Palais des Glaces37, rue du Faubourg du Temple75010 ParisTel : 01 42 02 27 17Métro : République / Goncourt
Ecrit par Sophia Aram et Benoît CambillardMis en scène par Benoît Cambillard
Présentation : L’humoriste dépeint avec tendresse des personnages se débattant avec l’air du temps. Elle s’interroge sur l’état d’un débat public traversé par des idéologies et une actualité dramatique. Entre le chômage, le réchauffement climatique, Eric Zemmour, la montée du FN, Valérie Trierweiler et Charlie… il y a vraiment de quoi rire !
Mon avis : « Le fond de l’air effraie »… Tout le thème du nouveau spectacle de Sophia Aram est contenu dans cette assertion. Les deux années qu’elle vient de vivre ont en effet été particulièrement éprouvantes pour l’humoriste, tant sur le plan professionnel avec la cabale (Petit Larousse : « Manœuvres, intrigues qui visent à provoquer l’échec de quelqu’un ») qu’elle a subie lors de son talk-show sur France 2 à la rentrée 2013, que sur le plan affectif avec l’insupportable disparition de ses amis de Charlie Hebdo. Sacré bagage à trimballer.
Or, ce lourd bagage, la jeune femme va l’ouvrir devant nous et nous en exposer le contenu avec tout le recul nécessaire que permet son sens chronique de l’humour et son tempérament inoxydable de combattante. Tout de go, elle annonce d’ailleurs que c’est pratiquement « impossible de faire léger ». Pourtant, elle va réussir à nous faire rire pendant près d’une heure et demie avec des sujets qui, de toute évidence, ne sont pas vraiment drôles… Le fond de l’air effraie, certes, mais si on occulte un « fond » (que l’on n’est pas loin d’avoir touché) pour y mettre la forme, on peut s’en sortir. C’est donc ce que Sophia s’emploie à faire.
Si, comme l’a écrit Boris Vian, « L’humour, c’est la politesse du désespoir », on peut affirmer que Sophia Aram est très, très, très polie. Evidemment, athéisme proclamé oblige, elle n’ira jusqu’à proclamer que Dieu est humour, mais c’est à travers ce prisme qu’elle va traiter les différents événements qui ont ponctué sa/notre vie ces derniers temps… Pétulante et aérienne, avec son sens acéré de la formule qui fait mouche, elle se livre d’abord à une sorte de revue de presse avant de s’attarder un peu sur les deux plus grands succès littéraires de l’année, les ouvrages respectifs de Valérie Trierweiller et d’Eric Zemmour, avec extraits éloquents à l’appui. Savoureux !
Puis, ses formidables dons de comédienne et sa faculté à prendre n’importe quel accent aidant, elle se glisse dans la peau (et dans la tête pleine de bon sens) de sa tante Fatiha pour nous offrir un brillantissime contre-pied à un phénomène de mode actuel que je vous laisse le plaisir de découvrir… Sophia va ensuite alterner son show entre stand-up et incarnation de personnages. Elle revient sur son gadin télévisuel, décortique les différences patentes entre la Gauche et la Droite, analyse les dérives et les aberrations qui envahissent la toile par internautes interposés, évoque ses rencontres doublement lepénistes sur l’antenne de France Inter… Elle reprend l’accent québécois pour tenter d’expliquer ce qui peut motiver un Canadien à faire le djihad, puis l’accent des cités pour narrer la déception d’une jeune fille partie en Syrie rejoindre les combattants de l’Etat islamique… Sophia Aram est d’une logique implacable. Son sens de l’observation, redoutable, est illustré par des métaphores osées. Elle, elle appelle un chat un chat (quand on n’est pas croyante, les mots, eux, peuvent être crus)…
Le fond de l’air effraie... Ça fait froid dans le dos. Raison de plus pour ne pas se retourner et faire face. Ce qu’elle fait avec un courage énorme car elle en vient enfin à raviver les dramatiques événements du 7 janvier au cours desquels certains de ses plus proches amis ont pris au sens (pas vraiment propre) « Du plomb dans la tête » de la part de fanatiques en pleine « Crise de foi ». La douleur est encore trop vive. Alors, elle va utiliser à son tour ses talents de caricaturistes et de satiriste et parvenir à nous faire sourire avec l’indicible. C’est sa façon à elle de se/nous mettre un baume sur des plaies qui ne peuvent pas cicatriser. Et elle termine avec une apologie du droit blasphème (tout en respectant celui de croire) qui m’a donné à penser qu’elle venait d’inventer un nouveau type de femme engagée : la blasphemen !
Le fond de l’air effraie est un spectacle à part dans l’œuvre de Sophia Aram car il est plus personnel, plus intime. Pourtant, à l’instar des deux précédents, elle parvient à nous faire souvent éclater de rire. Ses mimiques, sa gestuelle, une voix qui distille les horreurs avec douceur, ses images audacieuses, ses propos iconoclastes, son sourire enjôleur et, surtout, sa totale sincérité font qu’elle nous fait vivre une fois de plus un grand moment de drôlerie, de finesse et d’intelligence.
Gilbert « Critikator » Jouin