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Martin Amis, le rire comme une plaie au milieu du visage

Par Pmalgachie @pmalgachie
Hier soir, je suis tombé, un peu par hasard, sur le site de Chronicart, dont j'ignorais l'existence sous cette forme - élégante mais au détriment d'une circulation aisée entre les différents sujets (c'est l'air du temps, semble-t-il). Je me suis évidemment précipité, on ne se refait pas, sur les articles que j'ai pu y trouver à propos des romans de la rentrée. Et, miracle, je me suis senti moins seul... On finit, si l'on est d'une constitution normale, par éprouver quelques doutes quand on lit un peu partout les éloges quasiment unanimes sur les derniers livres de Christine Angot, Emilie Frèche ou Félicité Herzog. Alors qu'on n'en a soi-même dit, et surtout écrit, guère de bien. Que faut-il penser d'une position aussi éloignée de la majorité? Qu'on se trompe ou qu'on est totalement imperméable à l'influence des réseaux? Je ne sais toujours pas, à dire vrai. Mais du moins les articles de Chronicart rejoignent-ils mon avis sur ces trois romans. Je mentirais en disant que ça ne m'a pas fait plaisir. Martin Amis, rire comme plaie milieu visage En revanche, je ne suis pas du tout de l'avis de Ludovic Barbiéri qui, sur le même site, énumère toutes les faiblesses qu'il trouve au dernier roman de Martin Amis, La zone d'intérêt. J'ai beaucoup aimé ça, même si j'en suis sorti éprouvé - on le serait à moins, être plongé dans un camp d'extermination nazi ne ressemble pas à une partie de plaisir. Le paradoxe du roman, et quelques lecteurs semblent ne pas l'avoir perçu, est qu'il se veut - et qu'il est - drôle, non pour évacuer le tragique du sujet mais pour mieux le faire ressortir de la toile de fond, lui donner un sens peu commun. Libéré des figures imposées sur la Shoah, le romancier britannique provoque un rire qui est une plaie au milieu du visage, dans le trou d'une bouche aux horreurs. Les trois hommes dont les points de vue constituent les angles sous lesquels nous découvrons le camp - Auschwitz, qui n'est cependant pas nommé - ont des préoccupations diverses. Angelus Thomsen ne pense qu'à coucher avec Hannah, épouse du commandant Paul Doll, brute alcoolisée et caricature de salaud pour qui les ordres sont les ordres. Face à eux, presque perdu dans la foule des Juifs promis à la mort, Szmul, exécuteur de basses œuvres et de petits travaux. Petits à la mesure de la grande machine génocidaire... Celle-ci impose son fonctionnement comme le ferait un rouleau compresseur sous lequel les corps se tordent - de douleur ou de rire, on ne le sait pas toujours tant le ridicule est efficace pour montrer l'absurdité du projet nazi. Il y a ici tous les travers humains rapportés à la solution finale, c'est-à-dire amplifiés par la gravité du moment. Franchement, je préfère cela au roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes, qui étouffait sous le volume d'information. Faut-il, dès qu'il est question de la Shoah, prendre une mine de circonstance: grave? Je ne le crois pas indispensable. Et Martin Amis prouve qu'il est possible de toucher au cœur de cette question avec des moyens très différents.

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