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André Hemer : la peinture, du pigment au pixel

Publié le 12 septembre 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

Lorsque la vague du numérique a déferlé sur les rives de la peinture, la défiance s'est très vite installée. Face au geste authentique du peintre, confronté physiquement au support de la toile, que signifiait cette intrusion dont la seule identité n'était que fictive, dont la seule réalité n'était que virtuelle ?
Rapporté au processus de création linéaire qui laissait l'homme depuis des millénaires seul dans son face à face avec la paroi de la caverne puis avec le plan du tableau, le numérique venait bouleverser la pratique : l'ingérence d'une machine, l'ordinateur, encore porteuse de toutes les suspicions, l'utilisation possible de calques superposables, la sidérante facilité avec laquelle l'artiste du digital peut jouer, gommer, défaire, refaire, tous ces chefs d'accusation ont été soutenus pour discréditer l'idée même d'un art numérique à part entière.

André Hemer New Smart Object Plus #16, 2015

André Hemer New Smart Object Plus #16, 2015

Aussi, la présentation par la galerie Fatiha Selam à Paris d'un jeune artiste André Hemer   venu d'autres tropiques après avoir exposé à travers le monde, de la Nouvelle-Zélande à l'Australie, la Corée, Taiwan, l'Allemagne ou le Royaume-Uni, éclaire une voie originale mise en oeuvre ici.

Toile et toile

Appartenant à une génération pour laquelle le numérique s'offre comme un espace naturel, évident, André Hemer ne pouvait qu'être séduit par les possibilités de cette création sans  limites. En 2011, sa peinture Bleue Pole, fondée sur le QR code faisant référence au célèbre tableau de Jackson Pollock, a remporté le Prix National d'Art Contemporain au Musée Waikato, en Nouvelle Zélande. L'implication numérique est ici flagrante dans sa destination : la lecture du QR code mise en image dans son œuvre permet de suivre le lien Internet jusqu'à la National Gallery of Australia. Son exposition "Hyper/links"(2011) à la Physics Room de Christchurch en Nouvelle Zélande développait ainsi cette stratégie d'une sorte de "peinture augmentée" directement associée à la vocation de l'ordinateur et de la Toile. Mais la démarche d'André Hemer prend désormais toute sa spécificité dans la conjugaison qu'il décline entre art numérique et peinture. De quoi s'agit-il ?

Hybridation

L'artiste, partant d'une peinture épaissie avec de la poudre de marbre (produit spécifique auquel le fournisseur attribue le nom de Lascaux !) crée des formes dont le volume renvoie à une gestuelle héritée de l'aventure mémorielle de la peinture. Puis il traduit en image numérique ces productions matérielles. Commence alors un long travail de choix, de sélection d'images, de créations de calques qui décident de l'œuvre à venir. Au terme de cette nouvelle étape qui aboutit à une impression digitale assimilable à la toile du peintre, André Hemer retrouve sa palette, la matière épaisse de sa peinture pour parachever un tableau né de cette hybridation.

André Hermer 2015

André Hermer 2015

Le résultat de ce protocole bénéficie alors des possibilités respectives de chaque discipline. L'image numérique, générée à partir des formes en volume nées de la main du peintre, laisse au concepteur toute liberté de création, de repentir, le tout avec une aisance à laquelle la peinture ne peut pas prétendre. Puis le geste de la main directement appliqué sur cette toile déjà chargée d'une création première restitue à l'artiste redevenu peintre sa capacité sensitive, physique, pour décider de son rythme, de sa respiration, de son toucher.

Pigments et pixels

Après le charbon de bois de l'art pariétal, les pigments dans l'huile de lin des peintres flamands, la révolution du numérique peut donc trouver une voie de dialogue avec la peinture. L’acte de peindre prend un sens nouveau. André Hemer participe avec ses propres propositions à l'avènement de cette nouvelle peinture qui, plutôt que de refuser l'avènement du numérique pour préserver l'acte de peindre, plutôt que d'abandonner cette aventure millénaire au bénéfice d'un art digital, décide qu'un voie nouvelle est possible.
Le résultat de ce travail visible aujourd'hui à la galerie Fatiha Selam perturbe la perception. Entre la matière épaisse du tableau, travaillée sur l'image numérique, reproduite sur la toile et l'ultime apport du peintre sur ce tirage, le discernement  des plans, des volumes, des matières semble échapper au spectateur. Si bien que la description même de l'objet observé s'en trouve bousculée. Dans ce jeu de pigments et de pixels, la peinture n'en finit pas de cherche sa propre définition. André Hemer en résidence en France pour quelques mois repartira ensuite pour d'autres expériences à travers le monde. L'exposition de la galerie Fatiha Selam offre l'unique possibilité de découvrir les créations originales qu'il vient de réaliser à Paris dans cette recherche novatrice à la confluence de la peinture et du numérique.

Photos : André Hemer/Galerie Fatiha Selam

André Hemer
A hot mess
5 septembre – 17 octobre 2015
Galerie Fatiha Selam
58 rue chapon
75003 Paris


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