Marylène Delbourg-Delphis, serial entrepreneuse, revient sur son expérience dans la baie de San Francisco.
Arrivée en 1987 à San Francisco après avoir lancé une première entreprise en France, Marylène Delbourg-Delphis constitue l’une des premières femmes européennes entrepreneurs de la Silicon Vallée. Sortie de l’École normale supérieure, cette passionnée des lettres et de la mode rencontre sur son chemin des personnages aussi inspirants que Guy Kawasaki, le célèbre évangéliste technologique d’Apple, à qui elle saura donner le goût de l’écriture et dont elle a traduit les ouvrages en langue française. La flamme de l’entrepreneuriat ne l’a jamais quitté puisqu’elle officie aujourd’hui encore en tant que CEO d’une start-up mais aussi en tant que mentor et consultante stratégique auprès de jeunes pousses.
L'Atelier : Vous êtes arrivée à la fin des années 80 dans la baie de San Francisco. Est-il aujourd’hui plus facile de créer une entreprise dans la Silicon Valley que cela ne l’était il y a presque 30 ans ?
Marylène Delbourg-Delphis : Je n’ai jamais considéré qu’il était difficile d’un point de vue administratif de monter une entreprise que ce soit en France, où j’ai monté ma première société, ou à l’étranger. Pour le reste, le fait de démarrer une société, les challenges à la création d’entreprise restent les mêmes.
Le bon entrepreneur se doit toujours d’avoir de l'endurance. Passion et patience lui sont clés comme l’acceptation des hauts et des bas qu’il traverse. Il ne doit pas oublier que ce qu’il a entrepris jusqu’alors n’est rien par rapport à ce qui l’attend. En 2015 comme il y a 25 ans, un entrepreneur heureux est un entrepreneur qui n’est jamais satisfait !
Le fait d’être un entrepreneur français influe-t-il sur la bonne ou mauvaise concrétisation de son projet entrepreneurial dans la Silicon Valley ?
Certainement plus maintenant ! À l’époque où j’ai créé ma première entreprise aux États-Unis, cela avait probablement un certain impact car très peu de Français s’étaient alors rendus à San Francisco pour monter leur start-up et encore moins des femmes. Je présentais ainsi les caractéristiques d’un animal assez rare ! Commencer un business technologique, en lien avec les bases de données, semblait peu compatible avec l’image d’une personne très féminine, habillée très à la mode que je renvoyais.
Par ailleurs, depuis la fin des années 80, la Silicon Valley a elle même énormément évolué. Alors que San Francisco n’était qu’une une ville provinciale et très américaine, elle est devenue cosmopolite. Que l’on vienne d’Inde, de Chine, du Brésil ou d’Albanie n’a aucune espèce d’importance à mon sens. Les américains,depuis plusieurs générations qui habitent dans la Vallée sont en sous nombre à l’heure actuelle. L’accent français n’est donc plus un problème comme il pouvait l’être il y a encore 25 ans !
De quelles caractéristiques devrait se doter un entrepreneur pour se donner toutes les chances de voir son projet avancer dans la Vallée ?
Quand on arrive dans la Vallée, il faut prendre conscience d’une chose : il existe un nombre impressionnant de gens aussi intelligents que soi ! L’intelligence est la chose la mieux partagée dans ce monde. Un entrepreneur français tout juste débarqué doit ainsi apprendre l’humilité. En effet, l’idée géniale qu’il a peut-être développée à Montluçon peut avoir été pensée n’importe où ailleurs dans le monde. Et pour cause, on est rarement le seul à avoir une bonne idée !
Par ailleurs, la concurrence est tellement importante qu’il est préférable d’avoir un très bon produit. Il faut maîtriser ce qu’on fait parfaitement d’un point de vue technologique. Aussi, il est nécessaire d’être assez avancé dans le développement du produit : avoir déjà quelques clients qui le valident.
En un sens, pour les étrangers, la barre est peut-être placée un peu plus haut. En effet, s’il existe des réseaux français, francophiles qui se sont fortement développés ces dernières années, ils sont sans commune mesure avec la portée des réseaux sociaux et professionnels des écoles américaines. Il faut ainsi en premier lieu se rendre compte que lorsqu’on se présente dans la Baie, on est finalement peu de chose. Il reste alors ensuite à prendre son bâton de pèlerin et s’imaginer chaque jour recommencer à zéro, ne jamais s’installer dans l’idée qu’on est déjà arrivé.
Vous avez écrit les préfaces et traduit en langue française les écrits de Guy Kawasaki, un des premiers directeurs Marketing chez Apple. Ce dernier traite du thème de l’évangélisme technologique. Quel est le rôle de cet évangélisme dans les entreprises aujourd’hui ?
Il s’agit d’une notion relativement naissante. Une des premières personnes à avoir évoqué ce terme d’évangélisme technologique a été Guy Kawasaki lorsqu’il s’est fait le porte parole de la beauté, de la puissance et de la magie du Macintosh. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, j’ai été surprise par ce terme d’évangélisme que je trouvais être un mot trop religieux. Je m’y suis habituée en attendant Guy Kawasaki parler. J’ai compris la force de la communication personnelle sur un produit : l’art de communiquer sur un produit fait par quelqu’un qui l’utilise, qui en a la passion et qu'il fait vivre par contagion aux personnes auxquelles il s’adresse, l’expérience qu’il en a – et cela n’a rien à voir avec le discours très normé, calibré, presque neutre que peuvent avoir les chargés de relations publiques, par exemple. La force de l’évangélisme technologique, c’est de communiquer une expérience directe, interpersonnelle.
En ce sens, il se rapproche de ce qu’est devenu aujourd’hui le social media. D’ailleurs ce n’est pas hasard si le père de ce concept est aussi une personne très influente sur les réseaux sociaux aujourd’hui ! Il est indispensable pour les entreprises d’avoir leurs évangélistes car cela leur permet de rappeler à leurs employés qu’ils doivent vivre les produits qu’ils vendent, peu importe leur échelon dans la hiérarchie. L’évangéliste dans une entreprise permet à tous les autres employés de comprendre leur mission personnelle, qui consiste à défendre les valeurs de la société, à être le porte parole de ce qu’on aide à créer. On ne saurait en effet oublier que tout repose sur l’expérience qu’on propose à ses clients.