Il y a démon et démon. Alors que c'est le titre d'une pièce qui se joue actuellement au Théâtre de Belleville c'est aussi l'intitulé d'une exposition présentée au Petit Palais jusqu'17 janvier 2016.J'ai eu un énorme coup de coeur pour Utagawa Kuniyoshi, (1797-1861) le démon de l'estampe, qui est à mon (humble) avis, bien plus réussie et nettement plus abordable que celle que le Grand Palais avait consacré il y a un an à un autre artiste japonais, plus célèbre, Katsushika Hokusai (1760-1849).
C'est audacieux et totalement passionnant. Pour la première fois en France, on a rassemblé la production de cet artiste hors du commun, que fut Kuniyoshi, contemporain presque exact d’Eugène Delacroix, moins connu en Occident qu’Hokusai et Utamaro. Grâce à d’importants prêts japonais, complétés par ceux d’institutions françaises, les 250 estampes présentées témoignent de sa grande force dramatique et de sa beauté expressive de son oeuvre vivante, narrative, poétique...
L’exposition explicite à merveille la fonction de cette imagerie de grande qualité et son importance dans la société japonaise. Si on sait combien Monet admirait Hokusai, on apprend à cette occasion qu'il connaissait très bien Kuniyoshi, que Rodin appréciait tout autant que lui, et qui a largement influencé l’art du manga et du tatouage.La scénographie a été pensée pour couper le visiteur du réel et le faire pénétrer dans le monde de Kuniyoshi avec sa cohorte de personnages, de figures, ses paysages, ses visions de la société... C’est également un espace pictural étonnant d’inventivité.
L'entrée est marquée par un "choc visuel" puisque le visiteur est accueilli par des figures surdimensionnées comme s'il pénétrait dans les pages d’un manga géant, inspirés par les immenses panneaux publicitaires lumineux d’Osaka. Comme un bonheur n'arrive jamais seul, on peut enchainer sur une seconde exposition, L’estampe visionnaire, de Goya à Redon, préparée elle aussi avec une forte intelligence, justifiant le titre de "Fantastique !" pour leur union. Au premier sens du terme comme dans ce qu'il implique de sensationnel.J'ai visité l'ensemble en me laissant porter par la beauté et la symbolique des images, en prenant quelques clichés de ce qui me semblait le plus évocateur. Je m'aperçois, en consultant le site du Petit Palais que le résumé du parcours est assez proche. Je l'insère donc dans ce billet pour vous donner un aperçu plus fidèle que toutes les explications possibles. Ceux qui voudront en voir plus pourront ensuite dérouler l'article pour accéder à mes photos. En cliquant sur la première il est possible de les voir grandeur réelle, ce qui est sans comparaison avec le format vignette.
Voilà en tout cas un très bel objectif de sortie, avec ou sans enfants. Ne manquez pas de faire un tour ou un détour par les collections permanentes (d'accès toujours gratuit). On y rencontre Courbet, Bonnard, Maillol, Monet ... Prévoyez une grande demi-journée et profitez aussi du jardin, qui évoque un peu un riad marocain.
Consultez auparavant le site du Petit Palais qui a tout un programme d'activités complémentaires, conférences, ateliers, nocturnes, et une librairie avec des publications spécifiques.
Fantastique ! La double exposition | Petit Palais par paris_musees
Chacune des deux expositions a sa propre personnalité mais des liens notamment esthétiques apportent une harmonie et une parenté qui s’expriment par exemple par une ligne de mobilier commune, des détails de construction, des matériaux, un principe de couleurs en contrepoint d’une exposition à l’autre.
On commence par Kuniyoshi, le démon de l’estampe.L’œuvre de cet artiste est multiple et son univers entre encore en résonance avec celui du japon actuel : qu’il s’agisse des bandes dessinées, des films d’animation, des tatouages, mais également de l’environnement publicitaire urbain.
L’anticonformisme de son œuvre le tint à l’écart de la vague du japonisme décoratif en Europe à la fin du XIXe siècle même s’il fut admiré de Monet ou Rodin. Ses estampes sont caractérisées par l’originalité de leur inspiration et des cadrages, la violence dans les séries de monstres et de combattants, l’humour dans les séries d’ombres chinoises, les caricatures et les représentations de la vie des chats.
Un espace introductif est consacré à la présentation de l’artiste et à sa réception en France au XIXe siècle.

