Titre original : Marvel’s Jessica Jones
Note:
Origine : États-Unis
Créateur : Melissa Rosenberg
Réalisateurs : S.J. Clarkson, David Petrarca, Stephen Surjik, Simon Cellan Jones, John Dahl, Rosemary Rodriguez, Uta Briesewitz, Billy Gierhart, Michael Rymer.
Distribution : Krysten Ritter, Mike Colter, David Tennant, Rachael Taylor, Carrie-Anne Moss, Eka Darville, Erin Moriarty, Will Traval, Rebecca De Mornay, Brock Peters, Rosario Dawson…
Genre : Thriller/Drame/Action/Adaptation
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 13
Le Pitch :
Détective privée dans le quartier de Hell’s Kitchen à New York, Jessica Jones tente tant bien que mal de survivre avec un stress post-traumatique important découlant directement de sa liaison contrainte avec Kilgrave, un homme capable de contrôler les esprits. Cynique et plus ou moins alcoolique, elle résout des affaires simples dans le but de subsister, sans ambitions particulières. Le jour où tout indique que Kilgrave, qu’elle croyait mort, est bel et bien vivant, Jessica Jones décide d’en finir une bonne foi pour toutes avec lui…
La Critique :
Netflix passe à la phase 2 de son plan d’action avec Marvel. Après Daredevil, c’est donc Jessica Jones qui entre en scène, dans l’univers partagé de Marvel, soit le même que celui des Avengers ou des agents du S.H.I.E.L.D.. En parlant de ces derniers, également au centre d’une série portée par la chaîne ABC, force est de reconnaître que si ils partagent en effet un monde avec les héros estampillés Netflix, rien d’autre ne les unie vraiment. D’un côté les justiciers du S.H.I.E.L.D et l’Agent Carter restent dans les limites d’un divertissement plutôt familial et de l’autre, Daredevil et Jessica Jones, les anti-héros de Hell’s Kitchen, luttent contre des démons, tout aussi bien intérieurs qu’incarnés par des êtres machiavéliques (Le Caïd pour l’un et L’Homme Pourpre pour l’autre).
La deuxième production Netflix vient donc se placer dans le sillage de la première salve d’épisodes de Daredevil. Elle sera suivie par les aventures solo de Luke Cage, par celles d’Iron Fist, puis par la mini-série The Defenders, sans oublier bien sûr les saisons 2 de Daredevil et de Jessica Jones.
Retour à Hell’s Kitchen. Les premières minutes de Jessica Jones nous mettent dans le bain. Un saxo typique des films de détectives retentit, la ville apparaît sous une chape de plomb et la voix off de l’héroïne introduit le récit. On se croirait presque dans Chinatown, de Roman Polanski. Pourtant, pas de doute, la série s’inscrit dans une logique globale ambitieuse. Car si Jessica n’a, apparemment rien de la super-héroïne classique made in Marvel, elle partage un point commun crucial avec la plupart de ses petits camarades, à savoir des super-pouvoirs. Devenue beaucoup plus forte que le commun des mortels, à la suite d’un accident de voiture survenu alors qu’elle n’était qu’une adolescente rebelle, Jessica cicatrice également plus vite et saute très haut, sans pour autant voler. Le truc, c’est que la belle brune se refuse à s’inscrire dans la même logique que les Avengers. Elle n’a rien d’un justicier. Elle ne possède pas d’identité secrète et n’évolue pas, de nuit, costumée, comme Daredevil par exemple. Tout ce qu’elle fait consiste à avancer dans la vie en enchaînant les petits contrats. À mettre à jour des maris et des épouses adultères et à essayer d’oublier ce que lui a fait subir Kilgrave, sa Némésis, qu’elle croit mort et enterré. Et c’est quand ce dernier refait surface que la série débute.
Dans le sillage de Daredevil, Jessica Jones est également une série sombre. Très sombre. Plus adulte que tout ce que Marvel a pu produire ces dernières années. Plus mélancolique aussi. Accro à la bouteille et misanthrope, l’héroïne est une âme brisée. En cela, le fait d’avoir confié le rôle à Krysten Ritter relève du génie. Si elle ne ressemble pas vraiment à son homologue papier (introduite dans les comics en 2001), elle parvient très rapidement à embrasser la dynamique du récit et à en incarner tous les aspects. Sa peau pâle, ses cheveux noirs et ses grands yeux traduisent le combat qui se joue dans son esprit vicié car marqué au fer rouge par les agissements d’un homme insaisissable. Sorte de parfait hybride entre Wonder Woman, Buffy, Veronica Mars, et le Punisher, Jessica Jones fait joyeusement tâche chez Marvel. Elle jure, envoie bouler tous ceux qui se mettent en travers de sa route, tabasse et lutte en permanence. Souvent au second plan, dans des séries comme Breaking Bad ou évoluant dans un registre totalement opposé comme dans Don’t Trust The B**** ; Krysten Ritter trouve ici l’occasion d’imposer un talent assez bluffant. Traçant sa route, à la fois en embrassant certains lieux communs inhérents aux films de super-héros mais se posant tout autant comme la mise à jour de ces enquêteurs qui, chapeau vissé sur le crane, habitaient les classiques du cinéma américain, la comédienne fait des merveilles et porte pour ainsi dire la série sur ses épaules. En face, dans le rôle du grand méchant, un autre excellent acteur, à savoir David Tennant. L’ancien Doctor Who, vu depuis dans Broadchurch, semble pour sa part prendre un pied énorme à camper l’Homme Pourpre (jamais nommé comme tel d’ailleurs). À la limite du cabotinage, il livre une performance bigger than life, qui évoque un peu les grandes heures du Joker de Jack Nicholson, mais sait aussi, quand il le faut, éveiller des émotions qui offrent à Kilgrave une ambiguïté bienvenue, qui se dévoile habilement au fil des épisodes.
