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Le monde d’en bas

Par Livresque Du Noir @LivresqueduNoir

A propos du roman « Le monde d’en-bas »

Propos recueillis par Danièle Rousselier, historienne, écrivain et ancienne Directrice de l’Institut Français de Naples

Après « Vingt-sixième étage » qui a connu le succès que l’on sait (Prix de la Bibliothèque Nationale de France et du Fonds Handicap 2014), vous revenez au polar. Une façon de vous rassurer ?

Pas vraiment. Et pour de multiples raisons. D’une part, le polar contemporain, aux formes très diverses, s’est considérablement bonifié. La littérature noire d’aujourd’hui n’a rien à envier à la blanche. D’autre part, « Le monde d’en-bas » a été conçu avant « Vingt-sixième étage » et a dormi dans mon ordinateur près de quatre ans. Le genre polar ressurgit donc parce que qu’il y a meurtre et enquête, mais dans la construction et le style, il y a peu de différence avec un roman dit blanc. Et puis, le polar n’est-il pas un prétexte pour dire tout à fait autre chose qu’une simple intrigue policière ?

En effet, votre livre traite de l’Italie des années 70, « les années de plomb », mais on a l’impression à la lecture que l’histoire est actuelle.

C’est seulement le 22 juillet 2015 que la cour d’appel de Milan (Lombardie) a condamné à la perpétuité, deux responsables de l’attentat fasciste de Brescia qui avait fait 8 morts et une centaine de blessés en 1974. Avec cette décision, le moment de faire toute la vérité sur les “années de plomb” est arrivé, quarante ans après. Avec moins de passion, moins d’aveuglement idéologique, moins de manipulation. Reste que l’Italie de ces années-là a bel et bien constitué un champ expérimental pour la droite et l’extrême droite. L’histoire est aussi actuelle parce que le terrorisme, sous d’autres formes, est on ne peut plus actif.

D’ailleurs, vous citez Voltaire en tête de votre livre : « Toute secte, en quelque genre que ce puisse être, est le ralliement du doute et de l’erreur. ». Une clé de lecture ? Un avertissement ?

Le mécanisme psychique dans les groupes armés, de quelque obédience que ce soit, est le même. Le roman décortique l’approche de déracinement, le sentiment d’impunité, la justesse de la « cause », même devant le meurtre. L’idéologie et la religion ont cela en commun que les intégristes se confondent dans des sectes auto-justifiées et fermées au monde. Et c’est aussi un avertissement, car nulle famille ne peut se mettre à l’abri de ce phénomène. Fils, filles, jeunes en général, peuvent tomber dans le piège.

Dans le texte, on trouve des mots et des expressions en italien et en romagnol. Vous semblez bien connaître ces langues…

Non, je les baragouine, malheureusement. En fait, ma mère est née dans un petit village près de Rimini en Emilie-Romagne. Elle parlait parfaitement le romagnol, l’italien et le français. A la maison, ces trois langues cohabitaient sans problèmes. Les mots sortaient selon les circonstances dans l’une des trois langues. L’expression la plus courante chez ma mère, c’était : « Bruta bestia ! » (« Vilaine bête ! ») qu’elle criait par la fenêtre à mon adresse ou à celle de mon frère après une de nos frasques.

L’essentiel de l’intrigue se passe dans les sous-sols de Paris, comme si vous les connaissiez par cœur…

J’ai eu la chance de pouvoir visiter les sous-sols du Palais-Royal grâce à deux techniciens qui les connaissent par cœur. C’est un endroit extraordinaire, à l’échelle des projets des différents monarques qui se sont succédés sur ce site. Couloirs, galeries, alvéoles, caves, boyaux, égouts… Un véritable labyrinthe à dix mètres sous terre !

Pourquoi avoir choisi le monde souterrain ?

Le monde d’en-bas est une double métaphore. Celle de l’obscurité dans laquelle vivent les plus pauvres. Celle du monde secret des organisations illégales.

À travers une poursuite dans les profondeurs de Paris, vous posez de troublantes questions à propos de l’écriture et de l’histoire. Alors, une vie, une fois publiée, devient-elle plus vraie ?

Elle a tendance à se substituer à l’histoire vécue, avec les nombreux prismes propres à l’écrivain. L’Histoire avec un grand H ne peut pas se fier à la mémoire d’un homme, elle a besoin d’informations recoupées, vérifiées, solides. Sans cette exigence, il est très facile d’acheter son passé à bon compte en écrivant ses mémoires.

Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit à l’extraordinaire coup de théâtre du livre, on se demande qui manipule qui.

A la lecture des nombreux textes relatant l’épisode des Brigades Rouges, j’ai été frappé de constater que cette organisation avait été pénétrée par de nombreuses organisations secrètes. Qu’on en juge : la CIA, les services secrets italiens et est-allemands, la police, la loge P2… et sans doute d’autres. Aussi, les déclarations des acteurs de ce drame, même de bonne foi, sont à prendre avec des pincettes. J’ai voulu retranscrire cette réalité dans le roman en y introduisant un mécanisme supplémentaire. Mais, chut.

Et toujours de l’humour, un style direct avec une narration entrelacée. Des influences ?

Oui, bien sûr. Quel écrivain n’a pas été influencé par d’autres écrivains ? Pour moi, c’est Poe, Allais, Garcia-Marquez, Kundera, et puis, Simenon, Japrisot, Manchette, Chase… Je ne boude pas mon plaisir aussi de découvrir de nouveaux auteurs.

Chez vous, les bons personnages ne sont pas tout à fait bons et les méchants ne le sont pas vraiment. Vous ne dénoncez pas, vous ne jugez pas.

Non, jamais. Freud montrait dès 1920 qu’être homme, c’était porter l’inhumanité dans son humanité. Par ailleurs, depuis le début de mon aventure littéraire dans le roman noir, je délaisse les truands pour mettre en scène des personnages fragiles : des enfants abandonnés, un aveugle, et cette fois une naine. La plupart du temps, ils développent des talents que les autres n’ont pas et surtout, ils font comprendre que l’humanité est diverse, plurielle.

L’épilogue est à l’image du roman : inattendu et pourtant très logique. Comme dans les nouvelles de Poe justement.

Pour l’épilogue, j’ai pensé aux petits malins, comme moi, qui ne peuvent s’empêcher de lire les dernières pages en cours de lecture. Comme s’ils devaient échapper à une fatalité ou un sort jeté par l’auteur. Eh bien, le lecteur qui s’adonnera à ce stratagème ne comprendra rien à la chute, il sera obligé de lire jusqu’au bout. Ah, oui, j’ajoute que si le roman s’intitule « Le monde d’en-bas », on n’est pas obligé de faire le poirier pour le lire.


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