Elle n'en a pas besoin. Le public oui. Parce que lorsqu'on ne la connait pas on ne pense pas spontanément à la lire alors que ses romans sont vraiment bien construits et plutôt dopants.
J'en ai fait l'expérience parce que je devais la rencontrer et que je n'aime pas aborder un auteur en n'ayant pas une "petite" idée de son travail. Je suis tombée dans la marmite Bourdin, enchainant les romans, d'abord les deux plus récents, Au nom du père et la Promesse de l'océan, puis tous ceux que j'ai pu rafler chez une amie que j'aidais à déménager.
Je suis ainsi remontée assez loin dans le temps. Et ce qui est formidable avec les romans de Françoise Bourdin, c'est qu'ils ne sont pas comme les yaourts. Ça ne se périme pas. La thématique qui les traverse touche à la quête de la place. Elle reste universelle.
J'ai tout aimé. J'ai même poussé mon sens du devoir en ouvrant un livre d'un des auteurs auxquels on la compare et je la trouve franchement un cran au-dessus. Son écriture est plus rythmée. Ses personnages ont davantage de réalité. Et surtout elle ne fait pas appel à des puissances occultes résidant dans l'au-delà pour les tirer du pétrin. Ils trouvent en eux-mêmes les ressources nécessaires, ce qui fait qu'on peut se projeter dans leur histoire et en tirer bénéfice. Vous ne risquez pas grand chose à vérifier par vous-même si vous pensez que j'exagère.
Il se trouve que je ne l'ai pas rencontrée en chair et en os, la faute à un coup de froid à ce qu'on m'a dit. Mais j'ai eu, depuis, une longue conversation téléphonique qui m'a confortée dans mon opinion.
Françoise Bourdin se donne à fond dans ce qu'elle entreprend. Qu'il s'agisse d'écriture où elle gagnerait, je pense, un prix si on dressait le palmarès de la meilleure documentation. Qu'il s'agisse de bricolage dans sa maison normande où il y a tout le temps à faire. Elle affirme
manier aussi allègrement la perceuse, la scie sauteuse, le pinceau. Elle adore les travaux domestiques qui lui offrent le loisir de laisser son esprit vagabonder aussi vite qu'il en est capable.Car, comme le disait Julien Green : la pensée vole, les mots vont à pieds.
C'est en bricolant qu'elle réfléchit le mieux, ou peut-être encore en voiture. Le souci est de ne pas perdre les idées qui ont germé. Elle a toujours un petit carnet sur elle pour noter quelque chose mais pour cela il ne faut pas être au volant. Elle a tenté d'employer un dictaphone mais elle a abandonné car les bruits de fond couvraient sa voix.
Dès qu'elle le peut elle s'attelle à l'ordinateur qui est un outil "royal" quand on en a pris l'habitude même s'il prédispose la répétition puisque le regard ne peut pas balayer les double-pages des gros cahiers dans lesquels elle a longtemps écrit.
Elle aime ce travail, qu'elle qualifie aussitôt de "plaisir" d'écriture. Rien ne la réjouit davantage que la construction d'une histoire, estimant que certains écrivains ont un peu perdu cet objectif de vue depuis l'époque du "nouveau roman" : Je pense qu'il faut que l'auteur fasse bien son boulot. Il y a tant de livres qui arrivent sur les étagères chaque semaine qu'il ne faut pas décevoir celui qui sort 20 euros de son porte-monnaie.
Françoise Bourdin est très exigeante envers elle-même, regrettant une époque où son éditrice osait pointer un passage où l'intérêt faiblissait ou encore la prévenir qu'un personnage devenait soudainement confus ... Avec l'expérience elle a un regard vif sur son propre travail. Mais surtout elle a la chance d'avoir des filles trentenaires qui sont ses premières (très bonnes) lectrices critiques dès que les feuilles sortent de l'imprimante.
Si je me focalise sur ses deux derniers romans on notera que l'on évolue tout de même dans un milieu très masculin, que ce soit la course automobile dans Au nom du père ou la pêche en mer dans la Promesse de l'océan. Toutes les femmes qui traversent ses romans sont des guerrières, des féministes, et ont beaucoup de son caractère. Des femmes capables de beaucoup de féminité, mais exerçant un métier d'homme, ou du moins une profession où les hommes font référence.
