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Le fil rouge de Mona Hatoum

Publié le 03 septembre 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

L'exposition que le Centre Pompidou Paris offre à Mona Hatoum constitue une rétrospective complète sur une quarantaine d'années. Aussi, plutôt que de vouloir embrasser en quelques lignes l'ensemble de cette somme, c'est davantage  la sensation personnelle d'une itinérance dans cet espace qui sera évoquée ici. Car d'une oeuvre à l'autre le visiteur se retrouve progressivement sous influence, imprégné presque physiquement  par touches successives dans ce cheminement qui peut, selon chacun, confiner plus ou moins à l'angoisse.
Très tôt, dès l'entrée de l'exposition, le "Cube" de fer forgé fait appel à une technique d'entrelacs qui était utilisée pour barrer les fenêtres au Moyen Âge. Cet enferment sans espoir d'une quelconque issue donne déjà le ton d'un propos dont on devine que le corps sera au coeur d'une épreuve douloureuse. L'installation "Corps étranger" propose une choquante caméra de surveillance : celle de l'endoscope scrutant le corps même de l'artiste dans un examen dont le secret médical se dissipe devant cette présentation voyeuriste dont nous devenons les complices. Mais ce corps soumis déjà à cette violence individuelle appartient à des hommes et des femmes dont le destin collectif n'est pas seulement scellé par ces contraintes physiques immédiates.

Hot spot Mona Hatoum 2014

Hot spot Mona Hatoum 2014

Lieu géométrique de toutes les oppressions que les hommes peuvent éprouver dans leur vie sur terre, la frontière symbolise vraisemblablement dans son existence conceptuelle comme dans sa réalité physique cette grille reproduite à l'envi dans l'oeuvre de Mona Hatoum. Pour révéler ces frontières, l'artiste décline sous des formes multiples une cartographie sensible, fragile. L'impressionnante "Map (clear)" trahit cette instabilité: les frontières matérialisées par des centaines de billes de verre  non fixées au sol restent soumises aux vibrations du sol. Plus loin  "Present Tense" se compose de deux mille deux cents pains de savon fabriqués dans la ville de Naplouse au nord de Jérusalem, plan instable établi en 1993 sur lequel des perles en verre rouge délimitent les territoires qui devaient être restitués à l'autorité palestinienne, carte illisible d' ilots sans aucune continuité territoriale. Née à Beyrouth de parents palestiniens, Mona Hatoum vit à Londres ou à Berlin ou encore dans les pays qui l'accueillent en résidence. "Hot spot" propose une cage sphérique d'acier symbolisant la terre, sur laquelle la grille incandescente rouge des continents génère une sensation intense, exprimant, si ce n'est la dérive des continents, du moins les tensions omniprésentes sous toutes les latitudes.
Si bien que de la grille carcérale moyenâgeuse à la frontière fictive ou réelle, Mona Hatoum propose une lecture d'un monde soumis aux tensions, aux conflits, aux interdits. Faisant écho à la première "cellule",  les "Cellules" de 2014 composées de huit structures en forme de cage faites de barreaux d'acier, là encore sans aucune ouverture possible, enferment d'autres cellules, rouges, à l'apparence organique, dont la mise en place matérielle semble impossible. C'est la vidéo de l'exposition qui permet de comprendre comment l'artiste a travaillé avec les verriers de Murano pour faire souffler directement dans les cellules de métal, ces formes  d'un rouge intense, souffrant dans leur fragilité contrainte par la solidité des grilles carcérales.

Cellules Mona Hatoum  2013

Cellules Mona Hatoum 2013

Mon coup de coeur personnel ira à "Impénétrable", donnant à la référence culturelle des pénétrables de Soto une lecture anxiogène, les barres de fil de fer barbelés créant une tension absolue entre le jeu du pénétrable de l'artiste cinétique et l'interdit agressif des barbelés qui ne sont pas sans rappeler l'esthétique du tranchant de Daniel Pommereulle. La photographie traduit difficilement cette tension que l'œuvre dans son immobilité  frustrante peut provoquer chez le visiteur tenté par la vocation cinétique de ce qui devrait être un pénétrable ludique.
Le fil rouge de l'exposition de Mona Hatoum serait donc alors un fil de fer barbelé, rougi par le sang de tous ceux qui, franchissant les frontières au péril de leur vie, portent sur leur corps la violence politique de toutes les frontières physiques ou mentales que les hommes dressent entre eux. "Comment la vie sur une frontière serait-elle autrement qu'agitée ?"

Mona Hatoum
24 juin 2015 - 28 septembre 2015
Centre Pompidou
75004 Paris


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