Inlassablement, la fin de l'année marque le temps des rétrospectives et autres palmarès. Sollicité par Culturopoing, site auquel je collabore avec plaisir et qui sera peut-être celui auquel je réserverai, à partir de l'année prochaine, mes articles sur le répertoire non classique, pour établir la liste des albums ayant retenu mon attention en 2014, je me suis dit, en rendant ma copie, que je prendrais finalement le risque de la proposer ici, au cas où elle intéresserait quelques-uns d'entre vous.
J'ai bien conscience que, pour un certains nombre de personnes, ces chemins de traverse que j'emprunte représentent autant de faux pas qui me décrédibilisent à leurs yeux ; un de ces petits marquis qui s'érigent aujourd'hui en arbitres des élégances sur les réseaux sociaux m'aura ainsi moqué de préférer un bon vieux Pink Floyd à un disque raté de musique napolitaine qu'il présentait en l'affublant de la quincaillerie superlative qui lui tient lieu de discours. Pour les gens de ma génération (j'aurai 45 ans à la fin de cette année), je veux croire que les frontières entre les genres ne sont plus aussi étanches qu'elles purent l'être pour d'autres et qu'il est possible de passer du XV e siècle de Wolkenstein au New-York électrique d'Interpol sans avoir besoin de se justifier, quand bien même je donne le sentiment de le faire ici, ma parole étant publique. Peut-être aussi dois-je au fait d'avoir trouvé dans mon biberon les Beatles et Pink Floyd avant même de connaître le nom de Mozart de n'avoir développé, quand je l'ai rencontré et adopté, aucun esprit de caste et d'avoir eu la chance de conserver un pied dans chaque univers.
Voici donc douze reflets de ce que fut mon année 2014 sur ces chemins buissonniers retrouvés avec un bonheur confinant parfois à l'ivresse. Je m'en suis tenu aux catégories album, chanson et découverte de l'année demandés dans l'exercice initial, mais tout est sur le cliché qui accompagne ces quelques lignes.
La tentation est grande, bien entendu, de tenter de deviner la part d'autobiographie qui se cache sous l'initiale du titre, et si l'on peut imaginer que cette dimension de miroir n'est pas absente, le fait n'a pas, en soi, une si grande importance. Ce que l'on retient au fil des écoutes de ce disque chaleureux et intime que sa construction et sa production également impeccables n'empêchent pas de regarder l'auditeur dans les yeux et de lui murmurer à l'oreille, c'est l'impression de se trouver face à une réalisation que son équilibre rend déjà classique.
Extrait choisi : Noxolo
Extrait choisi : Stars make progress
First mind se révèle un premier album d'une grande richesse qui souligne aussi bien le savoir-faire de son auteur que sa capacité à savoir s'entourer pour donner corps à ses projets. On sait gré à Nick Mulvey d'avoir, comme tout bon peintre, résisté à la tentation de l'effet pittoresque pour lui-même et d'avoir préféré le mettre entièrement au service d'un disque qui parle de voyages et d'amour avec pudeur et fièvre.
Extrait choisi : I don't want to go home
2 juin - Isaac Delusion
Chacun abordera ce disque avec la sensibilité qui lui est propre. Certains retiendront avant tout son caractère globalement enjoué et sensuel - notons que même si l'électronique est évidemment reine ici, le soin apporté à la réalisation et la présence d'instruments acoustiques lui apportent une véritable chaleur -, d'autres le liront comme la bande-son rêvée, dans tous les sens du terme, des longues soirées de fête où l'on se croise et parfois se frôle sans toujours se rencontrer, des promenades en lisière d'océan ou sous les dunes sous des cieux gonflés de nostalgie.
Extrait choisi : A little bit too high
J'aurais dû détester ce disque avec ses textes mélangeant allègrement français et anglais, mais dès que je lui ai accordé de l'attention, je suis tombé sous le charme de ces chansons dont certains se sont plu à dénigrer la naïveté des paroles, qui me semble plutôt la recherche d'une certaine simplicité tranchant avec le caractère très étudié d'arrangements pensés et léchés dans les moindres détails. On aurait d'ailleurs pu craindre que ce côté très technique engendrât de la froideur, mais c'était compter sans une musicienne pour laquelle le corps est également un moyen d'expression et qui fait souffler sur les machines un souffle incroyablement organique.
Extrait choisi : Saint Claude
La trajectoire de The Antlers ressemble à une lente libération dont chaque album marquerait une étape, et les timides rayons de soleil que Burst apart (2011) avait fait entrer dans la chambre désolée de Hospice (2009) inondent généreusement Familiars qui, sans être franchement joyeux (on peut parier que les productions de ce groupe ne le seront que par accident), se distingue de ses prédécesseurs par une atmosphère presque sereine, qui se délivre peu à peu de la pesanteur comme d'une vieille peau. Un disque complexe qui regarde souvent du côté du jazz et entraîne l'auditeur, un peu à la manière de la Symphonie en ré mineur de César Franck, des ténèbres à la lumière.
Extrait choisi : Director
1 er août - Angus & Julia Stone
Extrait choisi : A heartbreak
8 septembre - Interpol, El Pintor
Extrait choisi : My desire
Chanson de l'année : Real Lies, North circular
Nous sommes d'accord, cette catégorie ne veut pas dire grand chose et désigner une chanson parmi les milliers qui sont produites chaque année à un petit côté aiguille dans une meule de foin assez ridicule. Disons plûtôt qu'il s'agit de la marque d'un vif intérêt à l'égard de ce jeune trio londonien formé en 2012 et qui a visiblement digéré pas mal d'influences en provenance des années 1980, comme, par exemple, celle de NewOrder. Instinctivement, c'est pourtant à West End Girls des Pet Shop Boys que me fait songer ce North Circular conçu comme une déambulation nocturne et embrumé qui hésite entre jouer les gros bras et s'affaler dans un coin pour aller cuver son excès de bière. Au bout de la nuit, on sait déjà que le réveil sera difficile quand le réel s'imposera dans toute son insignifiance. Les trois garçons de Real Lies restituent ce mélange de morgue et de désespérance avec intelligence et je me dis que doués, futés et crâneurs juste ce qu'il faut comme ils le sont, ils ont les moyens de nous surprendre dans les mois et les années à venir.
Révélation de l'année : John Grant
Queen of Denmark
Pale green ghosts
Live in Concert, avec le BBC Philharmonic