Centré sur le duel de Jessica Jones et de Kilgrave, la première saison de cette nouvelle production Netflix tient admirablement la route tout du long. Quand d’autres auraient profité du succès de Daredevil pour en singer les automatismes, la créatrice du show, Melissa Rosenberg, cherche à explorer ses propres pistes. Accompagnée d’acteurs parfaits dans leurs rôles respectifs, elle ne table forcément pas sur l’originalité mais fait de cette adaptation une partition audacieuse en cela qu’elle finit par ne ressembler qu’à elle-même, en rappelant néanmoins d’autres œuvres, télévisuelles ou cinématographiques.
Jessica Jones pourrait très bien venir d’un vieux roman policier. Un policier dans lequel un type joue au marionnettiste en prenant possession de l’esprit de ses victimes et dans lequel une fille paumée mais déterminée tente de lui barrer la route. Les super-pouvoirs sont au centre du récit, mais ne prennent jamais le pas sur les émotions et les personnages. En cela, aucune chance que l’on reproche à la série ce que beaucoup reprochent au Avengers. Ici, ce sont avant tout les personnages et leurs relations qui priment. La seule différence finalement, ce sont les moyens qu’ils mettent en œuvre pour arriver à leurs fins.
Moins axé « action » que Daredevil, Jessica Jones adopte en cela une progression plus intimiste. Si il y a effectivement certains morceaux de bravoure visuels, comme de grosses bastons, l’essentiel réside ailleurs. Le dosage est impeccable, tout comme la réalisation, cohérente et pertinente jusqu’au bout. Ainsi, avec sa progression en forme de montée en puissance inexorable, cette première saison fait excellente figure. Elle captive et s’avère -plus surprenant- très galvanisante, notamment grâce à sa propension à doser ses effets et ses coups de théâtre, qui si ils sont parfois un peu nombreux, passent comme une lettre à la Poste.
À l’instar de Daredevil, Jessica Jones dénote d’un grand soin. Si elle sera peut-être amenée à rencontrer Iron Man et ses amis, Jessica évolue pour le moment dans la rue. Dans l’ombre des héros. Totalement conforme à la vision qu’on put avoir certains artistes invités par Marvel, comme Frank Miller, elle incarne une noirceur abyssale bien loin de la lumière que dégage le sourire ultra-brite de Captain America, et se situe à des kilomètres de la fougue spectaculaire de la Veuve Noire de Scarlett Johansson. Comme Matt Murdock, Jessica a trop à faire avec elle-même et les démons qui ne cessent de la tirer vers le bas pour se soucier du sort d’un monde qu’elle considère de toute façon comme perdu.
Logiquement, avec son attitude badass, Jessica Jones s’impose sans forcer comme l’une des plus belles icônes du Marvel Cinematic Universe. C’est la plus cool, la plus attachante et la plus humaine. Celle qui incarne également un propos féministe hyper percutant, surtout si on prend en considération que le personnage ne se démonte jamais face aux hommes. Qu’il s’agisse de Kilgrave, son ennemi ou de Luke Cage, un allié, lui aussi « spécial », qui aura donc droit prochainement à sa propre série. Les vrais soutiens de Jessica, c’est du côté du rôle de Carrie-Anne Moss et surtout de celui de son amie Trish Walker, alias Rachael Taylor, qu’il faut aller les chercher. Ce qui offre un sous-propos aussi inattendu que bienvenu à la série, qui, on l’espère perdurera longtemps.
Netflix n’a pas joué la facilité en misant gros sur ce protagoniste méconnu. Tout le monde attendait au tournant Daredevil, mais à priori, la plupart des spectateurs potentiels ne connaissent pas Jessica Jones. Le parfum d’inédit, qui implique son lot de surprises, bonnes ou mauvaises, peut attirer le chaland, mais rien ne permettait à priori de croire que Jones allait casser la baraque.
Dès le départ, grâce au statut particulier de son personnage central, le show se démarque du reste des productions Marvel. À l’arrivée, après 13 épisodes qu’il convient d’applaudir, après les avoir engloutis (merci Netflix de les proposer tous d’un coup), c’est en effet le cas : non seulement Jessica Jones ne renie pas son appartenance à Marvel et peut donc séduire les aficionados de la maison aux idées, mais elle ressuscite aussi un esprit un peu oublié par les productions contemporaines. Les clins d’œil aux autres films Marvel et à Daredevil sont fréquents, mais on peut tout aussi bien apprécier le spectacle sans avoir vu un seul Iron Man ou même Daredevil. Un tantinet hors du temps, Jessica Jones réussit à mélanger plusieurs saveurs sans jamais se perdre. Et ce n’est pas la fin, sans concession, qui incite à penser autrement. Bien au contraire.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : NetFlix/Marvel