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Comment consulter les Archives Secrètes du Vatican sans perdre son latin

Par Ellettres @Ellettres

Alors voilà, comme dirait l’autre, quand je ne lis pas des livres pour le plaisir, je déchiffre des archives poussiéreuses pour ma thèse d’histoire. Atchoum !

Et là, pour la première fois, je me rends aux archives du Saint-Siège, du Vatican, de la Curie romaine, bref de la papauté. Et leur nom, c’est vraiment « les archives secrètes » ! On s’y croit, hein ??! Mais non, désolée de vous décevoir, pas de moines encapuchonné serrant un grimoire compromettant pour le brûler dans les catacombes (je ne sais pas, je n’ai pas lu ni vu « Da Vinci Code » mais j’imagine que c’est un peu le genre de cliché véhiculé par ce type de bouquin).

Non, les archives du Vatican sont accessibles comme toutes les archives nationales des Etats de droit. Y accéder n’est donc pas si compliqué que ça en réalité. Et cela se peut se révéler utile, non seulement pour les thèses d’histoire religieuse stricto sensu, évidemment (histoire de la papauté, des ordres religieux, des évêques, du clergé en général) mais aussi pour les thèses d’histoire diplomatique, d’histoire culturelle, d’histoire des idées ou d’histoire politique en général, tant la papauté entretient tout un réseau d’observateurs à travers le monde (qu’on appelle nonces ou délégués apostoliques, mais tout évêque, prêtre, voir simple fidèle peut envoyer des informations tout-à-fait intéressantes sur la situation politique de son pays au Saint-Siège ou à ses intermédiaires…). Et que dire du rôle diplomatique de la papauté dans les grands conflits du XXe siècle… (évidemment, je suis une « contemporanéiste » – il est temps de trouver un mot moins moche ! – comme mes confrères et -sœurs historiens l’auront remarqué !)

Dernier GROS avantage de ces archives : elles sont merveilleusement situées, il faut bien l’avouer ! A deux pas de Saint-Pierre, autant dire dans la ville éternelle, j’ai nommé Rome, où le climat est encore doux en octobre, les cappuccinos onctueux* et les arcades, colonnes, façades baroques foisonnantes sous les pins parasols… Antiquité, vie centralissime du catholicisme et dolce vita s’y donnent rendez-vous. Comme les archives du Vatican n’ouvrent que de 8h30 à 13 heures, cela laisse de belles plages de temps pour profiter de la ville.

Comment consulter les Archives Secrètes du Vatican sans perdre son latin

(Z’êtes pas obligés d’agir comme ces demoiselles bien-sûr… quoique…)

*Oui je sais, on dit « capuccini » au pluriel en italien, et spaghetto au singulier d’ailleurs, et puis tant qu’à faire, parlons des pizze et des piani !

Si je vous ai convaincus, ô collègues doctorants d’histoire*, je vous ai concocté un petit guide à l’usage des Vaticanistes débutants. Ainsi vous serez (presque) tout-à-fait à l’aise au moment de pénétrer dans le saint des saints, le Palais apostolique…

Stéphane Compoint

Stéphane Compoint

*Mais les autres peuvent continuer à lire aussi, anecdotes garanties pur beurre à l’intérieur.

Car oui, les archives du Vatican sont installées à l’intérieur du Palais apostolique, comme une partie des musées dudit Vatican, un complexe assez énorme de bâtiments dont l’origine date du XVe siècle. On y entre par un grand portail sur la Via di porta Angelica, juste avant la colonnade du Bernin qui enserre la basilique Saint-Pierre. Là, il faut montrer patte blanche aux gardes suisses. Un petit plus pour vous, italophones non pratiquants : ils parlent en général français. Ils vous dirigeront vers une guérite sur la droite. Là il faut entrer dans un bureau, donner sa lettre de présentation de son directeur de recherche et une pièce d’identité au monsieur du guichet. Il vous rendra votre lettre et vous donnera un laissez-passer, mais il gardera votre pièce d’identité. Attention à bien la récupérer à la sortie, moi j’avais oublié ! Les prochaines fois vous n’aurez plus besoin de passer par là.

