Lucian Michael Freud est un peintre figuratif britannique né le 8 décembre 1922 à Berlin, et mort le 20 juillet 2011 à Londres. Son père, l’architecte Ernst Ludwig Freud, était le plus jeune fils de Sigmund Freud. Il est donc le petit-fils du fondateur de la psychanalyse.
Par son style réaliste et acéré, Lucian Freud est considéré comme un des peintres figuratifs contemporains les plus importants, et un des plus exemplaires. Il est notamment reconnu pour les portraits exécutés depuis les années 60. Peints dans une texture épaisse, dans des tons bruns, gris et blancs, ses modèles, généralement nus, sont vus dans un intérieur désolé – la pièce vide et maculée de peinture où travaille le peintre –, sur des lits ou des sofas défoncés, dans des poses inhabituelles et des attitudes crues, sous un éclairage électrique qui fait briller les chairs (il y a d’ailleurs chez Freud une recherche obsessionnelle du rendu de la lumière, de ses reflets). Car là est la clef de son grand œuvre : pendant plus de soixante ans, ce peintre a reproduit le même dispositif, travaillant debout, sur le vif, au chevalet, de jour comme de nuit, dans le huis clos de trois ateliers successifs, face à des modèles vivants, mis à nu, dont il exigeait qu’ils se rendent disponibles le temps d’interminables pauses.
Enfant chéri de l’Angleterre, Lucian Freud a aussi ses nombreux détracteurs, choqués par l’aspect caricatural, presque morbide de certaines de ses œuvres. Toutes ces années, ce qui gênait peut-être tant, c’est que le peintre, certain qu’« un corps tout nu renvoie le regard, réfléchit le peintre, peint le peintre », reprenait inlassablement son autoportrait, et qu’il allait finir, à soixante-dix ans, par nous le livrer brosse et palette à la main, en godillots, émacié et nu comme un ver (Painter working, reflection, 1993)…
Il est toutefois juste de rendre à César ce qui appartient à César, à savoir le peintre anglais Stanley Spencer (1891-1959) qui, 30 ans plus tôt, a peint pratiquement les mêmes nus sans concession, exagérément laids, notamment le double nu ici (portrait de l’artiste et de sa seconde femme, Patricia Preece, avec qui le mariage ne sera jamais consommé, celle-ci étant lesbienne – ce qui ne l’empêche pas de poser nue pour son mari), assurément l’un des plus troublants de la peinture du XXe siècle, qui contient déjà en puissance tout l’art de Lucian Freud, toute la violence de Francis Bacon ; on songe au vers de Baudelaire : « La chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres ».
Les débuts
En 1934, pour échapper à l’antisémitisme nazi, Ernst Ludwig emmène sa famille à Londres.
En 1938, suite à l’Anschluss, Sigmund Freud les y rejoint (les quatre sœurs de ce dernier – octogénaires – resteront à Vienne et mourront en camp de concentration).
Après ses études secondaires, Lucian entre en 1938-1939 à la Central School of Arts and Crafts de Londres. De 1939 à 1941, il suit les cours de Cedric Morris à l’East Anglian School of Painting and Drawing à Dedham. Il est alors mobilisé dans la marine marchande puis démobilisé après trois mois de mer.
De 1942 à 1943 il étudie à temps partiel au Goldsmith’s College à Londres. En 1943, il illustre les poèmes de Nicholas Moore. Il expose, pour la première fois, à la galerie Lefèvre à Londres en 1944. Sa peinture est alors influencée par le surréalisme : en témoigne le tableau énigmatique Man with a feather (très Magritte) ainsi que deux tableaux faisant apparaître une tête de zèbre.
En 1948, après une liaison avec Lorna Garman, il épouse sa nièce, fille du sculpteur Jacob Epstein : Kitty Garman. C’est son premier mariage : marié et divorcé à plusieurs reprises, Lucian Freud aura de nombreux enfants (14 finalement reconnus et sans doute bien plus), dont la designer de mode Bella Freud, l’écrivain Esther Freud ou l’artiste Jane McAdam Freud (voir plus bas).
À partir des années 1960, son style à la fois brutal et réaliste se forge avec comme thèmes privilégiés les portraits de ses amis, mais aussi des commandes, des grands nus vus comme écrasés par la vision de l’artiste, des portraits de chevaux et de chiens. Il est alors proche de Francis Bacon, Frank Auerbach, Leon Kossof, Michael Andrews, Ronald Kitaj, etc., amis avec qui il forme ce que Kitaj appellera l’École de Londres – groupe auquel sera consacrée une exposition, en 1998-1999, au musée Maillol : des artistes qui, pendant les années fastes de la peinture abstraite, s’obstinaient à peindre dans un style figuratif, prouvant, ô combien, que cette peinture là, n’en déplaise aux Cassandre, n’était pas morte !
