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Culture et tourisme : quels développements en terme de synergie locale ?

Publié le 16 octobre 2015 par Aude Mathey @Culturecomblog

Le 9 Février dernier, avait lieu à Strasbourg le treizième débat de l’Agence Culturelle d’Alsace, organisé conjointement avec l’Observatoire des politiques culturelles.
Celui-ci s’intéressait aux liens que peuvent nourrir culture et tourisme. Plus particulièrement, il s’agissait de voir quelles sont les synergies qui peuvent / doivent se développer au niveau local.

Débat culture et tourisme

Crédit : D Betzinger / Agence Culturelle d’Alsace

Le tourisme : enjeux et chiffres

D’après Jean-Pierre Saez (Observatoire des politiques culturelles), ce sujet est peu abordé dans le milieu culturel. Si l’on considère l’évolution des chiffres au niveau mondial (un milliard de touristes en 2012, pour 250 000 en 1950), on peut commencer à imaginer une stratégie profitable aux deux entités. Faut-il donc que tourisme et culture soient associés ? Quels sont les risques, les avantages à les associer ? Quels nouveaux besoins crée cette association ? De nombreuses questions étaient en suspens au moment de lancer le débat.

Au commencement était le territoire…

Quels liens peuvent donc avoir la culture et le tourisme ? Il s’agit du lieu où ils s’investissent. Edith Fagnoni (professeur de Géographie à l’Université Paris Sorbonne) et Francis Gelin (directeur de l’Agence Culturelle d’Alsace l’ont rappelé en préambule :

Il y a, en effet, une réalité adjointe à l’action culturelle. Elle se pratique avec / au sein d’un territoire. culture et tourisme participent, ainsi, à l’attractivité des territoires. Une attractivité qui a, sans nul doute, un impact sur le développement du territoire sus-cité.

Tourisme et culture ont aussi un lien avec ce temps libre, ce « temps à investir ». Selon Edith Fagnoni, il faut voir le tourisme et la culture comme des temps de « récréation », de loisirs, des moments pour sortir de son quotidien.
Tourisme, loisir, culture, patrimoine, autant de notions qui participent à la « fabrique du territoire ».
C’est ce territoire, cet espace vécu que s’approprie le touriste (celui qui passe au moins une nuitée hors de son environnement habituel, son territoire).
Ce touriste, que veut-il ? Voir les fondamentaux, vivre une expérience culturelle… En se prenant en photographie devant les monuments, il se réapproprie un territoire, un espace vécu… Jusqu’au fameux selfie… On y flatte son égo (« j’y étais ») en se prenant devant les grands « emblèmes culturels » d’un territoire.
L’attractivité d’un territoire est donc aussi culturelle. La culture, l’a rappelé Edith Fagnoni, participe à la

puissante force d’attraction d’un territoire, au « génie du lieu ».

Le selfie sus-cité, rappelle l’importance notamment des lieux culturels et patrimoniaux, objets d’une réappropriation symbolique. Patrimoine, tourisme, culture semblent être trois ressources indéniables pour un territoire…

La tentation de l’événement spatial…

Quel est donc le rôle joué par les événements / lieux culturels ? Edith Fagnoni s’est intéressée à la « fièvre muséale » (de 1982 à 1995, 120 musées ont ouverts en France / l’offre culturelle parisienne s’est décuplée en trente années – NDR). Ce nouvel âge des musées combine geste muséal et usage (immodéré ?) de la « starchitecture » à une médiatisation constante depuis les années 2000. Ces musées « événements » réinventent la façon de faire la ville, le territoire.

Connaîtrait-on Bilbao sans le musée Guggenheim ? Ou Louvain-La-Neuve sans le Musée Hergé ?

Cette nouvelle dynamique allie un espace et événement. Elle est ancrée dans cette idée de dynamique des territoires. Mais la géographe a souhaité relativiser cette tentation de l’événement spatial en évoquant les projets de Lens (Le Louvre-Lens) et de Metz (Centre Pompidou-Metz). Ces deux projets, au delà de leur aspect événementiel, doivent penser un peu plus le lien à leur territoire, à sa mémoire. Et privilégier une stratégie qui soit à la fois culturelle, touristique, urbaine au lieu de chercher l’icônicité d’un site pour éviter l’effet TGV (le touriste fait l’aller-retour dans la journée mais ne découvre pas le territoire.).
Quel lien (au delà de la simple médiatisation et des raccourcis caricaturaux) faire, par exemple, entre le Louvre-Lens et le territoire du bassin minier (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO) ?
Sans synergie entre la mémoire et le projet du territoire, pas de miracle… Un miracle souvent invoqué dans le cas de Bilbao, mais qu’Evelyne Lehalle (NTC – Le Nouveau Tourisme Culturel) a relativisé en fin de séance :

