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[Critique] SICARIO

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] SICARIO

Titre original : Sicario

Note:

★
★
★
★
½

Origine : États-Unis
Réalisateur : Denis Villeneuve
Distribution : Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin, Victor Garber, Daniel Kaluuya, Jon Bernthal, Raoul Trujillo, Maximiliano Hernandez…
Genre : Thriller
Date de sortie : 7 octobre 2015

Le Pitch :
Kate, une jeune recrue du FBI, est enrôlée par un groupe d’intervention, pour agir à la frontière entre les États-Unis et le Mexique et ainsi contrer les agissements des cartels du trafic de drogue. Guidée par un mystérieux consultant, l’équipe se lance dans un périple clandestin en forme de plongée en apnée dans les méandres d’un véritable cauchemar…

La Critique :
On peut légitimement penser que Sicario traite d’un sujet plusieurs fois abordé au cinéma et plus particulièrement par les américains. Pourtant, en réalité, pas tant que cela. Focalisé sur une zone réduite, à savoir la frontière entre les États-Unis et le Mexique, le film tend notamment à utiliser l’ambiance violente qui est devenue le quotidien des autochtones, pour en faire la toile de fond de son intrigue. Il s’efforce de décrire l’horreur qui s’est presque tragiquement banalisée. Au fil de scènes en apparence anodines, de regards échangés, remplis de peur, mais aussi d’une résignation malsaine, il traduit l’ampleur d’un problème qui, au fil des ans, a transformé la région en zone de guerre.
C’est au sein de cet univers que Denis Villeneuve propulse Emily Blunt. Son personnage découvre la barbarie des « méchants » de l’histoire. Des sauvages sans visage, dont les exactions au cœur même d’une Amérique gangrenée, prouvent leur toute puissance de l’autre côté de la barrière qui sépare les deux pays. Kate, le personnage de l’actrice, est une idéaliste. Elle sait encaisser, garde son sang froid, a l’estomac bien accroché, et pense réellement que la vapeur peut être renversée. À son grand dam, et relativement vite, elle découvre néanmoins sa vraie nature, comme le lui précise Benicio Del Toro a un moment clé du long-métrage. Sicario raconte en cela la perte de l’innocence, via la destruction d’une certaine naïveté. Comme Hugh Jackman dans Prisoners, qui au contact d’une situation extrême, adoptait un comportement extrême, Emily Blunt réagit par rapport à la violence des actes dont elle est le témoin et auxquels elle prend part. Pas de la même façon que le personnage de Jackman, mais au fond, le constat est le même. Avec Sicario, Villeneuve poursuit sa réflexion sur la déliquescence d’un pays qui en façade réaffirme sa toute-puissance, mais qui en coulisses, reconnaît son impuissance à jouer selon les règles pour remporter la victoire.
Il n’y a donc pas plus de manichéisme ici que dans Prisoners ou même que dans Enemy. C’est ce que découvre Kate. Tout n’est pas blanc ou noir. Le monde n’est constitué que de plusieurs nuances de gris, et souvent, le gris vire au rouge sang.

Sicario-Josh-Brolin-Benicio-Del-Toro

Où va s’arrêter le réalisateur Denis Villeneuve ? Présent à Cannes cette année, ignoré par le jury, il a néanmoins mis la Croisette à ses pieds avec son dernier film. Une œuvre complexe qui brille avant tout par son intensité. Dès les premières minutes, notamment grâce à la musique Jóhan Jóhannsson et à la photographie du génial Roger Deakins (connu entre autres choses pour son boulot chez les frères Coen), Sicario prend à la gorge. Chez Villeneuve, même si le calme règne, le danger n’est jamais bien loin et ce qui demeure redoutable, c’est qu’on ne sait jamais vraiment d’où il va venir et de quelle façon il va se manifester. Magnifique illustration de cet état de fait, l’introduction du film est un modèle d’efficacité. En surfant sur le scénario de Taylor Sheridan (qui jouait le shérif dans les premières saisons de Sons of Anarchy), lui aussi grandement responsable de la réussite de l’ensemble, Villeneuve fait parler la poudre et prouve si besoin était la précision chirurgicale de sa mise en scène. Chez lui, tout est millimétré et rien n’est laissé au hasard. À tomber par terre, la mise en bouche de Sicario donne le La de tout ce qui va suivre. Que ce soit quand John Brolin, Emily Blunt et Benicio Del Toro progressent l’arme au poing, ou lorsque la tension naît des regards et des conversations entre eux, durant lesquelles l’intrigue s’effeuille lentement jusqu’à dévoiler ses véritables intentions.
Parfaitement calibré, reposant sur un dosage impressionnant entre action pure et dramaturgie étouffante, le long-métrage n’y va pas avec le dos de la cuillère mais ne fonce pas non plus aveuglément droit dans le mur. Tout est pensé pour servir l’histoire. Chaque image a visiblement été désirée et s’intègre ainsi dans un ensemble cohérent et pertinent. De ces longs plans de paysages désertiques menaçants, à ces scènes de vie, rien n’est innocent, et à la fin, tout fait écho à la terrible vérité.

