Gunter, le triste joueur aux dents du bonheur, Pablo, l'athlète en miettes, Jean-Charles, le vicaire sosie du pape François cocaïnomane, Damien le sorbonnard fou de foutre, Mylène l'acheteuse fiévreuse, Elizabeth l'aristocrate alcoolique, Mariette, l'ado complètement camée sont réunis en groupe de parole par Clarisse, une thérapeute pas très consciente du mélange détonnant qu'elle assied en rond, chaque semaine.
Quelles sont les clés de ces personnages - car je suis persuadée qu'il y a ? On entrevoit certaines ... L'essentiel est ailleurs : comment surmonter le déni de l'addiction, ouvrir la parole, laisser s'exprimer le désarroi, les idées parfois suicidaires, décrire la déréliction, la répétition compulsive sans but, sans résultat, sans plaisir.
On voit ces pauvres addicts progresser mais aussi rechuter lourdement. Clarisse n'en est pas surprise : la rechute est un moment essentiel du sevrage, une étape indispensable dans le processus de guérison de l'addiction. L'idée de la thérapeute est de rompre la solitude de ces pauvres loques. Elle va y parvenir, mais pas tout à fait comme prévu.
On pense a priori qu'on entre dans un livre de psychologie de bazar ... Quelle erreur ! Car la mécanique échappe bientôt à son initiatrice, dans un sabbat échevelé de situations granguignolesques, parfois bien gores ...
On se retrouve - pas très vite, hélas - embarqué dans un scénario à la Bunuel, ou dans l'humour à la Pulp Fiction, ou enfin chez Brett Easton Ellis avec la citation de grandes marques. C'est loufoque, flamboyant, totalement invraisemblable, coloré, irrémédiablement décalé et suprêmement immoral. Car ce n'est pas l'addiction qui pose problème, mais son financement. Et le groupe de parole va se muer en équipe de guerriers solidaires et sans pitié, superbement efficace. Une scène finale époustouflante, totalement délirante, en un mot : délivrante. Ainsi soit-il ...
Le loufoque des situations comme des personnages est "habillé" par le style étincelant de l'auteur. Héléna Marienské (mais qui se cache derrière ce pseudo ?) s'immisce tour à tour dans le discours de chaque héros avec une facilité diabolique. C'est un exercice de style, jouissif à lire, même si c'est totalement irréaliste ... Oh pardon ! Je devrais dire plutôt surréaliste ?
Les ennemis de la vie ordinaire, roman d'Héléna Marienské, Flammarion, 318 p. 19€