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[review] Jazz à Luz #25

Publié le 30 août 2015 par Bigbabou

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Retour sur l'édition 2015 du festival Jazz à Luz.

 Lorsqu’on vient écouter un dj set on ne sait jamais à l’avance ce qu’on va entendre, il en est de même à Luz, le plaisir vient de la surprise. Et il semble bien que, d’édition en édition, le festival gagne quelques aficionados curieux. Il faut dire qu’au-delà de la musique, les lieux et l’ambiance montagnarde ont eux-mêmes de quoi séduire, car ici on ne s’embarrasse pas des modes, la tenue de randonneur est presque de rigueur, ni des manières. Prenez par exemple le patron de ce petit café central dont les règles d’accueil se résument à une mine de réveil quelle que soit l’heure, et à des apostrophes du genre  C’est le bordel ! C’est le bordel !  ou  Encore vous ! Mais quand est-ce que vous partez ? ou bien Je vous offre le digestif. On se sent très vite à l’aise. Et souvent on revient.

Alors cette année, pour l’anniversaire des 25 ans, il fallait trouver à se renouveler. Décision avait été prise d’exploiter la vallée du Pays Toy, et de faire crapahuter les spectateurs en journée dans les villages avoisinants. Point d’orgue de cette délocalisation : le sommet de la station de ski de Luz Ardiden où Denis Lavant, accompagné de deux acolytes (Laurent Paris aux percussions et Camille Secheppet au saxophone), ont mis en voix et musique le poème de Samuel Taylor Coleridge « Le dit du vieux marin ». Traversée des nuages en télésiège, arrivée à 2135 m d’altitude sous un soleil écrasant, le paysage qui s’offre alors a quelque chose de surnaturel : mer de nuages et profils montagneux. Une butte à côté de nous donne de l’écho à la voix de Denis Lavant. Tout est réuni (excepté peut être l’attente c’est vrai) pour faire de cette lecture un moment difficilement oubliable.

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D. Lavant, L. Paris, C. Secheppet

Concernant la musique, comme souvent c’est le matin que se passent les plus belles choses, c’est par tradition le temps des concerts aventureux, peut-être est-on dans de meilleures dispositions après le réveil ? En tout cas la performance de Jean Luc Guionnet ce dimanche matin dans la station de ski (thermale l’été, pour les détails touristiques) de Barèges était un moment d’une très grande beauté, qui rend délicate toute description avec des mots. Car ici la frontière entre la musique et la poésie est poreuse, Jean Luc Guionnet donnant l’impression de se lancer avec son saxophone à la poursuite de quelque chose tout en s’efforçant de ne jamais le toucher, alternant instants de grâce et d’intranquillité. Le point final sera donné par quelques gammes répétées, rare moment où des notes s’organisent vraiment, mais encore une fois on est un peu à coté, ça ne sonne pas tout à fait juste, et c’est tellement mieux comme ça.

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JL Guionnet

Rebelote le lundi matin pour un concert très attendu. Cette fois Jean Luc Guionnet a rendez-vous avec Thomas Bonvallet dans l’église des templiers située en plein cœur de Luz. Il prendra les commandes de l’orgue collé au centre d’un des murs de l’église tandis que Thomas Bonvallet s’assiéra devant la rangée de bancs opposée. De notre place on ne le voit pas et entend simplement les rythmes déstructurés qu’il répète nerveusement pendant que le souffle de l’orgue résonne. Le jeu de Thomas Bonvallet est extrêmement physique, fait de surgissements, de coups secs portés sur ses cuisses ou ses instruments, qu’il ne ménage pas. Il y a quelque chose d’un peu profane qui s’en dégage…

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T. Bonvallet

Même journée, autre frisson, le groupe TOC se produisait ce soir-là sous le chapiteau.
L’acronyme formé par les initiales des trois musiciens lillois (Jérémy Ternoy aux machines, Peter Orins à la batterie et Ivan Cruz à la guitare) peut évoquer au choix les fameux troubles compulsifs, ou bien un matériau brillant mais sans grande valeur. On oubliera la deuxième interprétation vu l’enthousiasme manifesté par le public, et on retiendra donc le côté compulsif.  C’est qu’une heure durant, sans aucun temps mort, le trio aura joué une musique frénétique dans laquelle on perdit vite les repères auxquels on essayait de s’accrocher, comme cette mélodie que Jérémy Ternoy rend insaisissable en la faisant dériver constamment durant le premier quart d’heure. Visuellement le spectacle est captivant, chacun jouant des boucles dans lesquelles les corps sont eux-mêmes engagés, celui de Jérémy Ternoy étant particulièrement agité. Certains diront que c’est du free rock progressif, mais ces appellations n’ont pour effet que de passer à côté de ce qui fait la singularité de la musique. Le trio, face aux longs applaudissements, finira, par revenir sur scène pour un morceau qui, heureusement pour le déroulé de la soirée, fut d’une durée assez courte.

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TOC (photo : Pierre Meyer)

Comme par symétrie, le lendemain, à la même heure, le concert de l’Ensemble FM commencera par un bref morceau pour se poursuivre ensuite sur une longue plage. Cette seconde composition est bien connue des amateurs de musique minimaliste puisqu’il s’agit de « In-C » de Terry Riley. Pour l’occasion la pianiste Christine Wodrascka a réuni autour d’elle de nombreux acteurs de la scène jazz toulousaine. « In-C » est une pièce joyeuse et légère qui étire le temps. La partition impose aux musiciens une suite de 53 motifs à répéter mais laisse une grande liberté à chaque interprète qui peut choisir le nombre de répétitions avant de passer au motif suivant. Positionnée au milieu, debout, et jouant rythmiquement des Do, Christine Wodrascka passera l’essentiel de cette heure et quart les yeux fermés, un sourire se dessinant de temps en temps aux commissures de ses lèvres. Autour d’elle les jeunes musiciens comme les plus anciens ne cachent pas, eux non plus, le plaisir (somme toute assez toulousain) avec lequel ils s’adonnent à ce jeu de  répétition et de décalage. L’accueil sera tout aussi chaleureux que la veille. On sentira la chef d’orchestre un peu émue.

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C. Wodrascka / Ensemble FM (photo : Pierre Meyer)

On ne peut bien entendu pas parler de tout ici, mais parmi les artistes invités on trouvait également l’Ensemble Un, Cabaret Contemporain et leur techno jouée sur instruments, le saxophoniste Ken Vandermark, les toulousains de Cantenac Dagar, et d’autre groupes auxquels on a été moins sensibles, comme les Too Many Zooz, ou encore ces fanfares auxquelles les organisateurs sont attachés, volonté de croiser toutes les musiques et surtout de faire que le festival reste populaire. Volonté que l’on ne peut malgré tout que saluer car, comme on le disait en introduction, ce qui fait le charme de Jazz à Luz c’est bien son atmosphère chaleureuse ou, pour le dire autrement, généreuse.
L’ensemble des photos du festival est visible sur le site de Pierre Meyer

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