Quel bonheur de retrouver la littérature du Québec ! Et de surcroît, avec ce roman si beau et délicat de Charlotte Gingras. No man’s land, c’est le récit de deux solitudes, de deux femmes en proie au manque et à la perte : manque de repères, d’affection, de tendresse ; perte de l’autre, perte de soi, perte de mots pour exprimer l’indicible, le gouffre qui s’est ouvert soudain et dans lequel elles s’enfoncent sans aucune prise pour se raccrocher.
Eden a 14-15 ans. Elle vit avec sa mère et « l’homme qui ne lui sert pas de père ». Tous deux boivent à longueur de journée et la mère d’Eden n’a jamais assez d’argent pour l’essentiel. Eden veille sur sa petite sœur, Fleur. Les aînés, des jumeaux, ne lui sont d’aucun secours. Alors, pour subsister, Eden travaille au noir : elle fait des lessives. Puis, elle se résout à faire la quête dans le métro. De temps en temps, elle va à la bibliothèque lire des romans d’amour. Malheureusement, entre les romans et la vie, il y a un monde de différence et Eden, naïve encore, l’apprendra à ses dépens.
La vieille, comme le dit elle-même, débarque du Nord, égarée, déboussolée. L’homme vient de la quitter. Elle squatte chez des amis, entretient sa solitude, s’enferme dans les souvenirs et la douleur de ce qui n’est plus. Un jour, une amie l’appelle. Elle doit venir, une ado a besoin d’elle. Pour sortir du silence.
Alors, la quêteuse et l’exilée construisent des tours branlantes, des forteresses imprenables, peignent des murs, ramassent des galets, gravent des ardoises. Elles s’apprivoisent. Elles quittent les murs et les règles rigides des institutions pour rejoindre l’île et s’y laisser bercer par l’eau, le vent, le feu crépitant (je n’ai pu m’empêcher de penser à l’Ile Berceau de Fidéline Dujeu).
Elles marchent côte à côte, cheminent vers elles-mêmes et vers les mots qui peut-être pourront les ramener vers la vie.
Un magnifique roman sur la violence de la vie, mais aussi sur la rencontre, la reconstruction des êtres grâce à cette force de vie qui persiste même dans moments les plus difficiles.
No man’s land, Charlotte Gingras, Druide
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