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Cinéma : “Os Maias – Cenas da vida romântica” de João Botelho
Publié le 17 octobre 2015 par Paulo LoboCe film, qui a fait l'ouverture de la Quinzaine du cinéma portugais, est un pur bijou. Il aurait pu être la pâle transposition de l'un des plus prodigieux livres qu'il m'ait été donné de lire, un classique de la littérature portugaise. João Botelho en a fait une oeuvre pure de cinéma, étincelante de beauté et d'intelligence. Très vite, il nous montre les ficelles qu'il va utiliser, des grandes toiles dessinées qui vont constituer les arrière-plans de toutes les séquences qui se déroulent en extérieur. Le deal avec le spectateur est clair: tu prends ou tu ne prends pas, tu acceptes la convention scénique - comme au théâtre - ou tu dis non. Moi, j'ai dit oui, tout de suite, le voyage peut commencer! Et on se retrouve au Portugal, dans la 2e moitié du 19e siècle, voilà la riche famille des Maias, et en particulier le jeune Carlos Eduardo de Maia : fraîchement diplômé de médecine à Coimbra, il s'installe à Lisbonne, dans la maison de son grand-père Afonso. S'ensuit une existence faite de mondanités, en compagnie de ses amis Joao da Ega, fougueux dandy au lyrisme échevelé, Tomás de Alencar, poète vieillissant qui ne jure que par le romantisme et abomine le naturalisme, ou encore Dâmaso Salcede, jeune frotte-manche sans caractère. Agapes en tous genres, jeux de courses, spectacles à l'opéra, intrigues amoureuses, disputes littéraires et politiques, les jeunes Vitelloni bourgeois passent le temps avec nonchalance et insouciance. Un jour, Carlos fait la connaissance de la belle et mystérieuse Maria Eduarda, l'épouse d'un riche brésilien, Castro Gomes. Ce dernier étant parti en voyage, Carlos va se lier avec Maria Eduarda. Commence alors une histoire d'amour passionné ...
Ce film procure plusieurs niveaux de plaisir. Il y a d'abord la finesse de l'adaptation littéraire : de la fresque monumentale d'Eça de Queiroz, Joao Botelho a réussi à extraire un récit clair et lisible, pas pressé, prenant quelques raccourcis de façon élégante, permettant à certaines scènes-clés de se dilater, par exemple le dîner à l'Hotel Central, non seulement pour que les personnages et leurs débats idéologiques prennent de la densité, mais aussi pour révéler, à travers la mise en scène et le découpage des plans, la vacuité de tout ce beau monde.L'oeuvre d'Eça de Queiroz est d'une justesse chirurgicale en ce qui concerne sa description des travers de la société portugaise et, par extrapolation, du caractère portugais : la flagornerie, la mesquinerie, le conformisme, le fatalisme, le lyrisme exacerbé..., sont dépeints avec un humour à la limite de la caricature. Une véritable dissection sociale que l'on retrouve dans toute sa saveur dans le film de Botelho.J'aime l'approche que celui-ci fait du roman, avec à la fois du respect et de l'irrévérence. J'aime la distanciation qu'il nous propose de la matière romanesque en optant pour le dispositif de décors dessinés et en effectuant une sorte de mise en abîme de l'histoire. Ses clins d'oeil ironiques au Portugal d'aujourd'hui sont un blâme à peine voilé de l'esprit étriqué qui gangrène le pays, le manque d'ambition, la résignation, la démagogie, l'hiérarchie des classes, l'amour des puissants...Le texte et les dialogues sont un autre délice pour moi : que la langue portugaise peut être voluptueuse quand elle est composée par un grand maître! Quant à l'interprétation, elle est impeccable ! Je donne un sans-faute à tout le casting, avec une mention spéciale pour Pedro Inês (João da Ega) et Maria Flor (Maria Eduarda).Mais le plus grand bonheur de ce film est peut-être pictural : le directeur de photographie a fait un travail extraordinaire, chaque plan est composé comme un véritable tableau, la reconstitution d'époque est sublime, les costumes, le mobilier, les ambiances sont un régal pour les yeux. On rentre dans cet univers feutré et chatoyant et on prend en pleine figure toute la sensualité des matières et des êtres.Le film m'a fait penser aux Canibais de Manoel de Oliveira, mais aussi, par sa stylisation du décor, à An American in Paris ou à Dogville de Lars von Trier.La Quinzaine proposera une 2eme projection des Maias: le 26 octobre 16h00 à l'Utopia. Sous-titres en anglais. Je vous recommande d'aller à la découverte de cette oeuvre singulière et jouissive.