A gauche, une première Gravure sur bois en couleurs de 1849, feuille droite d'un triptyque, provenant du Musée Rodin, réalisée par Utagawa Kuniyoshi : Iwanaga Soren et Akoya. A droite, une autre représentant un portrait commémoratif de Kuniyoshi, peu de temps avant sa mort.On découvre, au fur et à mesure, son travail sur les guerriers et dragons, genre stylistique dans lequel il a excellé.
L'oeil est très vite attiré par ce héros légendaire japonais, Sakata Kaido-Maru, souvent représenté comme un enfant appelé Kintaro qui a démontré une force extraordinaire depuis sa plus tendre enfance et qui a appris à communiquer avec les animaux. Sa légende comprend des exploits incroyables comme le concassage de roches, des combats de monstres et démons, déracinant des arbres, ou encore aux prises avec une carpe géante et bondissante sous une cascade. Le traitement des projections de gouttes d'eau et le saisissant rideau d'eau bleu pâle coulant sur le dos de la carpe témoignent d'une grande maitrise du dessin.Selon la légende inscrite dans un des cartouches de l'estampe (vers 1836), Yamauba, une sorcière qui vivait dans la montagne, rêva qu'elle s'unissait à un dragon roue et mit au monde ce petit garçon doté d'une force herculéenne. L'image de Kintaro est considérée comme un porte-bonheur.
Tout aussi impressionnante est la princesse Takiyasha invoquant un monstrueux squelette dans l'ancien palais de Soma, vers 1845-1846. La princesse et son frère s'initient aux arts magiques auprès du sorcier Nikushisen, dans l'intention de fomenter une révolte et d'accomplir ainsi les dernières volontés de leur défunt père. Le graveur représente un squelette de taille gigantesque qui semble être projeté depuis le fond vers l'avant de l'image dans un mouvement en diagonale et renversant un store de bambou. Le réalisme anatomique est admirable, comme en témoigne la précision du dessin des orifices dans lesquels passent les nerfs de la mâchoire inférieure.Une seconde salle s’attache aux acteurs célèbres de Kabuki. Kuniyoshi excelle à représenter l’expressivité des visages avec suffisamment de fidélité et de caractère pour que le public puisse parfaitement les reconnaître et saisir ainsi la personnalité de chaque vedette, même s'ils sont parfois caractérisés par une grande expressivité tirant jusqu’à la caricature.
Cette tablette votive représente des masques d'acteurs de Kabuki sélectionnés au prix officiel, vers 1848. Il a aussi réalisé plusieurs gravure sur bois en couleurs où des personnages assemblés n'en forment qu'un, à l'instar de celle-ci, en 1847.
Le parcours s’attarde ensuite sur les plaisirs et divertissements à Edo au travers d’une grande variété d’estampes comme les "bijin-ga" ou beautés féminines plus traditionnelles ou encore des estampes plus originales, les "kodomo-e" ou images d’enfants qui révéleront le regard singulier que l’artiste pose sur les scènes de la vie quotidienne. J'ai remarqué une très belle Jeune fille tenant un parapluie sous la neige, vers1831-1832, et un Album et fleur de calebasse, réalisé en collaboration avec Shibata Zeshin (1807-1891), en 1849.
Puis, le parcours propose une sélection d’estampes de paysages au bord de l’eau dont l’angle de vue photographique confère à leur composition un style éminemment moderne qui témoigne de son intérêt pour les techniques picturales occidentales, notamment dans le traitement du ciel, des nuages, du clair-obscur et de la perspective.
À l’est d’Edo, le fleuve Sumida est non seulement un but de promenade réputé pour ses cerisiers en fleur ou ses feux d’artifice, mais aussi une importante voie d’échanges. De nombreux bateaux l’empruntent aussi pour rejoindre le Shin Yoshiwara, le quartier de plaisirs. Au cœur de la ville, les alentours du pont Ryôgoku, où Kuniyoshi vécut pendant un temps et qu’il représenta dans de nombreuses estampes, sont très fréquentés et comptent d’innombrables échoppes et maisons de thé alignées en rangs serrés.Ces vues d’Edo peuplées de personnages saisis dans leur vie quotidienne, donnent à qui les regarde l’impression de marcher le long du fleuve aux côtés du maître. Ses paysages ont été très prisés. Claude Monet (1840-1926) ou le grand collectionneur d’art japonais Henri Vever (1854-1942) en possédèrent plusieurs.
L’exposition se termine par un ensemble majeur d’œuvres satiriques et humoristiques témoignant du talent sans égal de l’artiste pour la caricature. Ces images du quotidien peuplées d’animaux anthropomorphes, chats (ci-dessous Proverbes illustrés par des chats, 1852), oiseaux, crapauds... ont influencé toute une génération de créateurs de mangas.
Pour accompagner les visiteurs d’une exposition à l’autre, un couloir de transition est animé grâce à un mélange créatif de motifs imprimés et de projections vidéo.
De par leur mouvement et leur présence visuelle forte, ces animations entrainent le visiteur de manière ludique d’un monde à l’autre, sous forme de conclusion pour l’univers coloré de Kuniyoshi, et sous forme de préambule pour celui, énigmatique et curieux, des estampes visionnaires.
Un espace sur la technique japonaise de l’estampe permet de voir de superbes outils en complément de l’exposition, ainsi qu’un espace de lecture de mangas mis à la disposition des visiteurs à la fin du circuit.
On poursuit avec l’estampe visionnaire de Goya à RedonCette seconde exposition est organisée par le Petit Palais avec le concours de la Bibliothèque nationale de France avec plus de 170 œuvres de Goya à Redon en passant par Delacroix et Gustave Doré.
C'est la première fois qu'on célèbre avec une telle ampleur, le monde terrifiant de l’estampe fantastique et visionnaire, en l'occurrence le triomphe du noir, du macabre au bestiaire fantastique, ou au paysage habité, jusqu’à la représentation du rêve ou du cauchemar à travers une plongée dans l’art fantastique qui suit un parcours chronologique.
Elle est néanmoins introduite par une vidéo contemporaine présentée en boucle, et qui crée le sentiment d’un trouble récurrent. Avec My Nights, Agnès Guillaume convoque dans un ballet les oiseaux noirs des nuits d’insomnie qu'elle traite de manière littérale et incarnée. Elle offre son propre portrait en fond d’image, cadré de face, en gros plan, tantôt les paupières closes, tantôt les yeux grand ouverts. Des oiseaux noirs surgissent devant le visage de l’artiste, proche de l’effacement. Nous sommes face à deux mondes qui ne communiquent pas, deux entités partageant le même espace-temps mais non la même intention, non la même pulsion de vie.




