la bière contrôle nos demis pression

Par Blanchemanche
#Bière
CHRISTELLE GÉRANDJEUDI, 13 AOÛT, 2015HUMANITÉ DIMANCHE

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Le cartel de la bière contrôle nos demis pression©DRHeineken, AB InBev et Carlsberg ont compris comment faire mousser leurs profits: prêter de l’argent aux bistrots contre l’obligation de s’approvisionner chez eux. Contraint à une pression au goût standardisé, le consommateur s’en détourne et boit de plus en plus à domicile... de la bière artisanale.Heineken, AB InBev, Carlsberg, SABMiller. Quatre groupes, huit cents marques. En France, les trois premiers se partagent 95 % du marché de la bière. SABMiller, lui, se concentre sur les États-Unis, la Chine et l’Inde. Pour asseoir sa suprématie, le cartel des trois dispose d’un outil imparable: le prêt brasseur ou contrat de bière. On l’entrevoit au travers des parasols verts Heineken des terrasses, de tabourets Guinness des pubs ou du sous-bock Hoegaarden. Mais ces « cadeaux » ont un prix.
Pierre, gérant d’un bar de la banlieue parisienne, en a fait les frais. Sous contrat, il tient à garder l’anonymat, de peur que son distributeur n’y mette fin, ce qui signifierait « mettre la clé sous la porte». Une crainte loin des débuts enchantés avec France Boissons, filiale de Heineken qui distribue de la bière, mais aussi du vin, du café et des jus de fruits. « Lorsque j’ai trouvé un fonds de commerce qui me plaisait et que les banques refusaient de me prêter assez d’argent, les distributeurs sont arrivés comme des sauveurs. »France Boissons lui fournit 30 000 euros, ainsi qu’une tireuse à trois becs, des centaines de verres et du mobilier. Seule contre-partie: un contrat d’exclusivité avec son bienfaiteur, et l’engagement de vendre 80 hectolitres de bière à la pression par an. Depuis, Pierre se dit qu’il aurait aimé vendre autre chose que de la « pisse de chat». Il s’est aussi aperçu qu’il payait ses bières 4 à 5 euros le litre, alors que les petits distributeurs les proposent à 2 ou 3... Un prix qu’il répercute au consommateur. Pour faire davantage de marge, il lui arrive donc de s’approvisionner hors de ce circuit. Une pratique courante dans les bistrots.
En théorie, la loi européenne – qui n’autorise que 80 % d’exclusivité – lui permet de vendre un demi hors catalogue, mais la « chasse à l’hectolitre » de son distributeur l’en empêche. Le jour où il ne vendra plus assez, le prêt s’arrêtera.

UN PEU D’IMAGINATION

Cette servitude par contrat concerne 8 cafés et restaurants sur 10 dans la capitale et 4 sur 10 dans le reste de la France. La situation s’est dégradée depuis la crise de 2008, estime Cyrille Pineau, un expert-comptable qui travaille régulièrement avec de potentiels repreneurs de fonds de commerce. « Les banques réclament 30 à 50 % d’apport, pour se protéger d’un taux de sinistralité très important dans le secteur. Sans l’aide des brasseurs, personne n’achèterait ces bars. » Car il n’est pas un jour sans qu’un établissement ne ferme. Si la France comptait 500000 cafés au début du XX e siècle, ils ne seraient que 35 000 aujourd’hui. « C’est une véritable hémorragie, alarme Robert Dutin, auteur du guide annuel des brasseurs et bières de France”. On sait pas jusqu’où ça va aller ... » Cet ancien directeur marketing dans l’industrie constate aussi une évolution de la consommation:« On boit moins, mais mieux, et de  plus en plus chez soi. » L’individualisation des comportements touche ainsi le marché de la pression, qui représente en moyenne le tiers des revenus des bars. Face à la multiplication des tireuses à domicile, certains gérants, même sous contrat, font preuve d’imagination et installent une tireuse à bec unique à côté de celle qu’ils se font financer par leur distributeur. Ils y proposent de la bière artisanale, plébiscitée par les consommateurs. D’autres utilisent l’un des becs de leur tireuse Heineken ou Kro, mais ils doivent alors payer un « droit de passage » à leur distributeur. Les bouteilles, qui ne sont pas concernées par les contrats, tirent leur épingle du jeu.
« Nous ne faisons pas de fût, ce serait du suicide commercial, estime Jean-Barthélémy Chancel, fondateur de la brasserie artisanale La Parisienne, située dans un ancien parking souterrain du 13e arrondissement. Mais la bouteille est tolérée par les grands groupes dans leurs bars sous contrats, car les volumes sont ridicules, même s’ils augmentent », explicite ce jeune créateur qui n’en est pas à son coup d’essai:avant La Parisienne, il avait créé une nouvelle maison de champagne, contribuant là aussi à déconcentrer le marché.
  • Repères
  • 8 cafés et restaurants sur 10 sont sous contrat d’exclusivité avec un distributeur dans la capitale et 4 sur 10 dans le reste du pays. 
  • 35 litres de bière par an et par personne sont consommés en moyenne en France.
En Amérique du Nord, qui mène le renouveau de la bière artisanale, le législateur a accompagné le mouvement. Aux États-Unis, un brasseur ne peut pas distribuer, tandis qu’au Québec le capital d’un brasseur ne peut pas être utilisé pour acheter un bar. Le vide législatif hexagonal s’expliquerait par le fait que Brasseurs de France, le syndicat unique réunissant les mastodontes comme les micro-brasseurs, ne se préoccupe que des intérêts des gros groupes qui le financent. « Ils torpillent nos spécificités, en nous accusant de faire du cache-misère en ajoutant des épices dans la bière et prétendent que la double fermentation, c’est pas terrible, alors que nous, on fait du goût », s’agace Franck Bellon, un micro-brasseur de l’Indre qui a quitté ce lobby présidé par François Loos, cofondateur de l’UMP et ancien ministre du Commerce extérieur (2002-2005) et de l’Industrie (2005-2007).La bière française a pourtant été inscrite au même titre que le vin ou le foie gras au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2014, souvenir d’un temps – au début du XX e siècle – où les 2 600 brasseurs de France produisaient davantage que le Benelux et l’Allemagne réunis. Si le cartel avait réussi à réduire leur nombre à une centaine il y a dix ans, 700 brasseurs indépendants mènent aujourd’hui la guerre du goût.

PLUS « ARTISANALE » QUE MOI, TU MEURS... L’immense majorité des bières pression fait partie de la catégorie des « bières de luxe », souvenir d’un temps où elles régnaient en maîtres. Cette appellation relève en fait du (faible) degré d’alcool. Elles ont perdu 7,7 % de part de marché entre 2013 et 2014, une baisse constante depuis 10 ans. Les bières dites « de spécialité », plus fortes, et qui regroupent la plupart des artisanales, sont quant à elles en augmentation de 10,5%. Cet engouement pour la qualité ne saurait masquer une baisse constante de la consommation globale, avec 35 litres par habitant par année. Le secteur se réoriente avec l’ouverture de bars à bière, et des rayons de plus en plus complets chez les cavistes et même dans la grande distribution. En réaction, les gros groupes jouent la carte de l’artisanal dans leur publicité, de l’Edelweiss « né dans les Alpes » aux « petits brassins »... de 100 000 hectolitres de Kronenbourg.

http://www.humanite.fr/le-cartel-de-la-biere-controle-nos-demis-pression-581409

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