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Cinéma : La loi du marché - Stéphane Brizé

Publié le 02 octobre 2015 par Paulo Lobo
C'est un film triste. Je dirais même plus : c'est un film très triste. Pas une once d'espoir, pas une éclaircie dans le parcours de Thierry, cinquantenaire taciturne et modeste, qui, après 18 mois passés au chômage, accepte un poste de vigile dans un supermarché et est amené à surveiller clients et collègues. Mission difficile et ingrate que celle du bourreau qui assiste impuissant à l'effroyable mesquinerie du système - mission pénible et en même temps d'une banalité affligeante.
C'est une France pâle et livide, extrêmement mal dans sa peau, que nous décrit Stéphane Brizé. Le temps est moche et gris, les images sont ternes et délavées, les êtres sont broyés et résignés. Personne ne rit vraiment, tout le monde a le sourire triste. C'est le temps des chômeurs et des piétinés qui ne pensent même plus à se révolter.
Le film raconte, un peu dans la tonalité d'un reportage de télé-réalité, comment cet homme de 50 ans, "chef" de famille, mari d'une belle femme et père d'un enfant handicapé, en vient à accepter des situations de plus en plus humiliantes et dégradantes. Tournant le dos aux conventions de la fiction romanesque, le réalisateur opte pour un suivi quasi documentaire, avec une sorte de distanciation cérébrale qui par moments fait un peu froid dans le dos. L'émotion est cependant bien présente dans le film, mais elle n'est jamais assénée à grands coups d'effets dramatiques; elle est là, en filigrane, et repose grandement sur l'interprétation très intériorisée de Vincent Lindon. Le récit avance avec moult non dits et ellipses, s'articulant en de longs plans séquences consacrés à différents morceaux choisis du chemin de croix du "héros" : Thierry face au fonctionnaire Pôle Emploi, Thierry à table avec sa famille, Thierry avec ses anciens camarades syndicalistes, Thierry apprenant à danser avec sa femme, Thierry face aux différents "voleurs" pris en flagrant ...  
"La loi du marché" dérange, on a un sentiment de frustration à la fin du film, on aimerait que le héros ne subisse pas aussi passivement tous ces coups de massue, on aimerait qu'il se réveille un peu, comme dans les blockbusters américains, qu'il s'oppose, qu'il intervienne, qu'il cogne... façon "The wrestler", quoi, quitte à être déchu, autant le faire avec panache !
Mais on est dans un film réaliste français, et donc Thierry acquiesce à tout, poliment. Enfin, presque à tout, il ose bien une esquisse de révolte ici et là, mais reste en général dans l'understatement.
"La loi du marché" n'est pas fait pour divertir ou pour positiver. Le réalisateur a évacué de son propos toute ornementation, tout humour, tout lyrisme, car il veut avant tout faire une oeuvre engagée et accusatrice. Stéphane Brizé met en cause, non pas les individus (tous des victimes plus ou moins consentantes), mais l'engrenage sociétal qui les conditionne et qui fait qu'ils finissent par perdre toute sensibilité et empathie, obéissant aveuglément aux règles établies par la matrice économique.
Bon film donc, si on l'accepte pour le pamphlet qu'il est, mais en matière de positionnement cinématographique contre un système social injuste, permettez-moi de préférer des propositions moins conceptuelles et plus humaines, telles que "Modern Times" de Charlie Chaplin, "Miracle à Milan", de Vittorio De Sica ou "Affreux, sales et méchants" d'Ettore Scola.   
Ici, mis à part le jeu extraordinaire de Lindon, je coince un peu avec l'option cinéma-réalité vue en gris...
Cinéma : La loi du marché - Stéphane Brizé 

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