Il n’y a pas eu d' »effet Bilbao ». Le projet urbain de Bilbao a débuté dans les années quatre-vingts alors que le musée Guggenheim a ouvert en 1997…

Les clichés ont la vie dure ! Les nouvelles pratiques du tourisme…

Débat culture et tourisme

Crédit : D Betzinger / Agence Culturelle d’Alsace

Qui veut mettre en place une stratégie culturelle et touristique doit s’intéresser aux publics a également rappelé Evelyne Lehalle.
Elle a expliqué comment les nouveaux comportements bouleversent le paysage du tourisme culturel. Exit la caricature du touriste « lambda » en « short-casquette-tee-shirt ». L’image d’Epinal est à oublier. La nouvelle clientèle touristique est plus experte, plus exigeante. Pourquoi ? Parce qu’elle a la possibilité de s’informer mais surtout de choisir AVANT la visite in situ. Les nouvelles générations Y et désormais Z ont de nouveaux désirs : ils aiment le défi, partager des expériences… Être coproducteurs de l’expérience qu’il vivent… Ces générations vont se méfier des produits packagés, tenir compte des avis des autres consommateurs…
Dans ces publics, Evelyne Lehalle a distingué trois groupes :

  • Le public accueilli : celui qui vient
  •  Le public potentiel : celui pourrait venir
  •  Le public en ligne : celui du web et de ses usages

A nouvelles clientèles, nouvelles offres, la consultante en ingénierie touristique et culturelle l’a rappelé : il faut évoluer avec son public :

  • Personne ne veut plus être un « touriste : l’offre doit être personnalisée (certains musées proposent, par exemple, des visites en fonction de l’humeur du visiteur…) et non une offre de masse.
  • Le visiteur accorde beaucoup d’importance à l’expérience : lien social, visite-plaisir (comprendre plutôt qu’apprendre).
  • Internet change les pratiques : tourisme collaboratif, immersion, nouvelle pratiques basées sur l’échange et le partage instantané, la coproduction, les avis…
  • Intégrer des jeunes dans ses équipes : le monde a changé et ils le comprennent mieux !
  • Le tourisme culturel se joue en trois temps : AVANT ( Tout se joue à ce moment) PENDANT (le vécu du moment présent) APRES (Évaluation / fidélisation des visiteurs).

Tourisme et culture : des faux frères ?

Philippe Choukroun, directeur de l’Agence d’Attractivité d’Alsace a, quant lui exposé la situation de l’Alsace. En Alsace, la culture est la troisième motivation des touristes. La synergie Culture-Tourisme y est fondamentale. La volonté de l’Alsace est de s’appuyer sur cette image d’authenticité, de tradition que recherche le touriste. Mais aussi de proposer une image alliant force et authenticité. L’Alsace au delà de son cliché de carte postale, est un territoire de création car on associe volontiers le tourisme au patrimoine (naturel, architectural…). Il faut aussi évoquer le spectacle-vivant, les festivals qui investissent, réinventent l’espace public et proposent une animation qualitative du territoire… A l’image du festival C’est dans la Valléevolonté de l’artiste Rodolphe Burger connectant la création artistique, un territoire et sa population, son patrimoine…
L’Agence d’Attractivité veille à mettre son territoire en histoire / fable. Et la culture y contribue.

Imaginer une collaboration entre culture et tourisme, c’est forcément poser un regard sur le développement économique. D’aucuns peuvent y voir une dichotomie entre une activité lucrative (le tourisme) et une production intellectuelle, désintéressée (la culture, la création). La tentation est grande d’en faire des faux-frères.
Au delà de cette opposition, il faut plutôt y voir une complémentarité, des convergences nécessaires. Il faut imaginer une conversation, une co-construction du territoire, un travail en réseau pour contribuer à qualifier ce même territoire. Car au centre de cette problématique, il y a le public.
Un public qui ne voit pas des acteurs touristiques d’un côté, des acteurs culturels de l’autre. Il voit une destination, un territoire… Un territoire avec une vision, une histoire, des valeurs pour fédérer, de la coopération, du lien social…
C’est ainsi qu’un territoire peut obtenir de l’attractivité (une image positive et dynamique), l’adhésion des publics (la conséquence de cette même image)… c’est le meilleur scénario pour les acteurs du tourisme et de la culture. Ils ont tout intérêt à y contribuer… Ensemble.


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