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Voir avec les yeux du coeur

Par Carmenrob

Un voyage au pays lumineux d’une non-voyante, une intrigue autour d’un fabuleux diamant, une démonstration de propagande nazie, une page d’histoire tragique, voilà ce que nous propose, et bien plus encore, Toute la lumière que nous ne pouvons voir, l’oeuvre d’Anthony Doerr, gagnante du  prix Pulitzer de la fiction 2015.

Le récit s’ouvre sur une pluie de tracts tombant sur Saint-Malo et invitant les habitants à se réfugier en campagne. Le lendemain, 8 août 1944, les bombardiers américains entreprennent de déverser sur la ville historique une pluie de feu et de fer visant à anéantir les défenses allemandes. Une jeune fille aveugle, Marie-Laure, est demeurée seule dans l’immeuble du 4 rue Vauborel. À quelques pas de là, un jeune soldat allemand, Werner se terre dans une cave d’hôtel.

Puis on fait un bond en arrière. 1934. Âgée de 6 ans, Marie-Laure, orpheline, perd graduellement la vue. Son père l’amène au Musée de minéralogie où il agit à titre de gardien des clés. On y conserve aussi un précieux diamant dissimulé dans un ingénieux dispositif créé par père de Marie-Laure. Durant ce temps, en Allemagne, Werner, lui aussi orphelin, se passionne pour la transmission de la parole et de la musique par la voie des ondes. 

Voir avec les yeux du coeur
 1940. Marie-Laure fuit Paris avec son père. Werner est recruté par la Wehrmacht qui a détecté son talent dans le domaine de la radio. Sans relâche, la guerre se déploie dans toute son horreur. Leur destin se croisera dans les ruines de la ville. 

Le récit, habilement agencé, nous promène d’une période à une autre, d’un pays à l’autre, à coups de petits chapitres serrés, deux ou trois pages, pas plus. Des fils se tissent entre les êtres, par-dessus les frontières, par-dessus l’effroi. Des fils formant une sorte de toile qui préservent ce qu’il y a encore d’humain dans les êtres, malgré les extrémités auxquelles les pousse la guerre. Les éléments épars s’emboîtent graduellement pour construire un tout cohérent et ingénieux, à l’image des petites constructions imaginées par le père de Marie-Laure. Doerr nous fait ressentir avec acuité l’univers sensoriel et riche de Marie-Laure tout comme le désarroi de Werner que la pensée fasciste terrorise. Le style est concis, parfois minimaliste, mais d’une dangereuse  efficacité.  Et émaillé de bien belles formules. «La rotation de la nuit sur ses chevilles silencieuses.» ou «Même quand il dort, les trains sont en mouvement – catapultes de l’Histoire qui passent avec fracas.» ou encore «Ce n’est pas plus compliqué que le cerveau humain, dirait Étienne, cerveau qui est sans doute ce qu’il y a de plus complexe au monde: un kilo humide où tournoient des univers.»

Cette oeuvre est d’une telle richesse et d’une telle sensibilité que je la relirai une deuxième fois, comblant mon besoin de lecture en cette deuxième tranche de notre séjour européen.
Anthony Doerr, Toute la lumière que nous ne pouvons voir, Albin Michel, 2015, 582 pages


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