… une table sophistiquée et rustique, exigeante et gourmande, on est content d’avoir Sylvestre Wahid à Paris …
On grimpe le même escalier, toujours aussi étroit, on arrive dans la même salle qui n’a pas changé ou si peu, mais surtout la lumière le soir, fortement tamisée, avec bougies sur les tables. Presque à l’ancienne. Toujours cette ambiance intimiste, cosy, confortable, et la clientèle des premiers jours, connaissances, amis, habitants du VIIème arrondissement qui aiment à se déplacer lorsqu’une adresse bouge, s’ouvre, fait parler d’elle. Piège est parti pour d’autres aventures, Sylvestre s’installe et prend doucement possession de cette petite cuisine ouverte sur la salle, rappelant une époque si proche et déjà si lointaine où c’était la règle, le must, où les clients faisaient semblant de s’intéresser à ce qu’il se passait dans les casseroles.
Mais qui est Sylvestre ? D’où vient-il ? Où va t-il ? Qui le connaît vraiment ? Certains habitués de la Provence ou de Courchevel. Aux Baux, à l’Oustau de Baumanière, on voyait plus souvent en salle le boss Jean-André Charial, Sylvestre restant en cuisine avec son frère chef pâtissier. Le duo a su garder les deux étoiles de la maison, mais pas plus. Impossible de réaliser le vieux rêve de Charial de retrouver les trois étoiles sur l’Oustau. Et les Wahid sont partis…De son vrai nom Shahzad Wahid, il est né au Pakistan en 1975. Son père est en France, gradé dans la Légion Etrangère. Il va profiter de la loi du regroupement familial pour faire venir femme et enfants dans le Gard. L’enfant a sept ans, ne parle que le ourdou, et va se retrouver dans une école catholique avec son nouveau prénom, Sylvestre. La passion de la cuisine l’envahit petit à petit jusqu’au jour où il décide d’en faire son métier. Il entre chez Thierry Marx, alors au Cheval Blanc à Nîmes, comme apprenti. Doué, volontaire, il se retrouve à Paris chez Alain Solivérès alors aux Elysées Vernet, puis, consécration, chez Ducasse au Plaza Athénée, qui le nommera plus tard responsable du Centre de Formation. Puis les Baux, et retour à Paris. Il marque son territoire au restaurant gastronomique qui porte son prénom, alors que la brasserie reste Thoumieux mais il en dirige les cuisines et met au point la carte.
Trois menus au choix, terre, mer et signatures, pour résumé rapidement. Des thèmes, des inspirations, un style. On les prend, on y pioche, liberté du choix au fil des envies. Elles sont fortes devant l’énoncé des plats, nets, précis, de saison, originaux souvent, rassurants parfois, passionnants toujours. Sylvestre is back !
On sent d’entrée que le chef n’a pas de temps à perdre. Pied au plancher dès les amuse-bouches dont deux petits chef-d’œuvres à avaler d’un trait pour un bonheur bref mais intense : une minuscule tartelette aux cèpes mais elle fait le maximum, et du Jabugo en feuilleté, messager des plaisirs à venir.
Fraîcheur et beauté pure dans l’assiette où trône un Tourteau de Roscoff rafraîchi, avocat, brocoli, caviar clair. Puissance des goûts, subtilité de l’alliance et un renouveau bienvenu sur un classique des entrées maritimes (tourteau, avocat), par ailleurs massacré systématiquement.
Oeuf de poule, cèleri au fumet de truffes noires en chaud-froid. Tout simplement magnifique. Le plat de rêve. Tout y est, la légèreté, les cuissons au cordeau, le jaune d’œuf qui vient enrober les truffes, toujours une vision d’une beauté sauvage, presque érotique, et ce fond de cèleri qui ne vous quitte plus, plus un pain toasté au jambon et au lard pour parachever le tout. En prime, dans une coupelle by the side, le chef rajoute un bouillon de roche façon thaïe, juste épicé pour une alliance impromptue, inattendue, et pourtant évidente. Sylvestre Wahid procède ainsi, par plusieurs petits plats sur un thème de base, sorte de variations sur un thème, dans un esprit jazzy, où l’on retombe sur ses pieds après quelques détours et alentours. Un bel esprit de terroir, terrestre et automnal.
Comme ce plat incroyable, riche, en une déclinaison sur les Premiers Cèpes, un intitulé sobre et claquant. Qu’en fait-il ? Plein de choses. En carpaccio, bien sûr, qui n’ont jamais vraiment convaincu tant la cuisson hisse le champignon vers des goûts plus subtils et intenses. En tartelette, mais qui manque de finesse avec un râpé de parmesan sur les cèpes. Aïe… A côté, un bol de bouillon de cèpes et un beau bolet solitaire un peu al dente, donc un peu caoutchouc, qui flotte à la surface. Etrange. Enfin, un Feuilleté aux cèpes, un peu mouillé par les cèpes donc un peu mou. Trop de bien nuit, et à vouloir trop étreindre…
Ahhh, et l’agneau vint. Un agneau de lait, des aubergines violettes, des graines de cumin, une charlotte confite, et un jus aux herbes fraîchement concassées, et mon tout est un plat magnifique, au goût, à la texture, à la cuisson, et aux variations sur la pomme de terres. Un plat superbe.
Excellent idée de se lever de table pour aller au comptoir choisir ses fromages que le chef a sélectionné chez Marie-Anne Cantin, sa voisine. Un rare et sublime chèvre du Quercy, affiné moelleux, et un Bleu de Termignon fort tôt dans la saison ou alors il est de l’année dernière. Etonnant et délicieux comme d’habitude pour ce fromage de plus en plus rare, sorti de la vallée de Termignon en Savoie.
Desserts remarquables réalisés par le chef, dont une Tarte au citron étonnante de forme, sublime de goût et servie tiède, et des Figues de Solliès rôties au jus de Sycomore (une variété d’érable) flanquée de crème glacée à l’huile d’olive. On ne vient pas des Baux de Provence pour rien. Ça laisse des traces et de belles traces.
Jusqu’aux mignardises où le chef ne vous laisse pas en paix avec un remarquable Financier trempé dans du chocolat chaud, une mousse aux fruits et quelques tartes… juste comme ça.
Antony Tirosse, le sommelier, dirige une carte des vins déjà riche et variée même si elle est encore à peaufiner. Beaux choix de vins au verre en blancs et rouges qui permettent de varier les plaisirs de la découverte en suivant ses conseils.
Sylvestre is back, donc, avec une cuisine très travaillée, très pro, très goûteuse, et surtout fort originale dans les constructions et les alliances. Il sort les saveurs grâce à des cuissons parfaites (très peu ou pas de cru chez Sylvestre) et une technique redoutable qui n’exclut pas des plats joyeux et bien vivants. Une cuisine alerte, précise, parfois risquée, mais c’est un de ses charmes supplémentaires.
Une nouvelle et belle table parisienne vient de naître, elle vaut déjà la peine d’y courir et de se régaler. Sophistiquée et rustique, exigeante et gourmande, on est content d’avoir Sylvestre Wahid à Paris.
79, rue Saint Dominique75007 Paris
Tél : 01 47 05 79 79
[email protected]
www.thoumieux.fr
Voiturier
M° : Latour Maubourg
Fermé dimanche, samedi midi, et lundi
Dîners du mardi au samedi
Déjeuners jeudi et vendredi
Menu Richesse de nos terroirs : 120 € (4 plats et fromages)
Menu Océan, mer, lac et rivière : 175 € (4 plats et fromages)
Menu Signatures : 210 € (5 plats et fromages)