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Tous des fauves

Publié le 06 octobre 2015 par Davidme

Screen Shot 2015-10-05 at 5.21.18 PM« Je ne crois pas aux écrivains, mais à leurs histoires », s’amuse souvent Erri De Luca, dramaturge et écrivain italien. De fait, comme toute règle, celle-ci souffre d’une exception. Affirmons ici qu’il est à la fois possible de croire à un écrivain et à ses histoires. Celle, entre autres, qui fait aujourd’hui naître cette exception, c’est Ingrid Desjours (Echo, Potens, Sa vie dans les yeux d’une poupée et Tout pour plaire…) avec son dernier roman « Les fauves », publié dans la collection La bête noire chez Robert Laffont.
Simplement, parce qu’avec ce livre, Desjours réussit la prouesse de nous faire croire à son destin d’écrivain avec encore plus de certitudes que d'habitude et nous fait aussi aimer son histoire. Noire, réelle, puissante et évocatrice.

Le pitch est simple : Haiko, jeune journaliste écorchée vive, dirige une ONG qui veut soustraire à l’influence djihadiste des jeunes qui s’apprêtent à partir en Syrie pour faire la guerre sainte. Evidemment, pour y parvenir, l’association a des méthodes un peu musclées et Haiko est la cible d’une fatwa. Un jour son amie, Nadia qui travaille avec elle à l’association est sauvagement assassinée. Là, tout se complique pour Haiko, elle fait appel à un garde du corps : Lars, un ancien militaire torturé, pour la protéger. Problème : cela va aller de mal en pis.

A partir de ce démarrage, Desjours tisse sa toile pour nous faire à la fois découvrir les failles béantes et terribles de ses personnages, très travaillés et attachants, mais aussi, la toile de fond d’un monde toujours plus violent où l’intégrisme religieux s’installe. Haiko est une idéaliste, pleine de volonté, de courage et de liberté. Elle ne supporte pas la compromission. Elle est pure. Et pourtant, le monde l’oblige à user de méthodes particulières pour lutter. Lars, lui, est taiseux, brisé de l’intérieur, peu accessible, mais loyal. Mieux qu’une galerie de personnages, le livre les met en scène dans la France et le monde d’aujourd’hui. Ce monde post – attentats de Charlie Hebdo et de l’HyperCacher, ce monde de l’Etat islamique, ce monde si mal en point.

C’est la conjonction de ses personnages et de cette toile de fond saupoudrée avec tact (ce n’est pas un livre de journaliste, mais une fiction) qui font des « Fauves » un roman noir puissant. Un vrai roman noir. De ceux qui, comme les livres de Jean-Patrick Manchette, de Thierry Jonquet ou de Jean-Claude Izzo, interpellent en donnant un plaisir fou. Interpellent sur le monde, sur ce que nous vivons, sur ce que nous allons devoir affronter, mais aussi procurent des émotions rares. Ces émotions étonnantes qui nous font aimer la noirceur terrible des personnages ou la sensation d’irréversible qui les submerge.

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Tout au long de la lecture, Desjours malmène ses personnages, les fait parler et fait osciller son lecteur entre l’excitation de l’intrigue et la terreur de l’irréversibilité des choses concernant notre monde. Ce livre est une peinture noire et impressionniste passionnante des passions animales des hommes.

Ce qui fait également la force de ce Roman Noir, c’est le fait qu’Ingrid Desjours ne se pose pas en auteure engagée. Là n’est pas le propos. Elle raconte une histoire qui a pour toile de fond notre monde. Elle laisse le lecteur juge. C’est ce qui nous permet de croire à la fois à ses histoires et à sa fonction d’écrivain. Une position qui ne l’empêche pas d’émailler son livre de citations très justes d’Antoine de Saint-Exupéry, d’Antonio Gramsci, de Noir Désir, de Damien Saez ou encore de Lhasa de Sela. Tous à des degrés divers sont d’ailleurs assez proches des personnages. Libres.

Entre écrire mal sur son nombril et prendre le monde comme creuset d’histoires en tout genre, il faut choisir. Desjours a choisi. Le monde est son terrain de jeu. C’est dans ce monde brouillé et terrible que ses personnages vivent des histoires folles. Avoir en France des écrivains de ce calibre est une joie chaque fois renouvelée.

Alors, laissez-vous tenter, vous aussi, devenez un fauve.

Les fauves m'ont parfois fait penser aux loups....

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