« Les nuits où je ne dormais pas, j’ouvrais le velux et je m’installais sur le toit, j’étais le seul dans la cité à jouir de ce privilège, passer la nuit à la belle étoile, dans le plus grand secret. Le ciel était-il le même ici qu’au Portugal, les constellations étaient-elles visibles depuis la lucarne de la prison de Peniche où mon père avait été enfermé ? »Nous vivions avec Max quand j'avais douze ans .... nous dit l'enfant au début de la première partie. Mais quel âge a-t-il quand il écrit ? Sa manière de s'exprimer ne m’a pas semblé être celle d'un enfant. Sa pensée est ordonnée comme celle d'un adulte qui convoque ses souvenirs et qui reconstitue l’enchainement des évènements après-coup. Il inscrit décédé sur les fiches de renseignements scolaires sans oser demander l'origine de la mort de son père (p. 60).
En ce début des années soixante-dix, Olivio et sa mère viennent de fuir la dictature portugaise. Ils s’installent dans une banlieue lyonnaise et emménagent bientôt chez Max, un rapatrié d’Algérie, avec qui ils espèrent un nouveau départ. Alors que Max accepte mal l’adolescent, Olivio se lie à Ahmed, un immigré algérien de son âge, auprès de qui il trouve tendresse et réconfort.
Au fil des différentes parties, l’enfant commence à démêler ce qui relève de l’histoire familiale de ce qui a été précipité par l’Histoire. En toute logique il ignorait que le Portugal vivait sous un régime dictatorial. Il ne peut pas se douter qu’une Révolution libératrice se produira quelques années après que sa mère ait décidé de quitter Lisbonne.
J’ai regretté que Brigitte Giraud n'ait pas donné de titre à chacune des quatre parties, ne serait-ce que pour que nous disposions par exemple d’indices chronologiques.
Océano est le nom du chat qui va aider le gamin à supporter le départ du Portugal, la mort du père et lui permettre de s'habituer à son nouveau pays, la France. Bientôt un autre papa s'impose dans la vie de sa mère qui semble plus heureuse. Peut-on pour autant parler de famille recomposée ? On sent beaucoup de frustrations et d'angoisses. Surtout quand son animal de compagnie est interdit de séjour dans la nouvelle maison où la mère et l'enfant se sentent "des étrangers".
Ce couple est bâti sur le regret de leurs mondes disparus, le Portugal pour elle, l'Algérie pour lui (p.112). Mais étaient-ce des mondes compatibles ?
L'enfant pointe à demi-mots des incohérences entre le discours de son beau-père, Max, qui affronte les éléments pour réparer des lignes haute-tension et son comportement quand il a peur de monter sur une échelle pour couper une branche.
La mère tente de maintenir sa bonne humeur. Elle devient experte en arrondissage des angles, quoiqu'il arrive, à l'usine comme à la maison. Elle fait tout ce qu'elle peut pour ne jamais provoquer d'éclat, quitte à s'enferrer dans une position d'infériorité. On devine qu'un orage pourrait à tout moment éclater parce que la personnalité de Max comporte une part d'ombre malgré tous les aspects positifs énumérés par le petit garçon qui est le premier à avoir des doutes confus.
Arrive le mois d'avril 1974 et la Révolution des œillets qui met fin à la dictature au Portugal. La famille est au comble de l'excitation. Sauf Max qui compare toujours à ce qui s'est passé en Algérie dont l'indépendance apparaît en filigrane.
La liberté de circulation permet à Olivio de retourner dans son pays d'origine avec son oncle et sa tante. Et de se recueillir sur la tombe de son père (p. 162). Le deuil va pouvoir commencer.
Mais un décalage subsiste, que l’enfant ne s'explique pas, entre ce qui se vit à la maison et le silence de son professeur d'histoire, bloqué au siècle des lumières, imperméable à l'actualité contemporaine. Brigitte Giraud nous offre sur le sujet de très belles pages (p. 179 et svtes) qui répondent à la question que j'ai entendue dans le titre du livre, même si la fin un peu énigmatique laisse entendre que l'héroïsme n'est peut-être pas là où on le croit.
Nous serons des héros, de Brigitte Giraud, Éditions Stock, août 2015