La révolte d'Eva d’Elise Fontenaille 5/5 (28-10-2015)
La révolte d'Eva (45 pages) est sorti le 14 octobre 2015 aux Editions Rouergue (littérature jeunesse).
L’histoire (éditeur) :
Éva et ses quatre soeurs vivent sous l'emprise d'un père violent, admirateur d'Adolf Hitler. Personne dans le village n'ose s'affronter à lui. Sauf Éva, qui est la plus jolie de la famille et aussi la plus rebelle. Jusqu'à la tragédie... Élise Fontenaille s'inspire une nouvelle fois d'une histoire vraie pour faire le portrait d'une adolescente confrontée à des situations exceptionnelles. Avec la fluidité de son écriture, c'est une confession très forte qu'elle nous livre là.
Mon avis :
Incroyable comme un si petit livre peut-être aussi percutant.
Inspiré d’un fait réel, La révolte d’Eva parle de maltraitance, de violence, de folie et de courage.
« Les voisins ne se plaignaient jamais, ni du bruit, ni des balles, ni des cris… Tout le monde avait peur du Père du village. Tout le monde, même le maire.
C’est dire. Pourtant il n’était pas commode, celui-là.
La maison était située un peu à l’écart, tout au out, comme si les autres maisons avaient reculé pour ne pas s’en prendre une. Elles étaient toutes serrées les unes contre les autres comme pour se tenir chaud, sauf la nôtre.
Voilà. C’était ça, notre vie.
Depuis toujours, et pour toujours.
Mais il u avait aussi les moments heureux, faut pas croire : Et puis on n’avait jamais connu que ça, alors. » Page 22
Tout en nuances, parce que la vie n’est ni blanche ni noire, Eva nous raconte son quotidien et celui de ses 4 sœurs. Eva est celle qui prend le plus, celle du milieu, la plus coriace aussi, celle qui ne pleure pas, qui l’agace forcément davantage (aussi parce qu’elle résiste, lit des livres…). Ça le rend fou ce père qui les frappe pour un oui ou pour un non, qui ne travaille plus, qui les oblige à saluer le portrait du Führer et qui leur apprend à tirer à la carabine.
« J’étais devenue une excellente tireuse, alors, quand même, il m’aimait. Oui, je crois bien qu’il m’aimait.
À sa façon à lui, terrible et folle. » Page 21
Heureusement la maison est reculée et tout près de la forêt où Eva trouve régulièrement refuge (la rivière devient son échappatoire)
« J’oubliais tout quand j’allais dans les bois, juste derrière la maison. Et j’y allais tous les jours, en toutes saisons : qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente…Je n’aurais pas pu vivre sans la forêt, c’était ma vraie maison.
L’autre, celle où on vivait, c’était juste un piège, un traquenard, comme celui qu’il posait dans la mare, pour noyer les ragondins. » Page 11
Voilà la vie d’Eva : une mère sans dents (les coups les ont toutes cassées), silencieuses et cachée derrière ses tricots. (« J’avais l’impression que c’était notre enfer qu’elle tricotait, les chaines de laine de notre prison. » Page 15, « Courbée sur son éternel tricot, comme une sorcière vaincue, qui aurait perdu tous ses pouvoir. » Page 16), son amie Patricia (« Ma vie est devenue douce, quand elle est entrée dans ma vie. Moins dure, disons. » Page 15). Et ce père épouvantable qu’elle aime malgré tout et toujours plus que sa mère.
« Il restera toujours mon papa.
Je crois qu’il m’aimait quand même, en vrai.
Un peu au moins.
Il nous aimait, mes sœurs et moi, à sa façon.
Mais il avait une bête en lui – un démon.
L’alcool, surement, mais pas seulement.
Un démon, en lui, bien profond.
Profond-profond, un puits de terreur.
A se pencher sur son eau noire, on risquait de basculer, et de tomber dedans. » Page 12
Ce père qu’elles craignaient plus qu’elles ne haïssaient, contrairement à celle qui laissait faire. Jusqu’au jour où il est allé trop loin et où la colère d’Eva s’est transformée en révolte.
Voilà ce qu’est La révolte d’Eva. Un petit, tout petit, livre (de 48 pages) tellement puissant par son fond et par sa forme qui vous auriez envie d’en parler pendant un long moment, comme si la révolte vous gagnait vous aussi et que le besoin d’évacuer l’émotion serait trop fort pour ne rien en dire.
Elise Fontenaille est une poétesse de l’abominable. Son écriture qui mêle poésie et noirceur résume merveilleusement bien ce dont le cœur et l’esprit d’Eva sont emplis. Elle évoque avec force l’ambigüité des sentiments (les plus tranchés comme les plus nuancés). Pas besoin de détails morbides, l’horrible est ici suffisamment tangible.
On le lit d’une traite, le cœur serré et avec toute l’humanité possible. On justifie évidement l’insurrection, jugeant lourdement au contraire le silence.
Bouleversant !