Francis Bacon fera d’ailleurs plusieurs portraits de son ami, dont Three Studies of Lucian Freud, daté de 1969, vendu 142 millions de $ en 2013, record de l’époque (pour une vente aux enchères : voir ici).
La reconnaissance
Le talent de Freud est reconnu à partir des années 1970-1980 avec, en 1974, l’exposition rétrospective de ses œuvres à la Hayward Gallery de Londres, puis, en 1982, avec la publication de la première monographie consacrée à son œuvre par Lawrence Gowing.
La première grande exposition itinérante de son œuvre a lieu en 1987-1988 (Washington, Paris, Londres, Berlin). Après l’exposition de l’École de Londres suivent, en 2002, l’exposition de la Tate Britain, celle de la fondation La Caixa Barcelona, celle du Museum of Contemporary Art de Los Angeles. En 2005 a lieu une importante rétrospective de son œuvre à Venise.
En 2010 – Lucian Freud a 88 ans – est présentée à Paris l’exposition « Lucian Freud – L’Atelier », au Centre Georges-Pompidou, plus de vingt ans après la première rétrospective que lui avait consacrée le Centre, en 1987.
Records
En 2008, le tableau Benefits supervisor sleeping, peint en 1995 et représentant Sue Tilley, dont Freud a fait de nombreux portraits, s’est vendu aux enchères chez Christie’s pour 34 millions de $, le record pour un artiste vivant (détenu jusque là par l’Américain Jeff Koons et ses 23 M$ en novembre 2007 pour un cœur d’acier magenta et kitsch). Depuis, Benefits Supervisor Resting a fait encore mieux en 2015 avec 56 millions de $.
Au delà de ces chiffres, la peinture de Freud prouve surtout de manière éclatante qu’il n’y a pas que le beau qui peut toucher… En ne trichant pas, en donnant à voir la vérité crue (rejoignant en cela des artistes aussi divers que Frida Kahlo, Edward Hopper ou Giacometti), il peint l’humain débarrassé de son déguisement social et de ses artifices psychologiques, dans son animalité et sa douloureuse fragilité, nous livrant son identité profonde quitte à choquer. « Je peins ce que je vois, pas ce que vous souhaitez que je voie », disait-il. L’animalité n’exprime pas un mépris de la spécificité humaine ; elle sert à la définir. Elle est là, dissimulée sous ses vêtements, dans ses rêves et ses désirs. Et d’ailleurs, souvent, l’animal est là aussi, renforçant encore ce rapprochement homme/bête.
Lucian Freud est mort le 20 juillet 2011, à Londres. Il avait 88 ans. Nicholas Serota, directeur de la Tate Gallery de Londres, lui a rendu hommage : « La vitalité de ses nus, l’intensité de ses natures mortes et la présence de ses portraits de famille et d’amis ont assuré à Lucian Freud une place unique dans le panthéon des artistes de la fin du XXe siècle. »
Ses peintures
Lucian Freud, ses femmes, ses enfants, ses modèles, son studio…
Je finirais par un récapitulatif de la « tribu » Freud, à savoir ses deux femmes, ses très nombreuses maîtresses et ses 14 enfants reconnus – pas mal pour un homme qui vivait comme un ermite et dont la seule vraie maîtresse était la peinture (du coup, ses enfants, pour l’approcher, n’avaient d’autre choix que de poser pour lui) :
« Kitty » Epstein (1926–2011), fille du sculpteur Jacob Epstein et de Kathleen Garman, sa première épouse (1948 à 1952) :
• Annie Freud (née en 1948), poète
• Annabel Freud (née en 1952)
Caroline Blackwood (1931-1994), héritière Guinness par sa mère, sa seconde (et dernière) épouse (1953 à 1958) :
• Pas d’enfant
Suzy Boyt (née en 1935), pupille de Freud à la Slade art school :
• Alexander (Ali) Boyt (né en 1957)
• Rose Boyt (née en 1959)
• Isobel (Ib) Boyt (née en 1961)
• Susie Boyt (née en 1969), écrivaine
Katherine Margaret McAdam (1933–98) : les « Freud oubliés »
• Jane McAdam Freud (née en 1958), sculpteuse
• Paul Freud (né en 1959)
• Lucy Freud (née en 1961)
• David McAdam Freud (né en 1964)
Bernardine Coverley, enseignante (1943–2011) :
• Bella Freud (née en 1961), designer de mode
• Esther Freud (née en 1963), écrivaine
Jacquetta Eliot, Countess of St Germans (née Jacquetta Lampson, 1943):
• Francis Michael Eliot (né en 1971)
Celia Paul (née en 1959), peintre :
• Frank Paul (né en 1984), artiste