Annalisa Giusepetti (Flickr)

Annalisa Giusepetti (Flickr) : La porte d’entrée du Palais apostolique

Vous sortez, vous montez tout droit vers une grande porte en arc plein cintre. Durant le processus, vous croisez la poste vaticane, le télégraphe (???), le secrétariat pour l’économie. Si vous vous égarez un peu sur la droite, vous tombez même sur un petit supermarché dont les caissières sont des religieuses ! C’est Vatican-ville ! On croise d’ailleurs tout  un camaïeu d’habits religieux, depuis le blanc des dominicains jusqu’au noir de (? plein de congrégations) en passant par la bure marron des franciscains. Et puis des cols romains, plein de cols romains, dont certains portent de grosses croix pectorales : ce sont les évêques. Mais il y a aussi des chercheurs en civil, comme vous, vous n’êtes pas tout seul rassurez-vous.

D.B.

D.B. : Oui, c’est normal que vous vous sentiez un peu petit…

Après avoir franchi la porte, vous arrivez sur une grande cour qui s’appelle le Cortile du Belvedere. Franchement j’aimerais qu’on m’explique où est le belvédère car la cour est fermée sur ses quatre côtés de hauts murs ! Les Archives sont la deuxième GRANDE porte sur la droite, et non la première (qui est la bibliothèque apostolique). Evidemment, moi je me suis trompée, et en plus j’ai poireauté 20 minutes car la secrétaire était très occupée (« scuza, scuza » me répétait-elle tout le temps), avant de me rendre compte que j’étais au mauvais endroit.

D.B.

D.B.

Donc rebelote à la deuxième porte : vous attendez le bon vouloir du secrétaire (il est adorable et il parle français). Il va vous demander votre lettre de présentation, qu’il ne faut PAS avoir jetée après le premier bureau, ‘tention ! Il vous demandera un document prouvant que vous êtes inscrit en doctorat (ou que vous êtes un chercheur qualifié) et une photo d’identité. Il vous prend quand même en photo, pour le dossier électronique, vous fait remplir un formulaire et hop ! c’est bon, vous avez votre petite carte qui prouve que vous avez le droit d’entrer dans le Palais et que vous utiliserez désormais.

Ensuite vous revenez vers le comptoir d’entrée des Archives, le jeune Giuseppe (oui, il s’appelait comme ça quand j’y suis allée, je ne garantis pas que ce soit tout le temps lui !), donc Peppe vous tend une petite clé marquée d’un numéro : c’est celle du casier où laisser votre sac. En échange vous devez signer un registre en indiquant votre heure d’arrivée. On n’a droit qu’à un ordinateur, un cahier, des crayons de papier. Eau et nourriture interdits, et portables éteints.

D.B. : Oui, j'ai aussi pris en photo les casiers car j'étais à fond dans mon rôle de reporter !

D.B. : Oui, j’ai aussi pris en photo les casiers car j’étais à fond dans mon rôle de reporter !

Ensuite, vous prenez l’ascenseur au fond du couloir à droite. Heureusement pour moi, il Signore Segretario m’a conduite car je suis un peu étourdie par tellement d’italien résonnant à mes oreilles et ma tête commence à bourdonner tellement j’ai déjà tournicoté dans plein de bureaux.

Arrivés au troisième étage, vous vous rendez sur la gauche, dans la salle de lecture « Pie XI ». Très claire et moderne, elle est remplie de rangées tables où se penchent des têtes studieuses sur d’énormes manuscrits, certains ornés de calligraphies fort travaillées. Ô miracle, les tables disposent de prises pour les ordinateurs !

D.B.

D.B.

