Kuessipande Naomi Fontaine 3,5/5 (02-09-2015)
Kuessipan (109 pages) est disponible depuis le 20 août 2015 aux Editions Serpent à plumes.
L’histoire (éditeur) :
Kuessipan est le récit des femmes indiennes. Autant de femmes, autant de courages, de luttes, autant d'espoirs. Dans la réserve innue de Uashat, les femmes sont mères à quinze ans et veuves à trente. Des hommes, il ne reste que les nouveau-nés qu'elles portent et les vieux qui se réunissent pour évoquer le passé. Alors ce sont elles qui se battent pour bâtir l'avenir de leur peuple, pour forger jour après jour leur culture, leur identité propre, indienne.
Mon avis :
Native d’Uashat, village Innu situé dans la municipalité régionale de comté des Sept-Rivières au Québec, Naomi Fontaine choisit d’écrire un premier roman sur la réserve indienne qu’elle a quitté a 7 ans.
« La fierté est un symbole, la douleur est le prix que je peux payer. Et pourtant, j’ai inventé. J’ai créé un monde faux. Une réserve reconstruite où les enfants jouent dehors, où les mères font des enfants pour les aimer, où on fait survivre la langue. J’aurais aimé que les choses soient plus facile à dire, à conter, à mettre en page, sans rien espérer, juste être comprise. Mais qui veux lire des mots comme drogue, inceste, alcool, solitude, suicide, chèque en bois, viol ? J’ai mal et je n’ai encore rien dit. Je n’ai parlé de personne. Je n’ose pas. » Page 8
Pas d’intrigue, mais des bribes de vie dans un style minimaliste et pourtant étonnamment puissant. L’écriture est toute en simplicité mais se révèle poétique et très parlante.
On partage la vie du peuple Innu en enchaînant les chapitres de quelques lignes ou de 3-4 pages, sans progression ni lien direct entre eux, si ce n’est la volonté de parler de sa communauté. ET c’est un constat tout en nuances qui se dévoile au lecteur : les traditions toujours présentes, la force des femmes et l’esprit communautaire (la famille au sens large) côtoient la précarité et la misère avec l’alcoolisme, la consommation de drogue, les grossesses à répétitions dès l’adolescence (désirées ou non) et la pauvreté.
« Le risque de ne pas tomber enceinte est plus grand que celui de l’être. Elles veulent toutes enfanter. Dès qu’elles trouvent preneur, elles ne se protègent pas, elles attendent que leur ventre s’alourdisse. » Page 83
Cette construction en fragments ne conviendra pas à tous mais ce choix n’est pas pour autant préjudiciable au livre. Et même si une narration plus proche du roman classique et avec une « histoire » m’aurait plus séduite, je reconnais que cette structure révèle avec talent toute la complexité de la vie Innue.
Naomi Fontaine permet aussi de contempler un décor reculé magnifique et, sans tomber dans le folklore, de nous immiscer dans les coutumes et les mentalités de son peuple entre traditions, décadence et respect.
Un beau texte !
« Quelque part avant Tadoussak, planté entre deux montages, il y a un lac qui reflète les choses de la Terre. Sur la rive, un quai et des canots. Une cabane en bois qui fume à moins de neuf mètres. Personne qui se baigne. Lorsque les feuilles rougissent, le lac éclate dans des couleurs de feu. Il brûle. Quand la neige le recouvre entièrement, les canots disparaissent. Le lac ne réfléchit plus l’éclat d’un bleu céleste. Ne reste que sa pâleur et les milliers d’épinettes grises pour assurer sa beauté. » Page 44
« Elle travaillait chez elle, était beaucoup plus artiste qu’artisane. Elle nourrissait ses petits-enfants. Dévouée à son mari. Pieuse. Peu bavarde. Elle était grande, presque sévère, accoutumée à son rôle de femme. Parfois elle riait, elle était belle, comme si le bonheur l’avait finalement coincée et qu’elle ne pouvait en rien s’échapper. Le rire de ma grand-mère gravée à jamais dans mon enfance. » Page 81