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« on a le choix entre changer de cépage ou changer de vin »

Par Blanchemanche
#vindeBourgogne #JeanClaudeRateau
ÇA CHAUFFE DANS
LES VIGNOBLES

Textes : Vincent Remy et Jérémie Couston Photos : Léa Crespi
Excellent vigneron à Beaune, en Bourgogne, Jean-Claude Rateau est aussi un expérimentateur. Président du Gest (Groupement d’étude et de suivi des terroirs), il prône deux pistes contre le réchauffement : une manière plus libre et plus diversifiée de conduire la vigne, et le recours aux vieux cépages bourguignons.
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Pour que le vin de Bourgogne garde son identité, mise à mal par la chaleur qui rendle raisin trop sucré,Jean-Claude Rateau prônele retour aux variétés anciennes.
Le clos des mariages
« Nous sommes au nord-ouest de Beaune, près de l’embouchure de la vallée de Savigny, creusée il y a vingt mille ans, à la fin de la dernière glaciation, d’où ce sol de gros graviers de calcaire, très peu profond, qui stocke la chaleur. Lors de la canicule de 2003, les grappes ont brûlé sur tout un côté. Cette année, les pluies hivernales ont boosté la vigne mais la chaleur de mai à juillet a fait tomber presque toutes les feuilles. Depuis dix ans, la vigne est constamment stressée par l’instabilité du climat. Or, le système bourguignon — des vignes basses, très serrées — produit certes des vins de grande qualité, mais ne nous permet pas de lutter contre le réchauffement. Ce système est le produit d’une histoire : pendant des siècles, la vigne était “en foule”, anarchique, serrée, il n’y avait pas de rang, quand un pied mourait, on prenait une branche, on la mettait dans le sol, c’était un “provin”. Après le phylloxéra, en 1880, qui a détruit toute la vigne, on est reparti de zéro, on a inventé le rang et le palissage sur fil. Une révolution, on pouvait passer à cheval au milieu du rang, de 1 mètre de large, labourer, gagner du temps ! Quand on a mécanisé la viticulture, les autres régions ont écarté les rangs pour faire passer de petits tracteurs, mais nous, on est resté avec notre écartement de 1 mètre et nos vignes basses. Et on a inventé un tracteur enjambeur, dangereux et pas pratique, puisque la charrue est entre les roues, on roule sur ce qu’on vient de labourer… Face au réchauffement, il va falloir faire évoluer nos pratiques ! »
« ON A LE CHOIX ENTRE CHANGER DE CÉPAGE OU CHANGER DE VIN »Photos by Eben Lillie
Des vignes hautes, en  « lyre »
« Sur les “hautes côtes” de Beaune, aux Monchots, nous sommes cernés par la forêt, proches des chevreuils et des faisans. Il y avait une vigne ici, j’ai arraché deux rangs sur trois, et le rang restant, je l’ai monté en hauteur, à 2 mètres, sur ces piquets en forme de Y. Avec ce système de la “lyre”, inventé il y a quarante ans par un chercheur de l’Inra, Alain Carbonneau, les raisins sont bien aérés, exposés à la lumière, ou protégés des grosses chaleurs si on laisse retomber le feuillage. Le travail du sol est facile, on peut faire pousser toutes sortes d’herbes, qui protègent le sol de la chaleur, ou les couper en cas de sécheresse pour faire un paillis qui retient l’humidité. En Alsace, un vigneron adepte de l’agroforesterie, qui prône le mélange des arbres et des cultures, a même planté des acacias entre les rangs, ce qui crée un ombrage. Mais si l’ATVB, Association technique viticole de Bourgogne, expérimente, non loin de ma parcelle, tous les types de culture de la vigne, notre profession interdit désormais les nouvelles cultures en lyre ! »« ON A LE CHOIX ENTRE CHANGER DE CÉPAGE OU CHANGER DE VIN »Photos by Eben LillieLes vieux cépages
« La seconde piste, pour lutter contre le réchauffement, c’est de réfléchir aux types de cépage qu’on utilise et en changer. Car la Bourgogne pratique le mono-cépage, chardonnay pour le blanc et pinot noir pour le rouge. Ces deux grands cépages bourguignons sont des champions. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il a existé des centaines de variétés de pinot noir ! Dans toute l’Europe, les cépages sont nés de vignes sauvages. Depuis le Moyen Age, les paysans utilisaient les résidus de récolte comme engrais, donc répandaient des pépins. Quand un pépin germait et donnait une belle vigne, ils la multipliaient, lui donnaient un nom. Mais les variétés étaient infinies. Et ces pinots anciens se sont croisés avec le gouais blanc, cela a donné le chardonnay, l’aligoté, le gamay, et même le melon de Bourgogne, devenu… le muscadet en Loire-Atlantique ! Porté par les moines, le pinot noir a même essaimé partout en Europe, en Italie (le lagrein), en Autriche (le saint-laurent)… »« ON A LE CHOIX ENTRE CHANGER DE CÉPAGE OU CHANGER DE VIN »À la recherche du pinot perdu
« Le phylloxéra a détruit les vignes sauvages, et donc de très nombreuses souches. Heureusement, depuis, la vigne a repris ses mutations, on voit des changements de couleur sur une grappe, des pinots gris, violets, bleus, une étonnante diversité génétique. Mais avec le système du clonage, on a privilégié dans les années 1960 des pinots standardisés, ceux qui produisaient de la couleur et de l’alcool. Aujourd’hui, avec le réchauffement, on a le choix entre changer de cépage… ou changer de vin. Car en 2003, on a obtenu des vins magnifiques, mais pas bourguignons du tout, épicés, alcoolisés, on croirait des côtes-du-rhône ! Homme de l’Est, je préfère la fraîcheur, l’acidité… Pour garder l’identité des vins de Bourgogne, il nous faut donc tester nos vieilles variétés, ou même des cépages étrangers nés du pinot, pas pour changer à 100 %, mais pour les mettre en complantation avec nos pinots clonés, pour trouver de nouveaux équilibres. Car le clonage est monolithique, c’est une hérésie. Retournons vers la complexité, et qu’on nous laisse libres de travailler sur notre patrimoine génétique. Grâce à l’ATVB, nous allons tester notre collection de vieux cépages. Nous ne sommes pas encore dans l’urgence, c’est une histoire de vingt ou trente ans… » •« ON A LE CHOIX ENTRE CHANGER DE CÉPAGE OU CHANGER DE VIN »
    Rateau Jean-Claude EarlVignobleAdresse : 26 Route de Bouze, 21200 BeauneTéléphone :03 80 22 46 16
http://www.telerama.fr/promos/muse/vignerons/

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