Ça y est, nous y voilà. Pitchfork, enfin, après 4 premières éditions à Paris où nous étions aux abonnés absents. Surtout à cause du prix, il faut bien le dire. Cette fois-ci, nous avons donc lâché les biftons pour se payer la première soirée - pas les trois, hein, faut pas pousser quand même. La grande halle de la Villette, c'est aussi la première fois qu'on y mettait les pieds. L'entrée est plutôt bien organisée : une file pour les gens avec des pass 3 jours (les riches), une autre pour les pauvres (nous). Et faut-il y voir un lien de cause à effet, la sécurité me demande, suspicieuse, ce que j'ai dans mon sac. "Des sandwichs" je réponds - bah oui, le pauvre est prévoyant, pas envie de louper une minute de concert à faire la queue aux stands et puis, il faut des munitions pour tenir debout pendant 7h. Le gars me regarde d'abord étonné, genre, on ne la lui a jamais faite celle-là, le coup des sandwichs. Pas un truc de hipsters, ça. Il me répond alors : "C'est tout ce que vous avez ? - Bah oui". Il me dit alors que ce n'est pas autorisé, qu'il faut soit que je jette tout à la poubelle, soit que je les mange, là, tout de suite, maintenant. Merde, mais c'est que ça m'arrange pas, ça. Je me suis quand même cassé le cul à les préparer ces sandwichs. Pas envie de tout abandonner. Pour un peu, j'aurais presque envie de le planter là le gars, lui, cet incitateur au jeûne. Je ne suis pas croyant dans le dieu Pitchfork. A cet instant précis, je crois davantage en mon sandwich au Maroilles pour me sustenter. J'explique la situation à maman, déjà passée de l'autre côté de la grille. Après quelques minutes de palabres sans véritable prise de décision - c'est que le choix est cornélien -, maman a cette idée géniale - bah oui, c'est maman quoi ! - elle profite de l'inattention de la sécurité pour me subtiliser le sac et partir loin à l'écart des barrières. Le jeu de dupes est fini, ils n'ont rien vu ou ont fait semblant de ne rien voir, pas plus persuadés que ça des règles qu'ils doivent appliquer. Bref, je repasse devant le gars, même pas surpris de me voir d'un coup libéré de mes victuailles et de mon sac. Nous voici donc rentrés dans l'arène, bien décidés à en découdre. Ça commence direct par Haelos, une sorte de sous Beach House, mais avec pas grand chose pour eux, hormis les bons jarrets de leur chanteuse.
C'est ennuyeux et ce n'est pas son acolyte au chant qui lui sert de potiche dans un style très Liam Gallagher avec petit tambourin idoine, qui viendra changer la donne. La suite est bien plus improbable encore en la personne de l'australien Kirin J. Callinan. Le gars ressemble à un footballeur moldave des années 80 avec petite moustache, longue nuque et même queue de rat. La musique est au diapason, ça ne ressemble à rien. On hésite : soit c'est juste n'importe quoi, soit le type a dix ans d'avance. J'opte plutôt pour la première solution. Le bassiste de Tame Impala, copain, vient prêter main forte pour une sorte de slow de crooner de terrain de camping qui hésite entre Didier Super et Ariel Pink. On passe alors rapidement - pour l'instant, les concerts durent à peine 30 minutes - à du plus consistant avec ma première attente de la soirée : Destroyer. Ça commence timidement avec des difficultés pour régler les instruments. Le son n'est pas très fort malgré les souhaits du groupe. C'est qu'il ne faut pas voler la vedette à ce qui va suivre. Ce n'est que le début de la soirée. Puis, petit à petit, le groupe prend ses marques, les morceaux de l'ampleur, Dan Bejar commence même à sourire, c'est dire. Bref, on termine avec "Rubies" et "Dream Lover" et d'un coup, on aurait aimé prendre du rab'. Il faudra revoir Destroyer dans de meilleures conditions.
Ça continue avec la deuxième attente, Ariel Pink qui nous devait un rattrapage après sa prestation en demi-teinte de la Route du Rock collection hiver 2015. Malheureusement, rebelote au niveau du son et aussi des morceaux choisis. Ariel Pink a cela de surprenant qu'il n'est pas le personnage extraverti que sa musique fait croire. Il ressemble plutôt à un petit junkie, perdu sur une scène trop grande pour lui. Les musiciens font ce qu'ils peuvent - surtout le claviériste - pour emballer un peu l'affaire mais trop de larsens et un son une fois de plus médiocre auront raison de notre enthousiasme. Décidément, Ariel Pink n'est pas une bête de scène.
Pour la suite, Godspeed You Black Emperor! n'étant pas notre tasse de thé, nous profitons de l'occasion pour déguster nos savoureux sandwichs. En cachette. On ne sait jamais, des fois qu'on se ferait sortir de la salle pour une tartine au pâté. Les Américains ne rigolent pas avec ce genre de choses. Les canadiens sur scène non plus ne sont pas là pour s'amuser. Leur rock intello et un peu prétentieux, sorte de Pink Floyd des années 2000, me laisse totalement indifférent. Enfin, leur son énorme écorche quand même mes oreilles. A chaque fois, on se fait la même réflexion avec maman : on a encore oublié les boules Quiès! Voilà ensuite la plus grosse attente de la soirée : Deerhunter. La prestation commence mollement, brouillonne, distante. Les morceaux
perdent en clarté et en portée par rapport aux disques. Mais ce n'est rien au regard de la suite où les titres s'enchaînent, plus méconnaissables
les uns que les autres. On distingue dans la mélasse sonore des bribes
de "Desire Lines" noyé dans un mur de reverb' et de larsens. C'est très éprouvant pour les nerfs (auditifs). Bradford
Cox, casquette vissée sur la tête en profite pour remercier Pitchfork, étonnant quand on connaît la misanthropie légendaire du bonhomme. C'est à se demander si Deerhunter ne serait pas justement Le groupe Pitchfork, celui qui ne serait rien sans le webzine, sans leurs notes de 8 et de 9 sur 10 à chacune des nouvelles livraisons de Cox. Un spectateur (en colère?) lui balance même sa chaussure sur scène. Le chanteur (conscient de sa piètre performance?) demande à la sécurité de ne rien faire. On finit donc le concert avec pas mal de doutes et d'interrogations. Et si c'était tout simplement l'ingénieur du son qui était aux fraises ? Ou l'acoustique de la salle déplorable ?
Les premières notes de Beach House, tête d'affiche d'un soir viennent d'emblée démontrer le contraire. Tout est immédiatement en place et le groupe enchaîne les titres planants et enivrants, portés par la voix un brin rocailleuse de Victoria Legrand et les guitares cristallines d'Alex Scally. Toutes leurs chansons ont beau se ressembler, il y a, à chaque fois, un petit truc qui vient faire la différence pour que jamais cela ne soit lassant. Tout pourrait paraître trop parfait. Heureusement, les quelques paroles banales émises par la chanteuse entre les morceaux dans un français approximatif - bizarre étant donné sa filiation - nous ramènent dans le milieu plus balisé des humains. Au final, Beach House - et Destroyer dans une moindre mesure - sauve la mise de Pitchfork avec leur brillante prestation. Il n'empêche, je ne suis pas sûr que les prochaines années on remette les pieds à leur festival sponsorisé par les cartes Visa sans contact.