Titre original : A Nightmare on Elm Street
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Wes Craven
Distribution : Heather Langenkamp, Robert Englund, Johnny Depp, Lin Shaye, Amanda Wyss…
Genre : Horreur/Épouvante
Date de sortie : 6 mars 1985
Le Pitch :
Nancy, une adolescente, fait récemment d’atroces cauchemars dans lesquels intervient un certain Freddy Krueger. Un homme brûlé, affublé d’un gant aux lames tranchantes, qui sévit dans les rêves de ses victimes. Rapidement, Nancy s’aperçoit que plusieurs de ses amis reçoivent la nuit la visite du croquemitaine. Quand l’un d’entre eux est sauvagement assassiné par Freddy, l’étudiante doit se rendre à l’évidence : les cauchemars dans lesquels se cache Krueger ne sont pas des rêves comme les autres. Une seule solution pour lui échapper : rester éveillée…
La Critique :
Ancien étudiant en psychologie, Wes Craven a largement puisé dans son savoir universitaire pour construire l’univers dans lequel évolue Freddy Krueger. À lui seul, le personnage incarne d’ailleurs à l’époque de la sortie du film, une révolution totale, en cela qu’il ne tue pas dans la réalité, mais dans les rêves. L’occasion pour le jeune réalisateur de donner libre court à son imagination et de mettre en boite des séquences totalement folles, hors du temps et de l’espace, tout en matérialisant à l’écran des peurs profondément enfouies et des situations cauchemardesques typiques, que nous avons tous expérimentées un jour ou l’autre. Ainsi, la scène qui voit Nancy, la jeune héroïne, tenter de monter l’escalier pour échapper au tueur est largement représentative. Alors qu’elle grimpe les marches, ses pieds s’enfoncent comme dans de la boue. L’architecture des constructions évolue au fil des cauchemars et tout semble devoir indéniablement se terminer dans une chaufferie bien glauque, qui sert de refuge au croquemitaine. En puisant dans l’imagerie des rêves et en s’appuyant sur des phénomènes déjà bien flippants, comme l’hypnose et surtout la paralysie du sommeil, Craven s’affranchit d’une partie des codes établis et peut tout se permettre. Le concept même de Freddy est redoutable et imparable.
Connu pour avoir livré, avec La Dernière Maison sur la Gauche et La Coline a des Yeux, soit deux longs-métrages profondément glauques et malsains, mais aussi terriblement bancals et parfois carrément foireux, Wes Craven est venu tout naturellement à Freddy, qui lui a offert les coudées libre et du même coup l’opportunité de réaliser un film non seulement effrayant, mais aussi plus maîtrisé que ses précédents. Quand La Dernière Maison sur la Gauche semblait verser dans la violence extrême juste pour choquer, allant jusqu’à amoindrir la portée du discours politique sous-jacent, Les Griffes de la Nuit se « contente » d’une certaine façon de proposer un spectacle cauchemardesque plus axé sur le premier degré, et in fine plus focalisé sur l’essentiel. Plus mesuré aussi. En bref, avec Freddy, Wes Craven impose un réel talent et livre du même coup un classique instantané. Ce qui, 30 ans plus tard, n’a jamais été démenti. Y compris par le remake boiteux, qui prouve bien une chose, soit le pouvoir intemporel de l’œuvre matricielle.
Bien sûr, la réussite du film est également grandement imputable à Freddy Krueger. Sorti de l’imagination de Craven, le tueur est un modèle de charisme. Son aspect, vraiment flippant, avec le pull rouge et vert, le chapeau, les griffes et la peau cramée, pose à lui seul les enjeux du récit et incarne un effroi sourd et durable, tandis que son mode opératoire joue sur des peurs « fédératrices », vu qu’elles prennent leur source dans un imaginaire collectif puissant. Mais là où Freddy se démarque de ses concurrents, Leatherface (Massacre à la Tronçonneuse), Michael Myers (Halloween) et Jason Voorhies (Vendredi 13) en tête, c’est que lui, il parle ! Il parle d’une voix qui glace le sang et enchaîne les punchlines brutales et parfois drôles. Grâce à son interprète, Robert Englund (le rôle de sa vie, après avoir incarné le gentil Willie, dans la série culte V), Krueger marque les esprits dès sa première apparition et fait de chacune de ses interventions de véritables points d’orgue, ponctuant un récit qu’il orchestre tel un marionnettiste déviant, piloté dans l’ombre par un Wes Craven taquin en pleine possession de ses moyens. Malsain par essence, car on cause avant tout d’un tueur d’enfants revenu d’entre les morts pour prendre sa revanche sur ceux qui viennent habiter Elm Street, le détraqué griffu a su imprimer sa marque dans l’histoire du cinéma d’horreur et ce n’est pas un hasard. Résultant d’un processus longuement pensé, il cristallise une épouvante sourde, tout en incarnant les déviances meurtrières d’un monde à la dérive, à savoir celui de l’Amérique des années Reagan.
Et puis il est fun ! C’est important le fun ! Pour ses répliques tranchantes, mais aussi pour sa faculté à en prendre plein la gueule quand ses victimes se rebiffent. Pas particulièrement fort, plus malin que bourrin, il ramasse sévère, comme ramassera aussi, bien des années plus tard, le tueur au masque blanc de Scream, du même Wes Craven.
Long-métrage précurseur, Les Griffes de la Nuit a ainsi permis à Wes Craven de se poser comme un cinéaste sur lequel il faudrait désormais compter. À la fois réalisateur et scénariste, il a su imposer un concept fort et faire preuve d’un esprit frondeur qui quoi qu’il en soit, malgré les fautes de parcours qui vont plus tard émailler sa filmographie, se doit d’être salué. Y compris au niveau du casting, dans lequel on retrouve Johnny Depp, dans son tout premier rôle, que Craven a révélé, après avoir sorti du ruisseau une certaine Sharon Stone, des années auparavant dans La Ferme de la Terreur. Heather Langenkamp aussi, fait des étincelles, au premier plan, en campant une déclinaison de la scream queen typique du slasher, animée d’un esprit de survie démontrant de la volonté de Craven de bousculer les codes en mettant une femme au premier plan, à l’instar de John Carpenter, avec Halloween.
Déjà référentiel (on trouve des clins d’œil à Evil Dead, Vendredi 13…), avant même que ce ne soit vraiment tendance, Les Griffes de la Nuit est remarquable pour sa modernité et son originalité. C’est aussi et pour cela qu’il a si bien vieilli. Même au niveau des effets gores, toujours percutants, malgré le poids des années. Pierre angulaire d’un genre qui ne s’en remettra jamais vraiment, ce cauchemar sur Elm Street de Wes Craven est une œuvre importante. De celles qui encouragent à regarder sous son lit avant d’aller se coucher et qui donnent matière à de nouveaux cauchemars, pour des nuits délicieusement agitées.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : New Line Cinema