Visite la semaine dernière au Muséum de Rouen en compagnie de son directeur Sebastien Minchin qui oeuvre sur le projet d'un "Muséum Durable et Responsable". Qu'y-a-t-il derrière ces qualificatifs ?
Il m'a fallu peu de temps pour réaliser que ces mots étaient emplis de sens pour rendre compte des actions que mène ce jeune directeur dynamique.
Sur le papier, cela signifie :
"Le Muséum Durable et Responsable : c’est se servir de ce qui fait l’héritage de l’établissement, son histoire, ses très riches collections mondiales, son esprit du lieu, comme d’une force questionnant sans cesse le XIXe et le XXIe siècle.
Chaque projet s’ancre dans le temps, en partant des collections du XIXe siècle et en les questionnant sur les problématiques d’aujourd’hui.
Chaque projet s’articule autour des principes du développement durable : social, environnemental, économique et culturel.
Chaque projet doit faire du Muséum un acteur responsable questionnant les sociétés au niveau local, national ou international.
Chaque projet s’inscrit dans une logique scientifique, source de compréhension de l’évolution des pensées, au travers des missions de conservation, de recherche et d’éducation dont le socle est la collection".
Dans la pratique ce sont des actions remarquables qui sont menées par la petite équipe du muséum. Sebastien Minchin parvient avec des moyens modestes à bousculer les rôles classiques dévolus aux musées par sa volonté forte de l'ancrer dans le XXIème siècle.
Comment ?
Ironie du sort, la base de départ est un musée tout poussiéreux car peu de choses ont bougé depuis sa création dans un ancien couvent en 1828. Il s'agit bien d'un « Musée de musées », resté longtemps un temple dédié à ses trois directeurs jusqu'à sa fermeture en 1996... et sa réouverture en 2007 !
S'il faut gérer dans un premier temps l'urgence (mises en conformité, issues de secours, passage du 110V à 220V...), il faut aussi composer avec 800 000 échantillons ! Pour le travail, on est bien au-delà d'un inventaire à la Prévert !
Au milieu de cette caverne d'Ali Baba, incroyable mais chancelante vieille dame, il s'est agi de s'atteler à un projet qui ne consiste pas seulement en la rajeunir mais en la transformer en véritable mutante.
Mutant ... c'est ainsi que se définit George Nuku qui collabore depuis 2011 au sein de la Galerie des Continents et qui vient de monter l'exposition Bottled Ocean 2115 dans laquelle le plexiglass est devenu un matériau sacré, une surface translucide qui joue avec la lumière. Il imagine la terre recouverte d'eau et "les survivants qui se sont adaptés à un monde nouveau"...
Pour le muséum, concrètement il faut bâtir des projets cohérents pour l'amener à être un lieu de débat. Ainsi, la restitution de la tête maorie dont les médias ont beaucoup parlé, était, au-delà du questionnement sur les restes humains dans nos musées, la marque d'une volonté de tisser des liens forts avec les communautés autochtones.
Le muséum, en se rapprochant du Musée Te Papa Tongarewa de Wellington, a initié une approche novatrice des collections ethnographiques en donnant carte blanche aux représentants de communautés maories afin de réaliser l'espace Océanie de la Galerie des Continents.
Cela s'est poursuivi avec l'Asie. Deux artistes indonésiens ont choisi les objets à présenter et ont réalisé la scénographie du continent au sein de la galerie.
Ce type d'action continuera avec les collections des Amériques et d’Afrique.
Au-delà de missions que l'on peut imaginer dans le cadre d'un musée, il en est d'autres que le muséum a initiées en ouvrant ses portes à des personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer. Auguste lieu de mémoire, il les a fait travailler sur leur mémoire à court terme mais aussi celle faisant appel aux souvenirs et ainsi. Chacun est alors devenu le metteur en scène de sa propre vitrine.
Cette action n'est pas terminée ... ce qu'entreprend le muséum n'est pas ponctuel mais s'inscrit dans le temps, c'est en cela qu'il est un acteur "responsable".
Il y aurait ainsi plusieurs manières de décliner "durable" et "responsable". Ce qui m'est apparu de plus fort dans le discours de Sebastien Minchin, c'est que l'on sentait dans ses convictions, les paroles d'un homme profondément attaché à la tolérance.
Avec l'acceptation de la différence et de la divergence, du regard "d'en face" forcément dérangeant, tout devient véritablement possible.
Photos de l'auteure, octobre 2015 excepté la photo 2 © Stéphanie Péron.