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(anthologie permanente) Denis Roche

Par Florence Trocmé

Pendant la semaine de fermeture de Poezibao est tombée la nouvelle de la mort de Denis Roche. Le premier à avoir averti le site est Daniel Pozner qui joignant le geste à l’écrit m’a proposé une sélection de textes de l’écrivain et photographe. Qu’il en soit vivement remercié.  
 
 
Son désir de revenir à ces lieux la sépare de nous 
Dans le poème comme une porte dominante, 
Sans la quitter, je préfère le lui dire, 
Toujours engeance (elle parle ainsi) et lui 
Tendre les mains comme un dormeur. Mais rien 
N’interrompt le silence, sans qu’elle frotte les 
Marques de son front qui me sont de chers souvenirs 
Et sur le contour des maisons, ou bien des passe- 
Relles, enfin ces paroles évanouies : 
« Si j’étais venue à cette fontaine (le bruit) 
Ou bien approchée de ce balcon, lasse (la vue) 
Cette tour familière où sans mélanges 
Montaient les vrilles de la saison… Pourquoi 
Ai-je quitté ce qui me le rappelle si bien ? » 
Moi, je pleure ma violence. Elle est 
Lointaine comme l’impôt des morts. 
 
Les idées centésimales de Miss Élanize (1964) 
 

 
Interlude dans les chances : des voyelles et de l’érosion 
 
« J’avoue le 20 que je me trouve dans un état 
mort. » Des mets divins du poème charmant, comme 
Le bagage dont s’apprête à disposer l’aubergiste, 
Prennent en plein quelque reflet. Le tonnerre 
Est à peine venu. Je reconsidère l’avancée 
Brutale cette fois de la terre, celle en fri- 
Che celle dont les gens sont morts où restent 
Des abricotiers où la mort mais pas la leur tombe 
Creusée dans les pois lieu des arrestations fos- 
Et ainsi de suite la parole n’étant rien. 
La fatigue pourrait-elle n’être qu’une sorte de 
Discipline ? Qui me rendrait aveugle quand j’ 
Écris ? Les jeunes voisines de ta beauté 
Pourraient en rire de notre colloque ne voyant 
Pas ce que nos mains font des mets divins du 
Poème charmant  –––––––––––––––––––––– 
 
Éros énergumène (1968) 
 

 
La poésie est inadmissible. D’ailleurs elle n’ 
existe pas
, même devenue familière comme il n’ 
Est pas possible. Et cette phrase avec un cric et 
Des pelures ––––––– avec le porc frais / Tout univoque 
Tout comme fracturé devant moi, devant mon impro- 
bable (pour la dernière fois) imagination, il 
Y a la vitupération des parasites du clan poétique 
La main des plus cérémonieuses, roulades d’herbi- 
Vores, somme toute, semble dire celle que j’ai 
Promenée hier matin de plaisir en plaisir de chair 
Et de plaisir d’aimer en plaisir d’être. Comme c’–– 
–––––– satin et dire qu’odieux je suis comme taillis 
Comme épineux, comme étoile de mesure, comme étang 
A phrases décharnées ou ventrues, malades de toute 
Manière. En-cas pour la charogne qui écrit qui dit 
Qu’elle est et qu’on doit regarder tout ça se 
Faire. Mais à hisser le vert des régimes 
Outre comme il se devait vers le courant d’en bas 
Toi et moi on se fout des enfantillages 
 
Le Mécrit (1972) 
 

 
miettes de pain dur les enfants pleurent de faim de fatigu 
familles avec un espace de 3 m où elle faisait la cuisine o 
cartouche de 30-30 déjà rare et 15 centavos celle de mause 
pièce. Qui va payer le prix de la guerre ? Malheur aux rich 
Weston, Arbus, Evans, Bravo, Strand, anon., portr posthume 
entrée de vagin sun picture calotype victorien anonyme mai 
de vagin d’ouvrière mauvais tirage cahier Delacroix mais i 
« L’ouvrier mort », daté 1934, l’année où Paul Stand tourne 
ravo ! Faut ré-enmatérialiser l’coup d’la photo : casser l’t 
reviens, mon amour, reviens à ce « Portrait posthume » gloir 
 
Pour saluer Manuel Alvarez Bravo. Dépôt de savoir & de technique N° 4 (extrait) 
Dépôts de savoir & de technique (1980) 
 

 
Je suis à Cologne. C’est la fin de l’après-midi et je suis presque en face de mon hôtel, à la recherche d’un bombage exécuté il y a quelques années par un artiste de Cologne, sur l’un des flancs de l’église Sainte-Cécile. (…) C’est la Mort qui est figurée, d’un seul trait si assuré qu’on croit pouvoir encore suivre les mouvements du poignet qui le dessinait. Le squelette ricanant a les pieds sur le sol et les deux bras étendus de part et d’autre jusqu’aux montants de pierre de l’archivolte. On dirait vraiment qu’il s’est encadré là-dedans pour empêcher les gens de passer, de franchir le seuil de l’église, et on dirait en même temps que ce geste qui paraît dire : «  On ne passe pas ! », est un geste d’accueil, tant le squelette a l’air de guetter les passants. (…) J’ai un peu peur, c’est la première fois que je me dis que si la photo est réussie, ce sera comme un mauvais signe et que, probablement, il ne le faut pas. Ma première idée était d’aller m’asseoir entre les jambes de la Mort, mais je ne m’y résous pas, je reste à distance raisonnable, comme on dit, dans le halo lugubre qui occupe tout l’espace entre la pénombre presque noire sous le marronnier où est l’appareil  et le mur gris encore très brillant où la Mort gesticule sans bouger. Quand j’estime avoir fait assez de clichés, en tout cas avec les cadrages que je voulais, je reste un moment planté là à regarder le bombage une dernière fois. Je me dis : « demain j’aurais quitté cette ville et je n’y reviendrai sans doute jamais. » Je me dis aussi que devant cette Mort, la seule chose que je puisse vraiment penser c’est que je suis vivant, mais que ça ne veut pas dire grand-chose, et que certainement ça ne veut rien dire d’autre. 
 
Ellipse et laps (1991) 
 
Denis Roche dans Poezibao : 
bio-bibliographie, extrait 1, in Notes sur la poésie 


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