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Table ronde : Agentivité des publics – Comment le public s’investit dans les lieux de culture

Publié le 08 novembre 2015 par Aude Mathey @Culturecomblog

Agentivité des publics. Cette expression semble à premier abord un peu barbare, mais ce n’est que le terme pour désigner la façon dont les publics s’investissent aujourd’hui dans les différentes institutions et lieux, notamment de culture. Ce sujet était abordé hier à la table ronde des toutes nouvelles Conversations MuseomixMTL au Musée d’art contemporain de Montréal.

Panel de Conversation MuseomixMTL - crédits : Trung Dung Nguyen

Panel de Conversation MuseomixMTL – crédits : Trung Dung Nguyen

Trois grands thèmes ont été abordés en un espace d’un peu plus de deux heures.

A quoi sert la technologie au musée ?

Julien Dorra, co-fondateur de Museomix, et David Sheinkopft, directeur du département Éducation et assembleur de technologie – Pioneer Works, ont chacun eu à expliquer comment la technologie ou les nouvelles technologies ont eu un impact sur les projets qu’ils ont été amenés à développer.

Julien Dorra tout d’abord reconnaît que Museomix n’aurait pas pu émerger il y a une quinzaine d’années, non pas à cause de l’état d’alors de l’informatique (qui fête ses 70 ans) ou de l’impression 3D (40 ans), mais tout simplement parce que les réseaux sociaux numériques n’existaient pas à l’époque. Museomix permet de rejoindre et de faire se rencontrer différentes communautés professionnelles grâce notamment à ces outils numériques. Museomix selon lui a permis selon lui de créer un troisième axe à la réflexion classique des modes de communications.

Nous avions le mode médiatique ; dans lequel c’est le musée qui pousse du contenu vers son public, puis le mode participatif, dans lequel on demande à son public ou à un public d’intervenir sur un sujet donnée, et avec Museomix, un troisième palier est né : celui de la contribution qui met en relation différentes communautés qui participent à la co-construction de l’institution.

Selon Julien Dorra, le monde muséal est ainsi passé de la démocratisation culturelle à la démocratisation des décisions, puisque (certaines) des institutions ont choisi de partager le pouvoir.

Dans le cas de David Sheinkopf, la technologie a elle aussi permis de re-connecter une même communauté, ayant souffert de la paupérisation impliquée par la désindustrialisation et le manque d’axes de communication. Pionneer works est situé dans le quartier des docks de Brooklyn, Red Hook. Le coin est assez pauvre et les docks, autrefois symboles de la classe ouvrière locale sont laissés à l’abandon. Suite à l’ouragan Sandy de 2012 qui a inondé le quartier, Pioneer Works a souhaité réunir la communauté autour d’un pari fou : une régate de bateaux (réalisés via une imprimante 3D) le long des docks avec, pour gagner, la réalisation miniature du travail des dockers de l’époque : débarquer des conteners. Cet événement a rassembler 300 personnes et Pionneer Works cherche aujourd’hui d’autres idées permettant de mettre en valeur et rassembler le voisinage autour de projets communs.

Le visiteur comme acteur et penseur

Le deuxième thème de la table ronde mettait en avant l’implication des visiteurs dans la réflexion autour de l’institution avec deux cas pratiques présentés par Sheetal Prajapati, Directrice adjointe du département Éducation et initiatives artistiques – Museum of Modern Art de New York et Jacob Zimmer, Directeur de la compagnie de théâtre Small Wooden Shoe.

Le MoMA a lancé Artists Experiment en 2012. c’est une initiative annuelle qui met en relation des artistes avec des éducateurs du MoMA pour développer des interactions innovantes et expérimentales avec le public. Selon Sheetal Prajapati, lors de la réflexion du projet, le musée a souhaité mieux connaître ses publics. Etant donné que 65% du public de l’institution est touristique et donc que l’anglais est très souvent leur deuxième langue, il fallait pouvoir composer avec cet élément. Tous les départements du musée ont été mis à contribution dans le cadre de ce projet et les artistes sont devenus les facilitateurs entre le public et le musée.

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Jacob Zimmer, de son côté a montré l’importance de créer de nouveaux « conversation starters » dans l’élaboration de pièces de théâtre. Selon lui, on ne peut dire qu’on est artiste mais qu’on est une personne qui fait de l’art, car cette dénomination englobe bien plus que le qualificatif d’artiste.

Quelle identité du visiteur au musée ?

Ce dernier sujet était couvert par Mélanie Devault, Conceptrice Éducation – Musée des beaux-arts de Montréal, Jerry McGrath, Directeur du programme Creative Ecology Leadership – Banff Arts Centre et Serina Tarkhanian, Codirectrice de création – gsmprjct qui en a assuré la conclusion.

Mélanie Devault a présenté à l’audience Educ’art, un projet permettant de réinventer la relation entre le musée et les écoles par le processus de co-création. Educ’art offre des ressources en ligne tout en s’arrimant au programme éducatif avec le développement de contenus dont le musée n’est pas expert, mais pour lesquels il a besoin de l’aide des enseignants. Ce décloisonnement s’est fait dans la directe ligne du programme Musée en partage qui existe au MBAM depuis 15 ans et suite à l’édition 2014 de Museomix. Dans le cas présent, le musée arrive avec ses collections, ses oeuvres et l’enseignant avec son programme. Le contenu est ainsi élaboré collectivement et les élèves pourront accéder à ce résultat quand il sera partagé avec la communauté. La plateforme est en test pour le moment et n’est malheureusement pas encore partageable.

Conversations MuseomixMTL - crédits : Trung Dung Nguyen

Conversations MuseomixMTL – crédits : Trung Dung Nguyen

Jarry McGrath de son côté réfléchit à comment le Banff Center peut mettre en relation différentes communautés (ce qu’il fait une fois par an), à les faire travailler sur un projet sans pour autant avoir à les limiter dans le temps comme tel est le cas avec Museomix, dans lequel les participants doivent pouvoir mettre leurs doutes de côté s’ils souhaitent avancer (ils n’ont malheureusement pas le temps de se poser trop de questions). Jerry McGrath interroge nos identités en demandant à chaque participant de poser 10 fois de suite la question suivante à son voisin : « Who are you? ». Faire cela selon lui pousserait chaque personne à être consciente de l’identité de l’autre tout en faisant naître de nombreuses questions annexes utiles et nécessaires à l’échange, questions qu’on ne se serait pas posées dans le cadre d’un échange classique.

Enfin,  Serina Tarkhanian, quant à elle, présente différents projets d’exposition créés par gsmprjct, entreprise de design qui existe maintenant à Montréal depuis plus de 50 ans. Gsmprjct s’est d’ailleurs longtemps intéressé à l’identité des visiteurs et du public en général et grâce au projet Star Wars Identities (une exposition qui fait dorénavant le tour du monde), l’entreprise accompagne le visiteur dans la création de son identité grâce aux outils technologiques.

En quelques mots

L’intégration du public dans la construction de projets ou le questionnement de l’identité d’institutions est de plus en plus fréquent. Nina Simon en 2010 faisait déjà figure de pionnière lorsqu’elle parlait du Participatory Museum. Cette tendance semble s’affirmer de plus en plus : que certains musées souhaitent s’allier à Museomix ou bien créer créer leurs propres prrojets comme le MoMA ou de façon plus modeste comme le musée Borely à Marseille ou Culture Hack au Royaume-Uni. Toutes les clefs de la création d’un tel projet sont disponibles sur la toile, son succès cependant dépend uniquement de la bonne volonté et de l’adhésion de la structure et de ses salariés à une telle collaboration et transformation.


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