Le secrétaire m’adresse à ses collègues gestionnaires de l’arrivée des cartons d’archives, au fond de la salle, derrière un magnifique comptoir de buis. Ils ressemblent un peu aux hommes de la famille Soprano ! L’un d’eux vous demandera votre clé et vous devrez encore une fois signer votre nom sur un registre (au bout de deux jours vous serez rompus à cette routine !). Puis vous serez adressés dans une autre salle, à gauche, à d’autres collègues tout aussi sopranesques, derrière un autre comptoir. Pour ma part, j’ai l’impression d’être la boule de billard que chacun se renvoie dans une langue qui m’échappe à 50% ! Cette dernière salle se trouve être la salle des index et le monsieur m’explique tout, très aimablement : dans un petit guide des fonds d’archives qu’il me donne, chaque fonds a son numéro. Ensuite, il faut aller trouver l’index détaillé du fonds désiré dans cette même salle, et là, repérer les sections que l’on souhaite consulter. Simple comme buongiorno, n’est-ce pas. Et puis ensuite, on revient dans la salle précédente et l’on fait une demande sur un papier. Ça peut prendre du temps. Et puis ça arrive et vous vous installez (près des fenêtres, je ne sais pas pourquoi Messieurs Soprano ne voulaient pas que je m’installe côté mur).

Et là, au milieu d’un tas de paperasse inintéressante, vous pouvez tomber sur des choses croquignolettes, comme ce monsieur qui indique dans une lettre à son évêque qu’il a bien brûlé tous les papiers concernant la bulle Sacramentum Penitentiae, que son Excellence se rassure (Mexique, vers 1920), ou cette religieuse européenne qui se plaint de n’être pas bien accueillie par ses consœurs mexicaines après tout le bien qu’elle a fait pour elles, et que va-t-elle faire maintenant qu’elle est vieille et qu’elle ne se sent pas de rentrer dans son pays ? (Toujours Mexique, toujours vers 1920). Malheureusement ces deux lettres ne m’étaient d’aucune utilité ;-)

Ah oui, et n’essayez pas de prendre en photo vos archives, même discrètement. On n’a pas le droit… Et Messieurs Soprano font des tours dans la salle pour vérifier qu’aucun galérien… heu chercheur, ne prenne des photos en douce. Il faut tout transcrire sur son ordi (ou à la main pour un style encore plus « moine copiste »).

Ne faites pas comme moi, les deux premiers jours je mourrais de faim à partir de 11 heures (alors que je m’empiffrai de cornettos, capuccino et aragostine le matin + un fruit pour équilibrer tout ça). Mais ensuite j’ai découvert… tadam ! Quand vous sortez par une porte sur la gauche, vous arrivez dans une charmante petite cour plantée de palmiers. Et là, derrière la statue de Saint Joseph, dans la tour, vous avez une petite cafétéria !!! Capuccino power ! Vous pouvez aussi commander un café ou du thé « fredo » (glacés), du jus d’oranges pressées (zuco de arancia spremuto), des panini (tiens, on dit bien un panini en français… bizarre), des barres de chocolat ou de céréales, des croissants… Bon le choix n’est pas fou, mais ça permet de tenir le coup jusqu’à 13 heures ! Alors n’oubliez pas votre monnaie.

D.B.

D.B. : vous avez vu ce ciel bleu !

Sachez que les toilettes sont accessibles à partir de la salle des index, derrière le petit comptoir de ces messieurs, en montant trois petits escaliers. Ils sont impeccables, comme partout à Rome (c’est vrai ça, les restaurants, les musées ont toujours des toilettes impeccables, et ils vous invitent gracieusement à vous en servir, même si vous ne consommez pas… Cafetiers parisiens, si vous m’entendez !). Derrière les toilettes des dames, il y a des distributeurs de nourriture et de café/boissons.

Drrrrring ! A 13 heures une sonnerie digne des cauchemars de cour de récré de notre enfance retentit. C’est l’heure ! Vous devez faire tout le trajet décrit à l’envers, en n’oubliant pas de récupérer votre clé au comptoir de buis, écrire votre heure de sortie, aller récupérer vos affaires dans votre casier, rendre la clé à Giuseppe, écrire votre heure de sortie sur son registre à lui, sortir dans le Cortile du Belvedere, repasser par la porte, dire « Arrivederci » aux carabinieri, puis aux gardes suisses et… ah, vous vous retrouvez dans le bain de foule des pèlerins/touristes qui se pressent vers Saint-Pierre… Et un ou deux vendeurs pakistanais vont vous proposer un « selfie stick ». Contraste garanti ;-)


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