Citoyens clandestins de DOA (pseudo de l’auteur qui signifie Dead On Arrival – Mort à l’arrivée) est un pavé de 700 pages. Un roman tentaculaire aux personnages multiples dont les récits s’entrecroisent pour –grand classique du genre thriller- converger à la fin de l’ouvrage. L’histoire se construit donc à travers les points de vue des personnages principaux : Amel, la jeune journaliste maghrébine, mariée depuis peu ; Lynx, l’exécuteur des basses tâches, féru de musique et non dépourvu d’émotions, et Fennec, alias Karim, policier infiltré dans un réseau salafiste.
Ces trois là occupent une place à part dans la société qui les entoure, ce sont, chacun à leur façon, des clandestins : le Capitaine infiltré a bien du mal à ne pas perdre la raison, tiraillé entre les chefs du réseau djihadiste qu’il a intégré et ses supérieurs hiérarchiques, il n’a presque jamais l’occasion d’être lui-même. Lynx essaie de garder la tête froide à l’aide de la musique mais son statut de fantôme (une seule personne connaît son existence et son identité) lui pèse et il ne cesse de se demander s’il ne serait pas temps pour lui de tout laisser tomber. Amel enfin, tergiverse tout au long du roman: doit-elle se satisfaire de sa vie de femme mariée, un peu plan-plan mais tellement sûre et confortable ou doit-elle se bousculer, se mettre en péril pour apporter à sa vie ce sel qui lui fait défaut ? Pour appréhender le monde qui l’entoure et entrapercevoir la face cachée de l’iceberg ?
Autour de ces trois protagonistes gravitent une galerie de personnages plus ou moins glauques, imam radical, jeune banlieusard fanatique, dealers, flics de la PJ, des renseignements, journalistes véreux, militaires, paparazzi. Tous participent à cette histoire cruellement d’actualité. L’histoire ? Un réseau islamiste a mis la main sur un fut de dioxine (idéale pour la confection d’une arme chimique redoutable) quelque part en Syrie et tente de mettre au point une attaque terroriste à Paris. On suit donc l’avancée de leur plan mais aussi tout ce qui est mis en oeuvre pour tenter de les arrêter.
J’ai fini la lecture de ce roman le 5 janvier de cette année et, si je l’ai apprécié, ne l’aurai pas critiqué sans les tragiques évènements qui ont bousculé la France entière à cette même époque. Incroyable comme cette histoire romanesque écrite en 2007, prix de littérature policière la même année, résonne de façon inquiétante après l’horrible attentat contre Charlie Hebdo. Les parallèles pullulent entre fiction et réalité : ces intégristes, adeptes d’un djihad jusqu’au-boutiste, font froid dans le dos. Ces flics prêts à tout pour déjouer les futurs attentats sans toutefois mouiller le gouvernement (car l’arme est française !) sont effrayants.
DOA y évoque le mécanisme de radicalisation : ceux qui pensent avoir tout raté jusqu’alors (vie familiale, échec scolaire, passage par la case prison) trouvent enfin, dans cet idéal guerrier, une raison d’être. Ils découvrent qu’ils peuvent aussi être bons à quelque chose. Et ils s’accrochent donc subitement à exceller, tirant une fierté à être les seuls à comprendre l’Islam, à en appliquer rigoureusement les préceptes erronés qu’on leur a inculqués. Et ce jusqu’à l’absurde. Jusqu’à la mort.
DOA se penche aussi sur la guerre des Polices qui profite aux apprentis bombeurs pour passer entre les mailles des différents filets. Les renseignements obtenus sont gardés secrets, on ne divulgue rien ou si peu des enquêtes en cours. La coopération est un mot qui paraît ne pas exister. Ainsi, à deux ou trois reprises, le lecteur découvre, mi amusé mi déconfit, des filatures doubles voire triples. Des flics qui suivent des flics qui surveillent un flic infiltré !
Le roman paraît très bien renseigné (un lexique est d’ailleurs présent à la fin du livre pour s’y retrouver parmi tous les acronymes des différents services) Tellement qu’il est difficile de discerner le vrai du faux et cela est troublant. Roman ou documentaire ? Mais alors, combien d’attentats sont déjoués sur le sol français sans que nous ne le sachions ? Par quel biais ? Cette mésentente des services de Police est-elle factuelle ? Des armes de destruction massive peuvent-elles entrer en France « aussi facilement » ? Existent-ils des nettoyeurs, façon Léon, chargés d’éliminer des individus dangereux sans passer par la case Justice, à l’instar de Judge Dredd ?
Flippant. A lire.