La deuxième section aborde le néo-romantisme autour de Gustave Doré, artiste le plus emblématique de ce courant : en témoignent notamment ses compositions pour L’Enfer de Dante édité en 1861. Enfin le parcours s’achève sur la présentation de planches d’Odilon Redon notamment qui, avec Dans le rêve, ouvre la voie de ce qui allait devenir le symbolisme. En plein courant naturaliste et alors que le groupe des impressionnistes inaugure sa quatrième exposition, cet artiste publie, en 1879, cette suite de lithographies comme un manifeste de son désir de se soustraire au positivisme ambiant. Cet album inaugural est la clef de voute du dernier sursaut du romantisme en noir et blanc qui trouve un écho chez les peintres-graveurs de la fin du XIXe siècle.


La production artistique qui nous est montrée dans cette partie de l'exposition met en évidence un "romantisme noir" qui se nourrit de la matière même de l’encre du graveur.
On continue dans les collections permanentes

Parmi ses richesses se distinguent une collection exceptionnelle de vases grecs et un très important ensemble de tableaux flamands et hollandais du XVII° siècle autour du célèbre Autoportrait au chien de Rembrandt. Sa magnifique collection de tableaux français des XVIII° et X
IX° siècles compte des œuvres majeures de : Fragonard, Greuze, David, Géricault, Delacroix, Courbet, Pissarro, Monet, Renoir, Sisley, Cézanne et Vuillard.Dans le domaine de la sculpture, le musée s’enorgueillit de très beaux fonds Carpeaux, Carriès et Dalou. La collection d’art décoratif est particulièrement riche pour la Renaissance et pour la période 1900, qu’il s’agisse de verreries de Gallé, de bijoux de Fouquet et Lalique, ou de la salle à manger conçue par Guimard pour son hôtel particulier. Le musée possède enfin un très beau cabinet d’arts graphiques avec, notamment, les séries complètes des gravures de Dürer, Rembrandt, Callot ... et un rare fond de dessins nordiques. J'ai retenu un tableau de Courbet parce que j'avais visité le nouveau musée que sa ville natale Ornans lui consacre, un immense vase de Dalpayrat parce que j'ai visité récemment sa maison à Bourg-la-Reine ...



La Femme au singe est composée d'un assemblage audacieux d'éléments de bronze doré (la tête et les mains) er de plaquettes de grès émaillées, montées sur uns structure de bois et de fer, tenues par un mortier de bique pilé, les points étant réalisés en plâtre coloré. Hiératique et mystérieuse, l'oeuvre doit autant à l'image symboliste de la femme fatale tenant enchainée un adorateur qu'à une inspiration néo-médiévale propre à l'auteur. L'ensemble forme une sorte d'objet d'art gigantesque dont la forme séduisante et les couleurs chatoyantes font oublier l'exploit technique et 'ingéniosité de cet artiste en core méconnu.




L’estampe visionnaire de Goya à RedonDu 1er Octobre 2015 au 17 Janvier 2016Au Petit Palais, Avenue Winston Churchill 75008 - PARIS
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Fermé le lundi et certains jours fériés
Ouverture le mercredi 11 novembre
Nocturne le vendredi jusqu'à 21h pour les expositions temporaires
Gratuit jusqu'à 17 ans inclus