L’une des forces de Denis Villeneuve est de savoir ménager ses effets. L’homme sait construire un suspense comme personne et, fin du fin, sait aussi s’y prendre quand il est question de filmer des fusillades, sans sombrer dans des automatismes barbares. Il reste lisible en permanence et retombe toujours sur ses pieds. Ses partis-pris, si ils peuvent décontenancer, notamment car ils font du film, une partition à part, dans le paysage cinématographique actuel, contribuent à faire de Sicario une véritable et authentique expérience de cinéma. Très immersif, sans pitié, ce voyage au cœur de l’enfer sonne aussi avec une universalité certes, plutôt difficile à admettre, mais néanmoins bel et bien réelle.
Car tout compte fait, Sicario n’entend pas uniquement parler de trafic de drogue. Il s’intéresse moins à la guerre entre les gentils flics et les méchants barons de la drogue, qu’à l’état d’un monde en proie à un conflit qui a gagné les rues. Grand thriller paranoïaque aux accents politiques, Sicario déroule son intrigue, imperturbable. Il ne cède ni aux modes, ni aux attentes du public, qui, il le sait, va de toute façon être soufflé. Il prend à la gorge et ne cesse de resserrer son étreinte deux heures durant, nous laissant, alors que défile le générique de fin, dans un état d’hébétude d’autant plus appréciable qu’il devient de plus en plus rare.

Sicario est un film entier. Une œuvre glaçante et choquante, visuellement superbe. Pour ce qui est des acteurs, c’est aussi le carton plein. En première ligne, Emily Blunt, loin du glamour, campe un personnage clé, car cristallisant les enjeux du récit. Elle est superbe et livre une performance vibrante. Josh Brolin de son côté, reste de marbre et incarne d’une certaine façon cette autorité invisible et aveugle quand il s’agit de faire mal à l’ennemi. Benicio Del Toro enfin, est monumental. Encore une fois. Et finalement, il vaut mieux ne pas trop en dévoiler quant à son rôle, sauf bien sûr pour préciser qu’il est tout aussi fascinant qu’un poil flippant quand même, car totalement opaque, en lien direct avec le passé des USA en Colombie face au cartel d’Escobar, dont l’ombre n’est jamais bien loin. Sans oublier les seconds rôles Victor Garber, Daniel Kaluuya, et Jon Bernthal, qui assurent avec brio les arrières.
C’est souvent le cas mais ici, il convient vraiment de le souligner : Sicario est issu d’un remarquable travail d’équipe. Villeneuve sait s’entourer pour donner du corps à ses visions. Indépendant, il est ainsi libre de faire selon ses désirs. De soigner tout autant le fond que la forme. De proposer au public des films comme Sicario, bien loin des produits trop calibrés des studios et marquants à plus d’un titre. Alors oui, à première vue, Villeneuve ne joue pas sur l’originalité. On pense à plein de films et notamment à No Country For Old Men. Et puis, quand tout prend fin, on se rend compte que sa dernière livraison est unique. Viscéral, son nouveau coup de poing l’est en permanence. Il questionne et propose des réponses. Et c’est quand elle prennent des airs de constat imparable sur l’état de nos sociétés, qu’elles font vraiment mal.

@ Gilles Rolland

 Sicario-Emily-Blunt
Crédits photos : Metropolitan FilmExport


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