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DOCUMENT : 17 février 1823, deux compagnons menuisiers du Devoir dénoncent un compagnon malhonnête au maire d'Uzès

Par Jean-Michel Mathonière

On sait qu'autrefois davantage qu'aujourd'hui, les compagnons de toutes les sociétés, du Devoir comme du Devoir de Liberté, veillaient jalousement à la réputation d'honnêteté de leurs sociétés et, de fait, à celle de chacun de leurs membres. Au-delà des sanctions de la justice compagnonnique, ils n'hésitaient pas le cas échéant à faire appel aux autorités. En voici un témoignage intéressant dans un courrier glâné il y a quelques jours sur un célèbre site internet de ventes aux enchères.

Il s'agit d'une lettre adressée le 17 février 1823 par deux compagnons menuisiers du Devoir, résidant alors à Anduze (Gard), au maire d'Uzès, dans le même département. D'après une mention marginale manuscrite, les informations qu'elle contient ont été transmises au commissaire de police, mais nous ignorons les suites données à cette affaire. Voici la reproduction et la transcription de ce courrier portant la marque postale de la ville d'Anduze :

...

DOCUMENT : 17 février 1823, deux compagnons menuisiers du Devoir dénoncent un compagnon malhonnête au maire d'Uzès

"À Monsieur
Monsieur Bouchon
Maire de la Ville
D'Uzesse
à Uzes Dt du Gard

Monsieur,

Excuzé de la liberté que nous prenons de vous écrire.

C'est au sujet d'un ouvrier menuisier qui travaille dans votre commune à Uzese. Il se nomme Dominique Marine dit Corsoir, natif d'Ajaccio. Cet homme est un espèce de vacaton [?] rusé dont il parait que dans tous les endroits ou il passe il fait des dupes. Il a travaillé à Anduze et il redoit chez une mère de famille qui l'a nourrit la somme de 27 f 85 centimes. À Allais [Alès] il doit 40 f 25 centimes. Il a ses papiers à Alais que l'on lui a retenu pour les dettes et sans doute qu'il se dispose d'en faire autant dans votre commune. Cet homme reçoit de l'argent de chez lui et c'est mauvaise foi s'il ne paye pas. Nous vous prions s'il lui venait de l'argent à la poste de lui faire retenir et de ne pas lui donner des nouveaux papiers vu que cela le faciliterait à faire de nouveaux exploits à sa manière.

Votre très humble
serviteur Frédéric le Normand
et Auguste le Normand
Compagnons menuisiers

Anduze le 17 février 1823

Si vous pouviez lui faire donner les 27 f 85 qui doit vous les enverriez à Madame Brune aubergiste à Anduze. En le faisant vous obligerez une malheureuse femme qui se recommande à vous. »

DOCUMENT : 17 février 1823, deux compagnons menuisiers du Devoir dénoncent un compagnon malhonnête au maire d'Uzès
© Photographies Jean-Michel Mathonière 2015, D.R.

Il est probable que cette Madame Brune était en fait la Mère des compagnons menuisiers du Devoir d'Anduze. Le fait qu'il s'agisse de compagnons de cette société et non du Devoir de Liberté transparaît dans la forme même de leur nom compagnonnique : leur prénom suivi de leur province d'origine, forme caractéristique des menuisiers du Devoir, et non leur province suivie d'une qualité, forme caractéristique d'une majorité de corps compagnonniques dont le Devoir de Liberté (par exemple Avignonnais la Vertu pour le compagnon menuisier du Devoir de Liberté Agricol Perdiguier).

Concernant les papiers, outre le livret d'ouvrier, obligatoire, il faut se souvenir que n'existait alors que le passeport à l'intérieur, indispensable sésame pour les déplacements de tous les citoyens. Ce dernier était établi par le maire de la commune d'origine et comportait un signalement assez précis de son porteur, mais il n'était pas rare que, ce document ayant été perdu, il en soit délivré un nouveau par le maire d'un autre lieu (idem pour le livret d'ouvrier s'il était perdu ou totalement rempli). Au demeurant, les bagarres de compagnons n'étant pas rares entre Devoirs rivaux à cette époque (ainsi que le relate Agricol Perdiguier qui réalise son Tour de France de 1824 à 1828), il aurait pu suffire à cet indélicat de déclarer qu'il avait été victime d'un guet-apens organisé par d'autres compagnons qui lui avaient alors volé ses papiers pour obtenir du maire d'Uzès un nouveau passeport à l'intérieur. Le tout était d'avoir un air convaincant, et manifestement, au vu de ses dupes, il ne fait nul doute que ce « brûleur » (c'est ainsi qu'on nommait alors les faiseurs de dettes chez la Mère) excellait à ce type d'exercice. Pour preuve, si les compagnons d'Alès avaient confisqué ses papiers en attendant le règlement de ses dettes, notre Corse n'avait visiblement pas été gêné par ce fait pour obtenir à nouveau du crédit à Anduze…

Question rituelle : l'un de nos lecteurs possède-t-il des informations complémentaires ?

DOCUMENT : 17 février 1823, deux compagnons menuisiers du Devoir dénoncent un compagnon malhonnête au maire d'Uzès

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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