Ces femmes sont inscrites dans un territoire, la Sologne dans le premier, la Bretagne dans le second, autour du port d'Erquy, spécialisé dans la pêche de la coquille Saint-Jacques. Le prochain se déroulera en Haute-Normandie, près du Havre car c'est une ville injustement mal aimée au-dessus de laquelle se trouve la fantastique bourgade de Sainte-Adresse qui, à flanc de colline, est aussi belle qu'Honfleur.
Françoise Bourdin est profondément ancrée dans une région. Si elle ne la connait pas, si elle n'y a pas vécu, elle s'y transportera pour s'imprégner de son ambiance. Elle ne se satisfera pas de deux-trois documents glanés sur Internet : les gens sont tellement habitués à des images que je mets un point d'honneur à soigner mes descriptions.
Elle sait que pour embarquer son lecteur il faut placer au bon endroit quelques détails qui installeront le décor. Il faut beaucoup de recherche avant que ces éléments apparaissent. Elle adore entrer dans des mondes qu'elle ne connait pas, découvrir des métiers dont elle ne connait pas les rouages. Elle effectue un travail d'investigation comme un journaliste mais en se présentant comme écrivain elle provoque les confidences plus facilement.
Son écriture est très provinciale, dans le sens noble du terme, comme on aurait pu le dire de Balzac. Mais d'un Balzac solidement débout dans la société contemporaine. Ses personnages révèlent une fragilité. Ils ont des difficultés à exprimer leurs sentiments, sont tiraillés par le devoir, la passion, leur carrière et elle creuse dans leurs failles, mais ils ont la chance de rencontrer du soutien. Car la famille et l'amitié sont des valeurs essentielles.
Elle a été l'enfant d'un couple de stars, avec un papa baryton et une maman soprano qui l'emmenaient dans les lieux prestigieux où ils se produisaient. Elle a bien connu les coulisses des grandes scènes, ce qui a sans doute déterminé sa vocation pour les belles histoires. Ce qui ne signifie pas qu'elle écrive sur elle-même. C'est bien connu : il n'y a que le premier livre qui soit (un peu) autobiographique.
Elle a longtemps pratiqué l'équitation, le tir de compétition, le pilotage. Ses personnages, les femmes comme les hommes, lui ressemblent en quelque sorte, assumant une double facette : féminine, et masculine. Aucun n'est lisse.
On s'attache vite à eux. Les lecteurs réclament des suites mais Françoise Bourdin résiste : je vais pas les accompagner tous jusqu'à la mort. De temps en temps pour avoir l'occasion de développer leurs caractères j'entreprends malgré tout une saga sur deux tomes.
Avec la Promesse de l'océan elle met en scène un petit bout de femme qui fait un métier d'homme,. et qui reprend l'affaire de son père, après un AVC qui l'a beaucoup diminué. Mahé ne veut pas être regardée comme la fille d'Erwan, mais comme une vraie patronne. Elle doit aussi se confronter au secret qui entoure la mort de son premier amour, noyé un soir de tempête.
Je trouve que Françoise Bourdin prend comme un tournant avec ce livre, évoluant vers une construction qui évoque le thriller. Il se trouve que c'est un genre qu'elle affectionne et dont elle s'estime très éloignée. Elle envie ce talent aux anglo-saxons qui ont placé la barre très haut en matière de suspense.
Après avoir dans sa jeunesse admiré les maitres français du XX° (comme Bazin) qui publiaient des histoires de famille elle se nourrit précisément davantage désormais des thrillers anglo-saxons. Elle retient de leur savoir-faire une manière d'entrer dans la scène le plus tard possible et d'en sortir le plus rapidement possible, comme le fait un scénariste pour construire un film.
C'est une expérience qu'elle a d'ailleurs acquise. On lui doit de nombreux téléfilms comme Retour à Fonteyne, des épisodes des Cordier, juge et flic ...
Je vous encourage à lire ses romans. Je sais que le prochain traitera d'un sujet très actuel et qui me concerne parfois d'un peu trop près, le burn out. Je vais tâcher de l'attendre avec patience.