Francesca Zappia
Robert Laffont
Collection R
Traduit de l'anglais par Fabienne Vidallet
Paru en Novembre 2015
450 pages
17,90 euros
Roman ados dès 14 ans
Thèmes : Folie, Adolescence, Schizophrénie
Résumé de l'éditeur : Vous, les gens normaux, êtes tellement habitués à la réalité que vous n’envisagez pas qu’elle puisse être mise en doute. Et si vous n’étiez pas capables de faire la part des choses ? Jour après jour, elle se retrouve confrontée au même dilemme : le quotidien est-il réel ou modifié par son cerveau détraqué ? Dans l’incapacité de se fier à ses sens, à ses émotions ou même à ses souvenirs, mais armée d’une volonté farouche, Alex livre bataille contre sa schizophrénie. Grâce à son appareil photo, à une Boule Magique Numéro 8 et au soutien indéfectible de sa petite soeur, elle est bien décidée à rester saine d’esprit suffisamment longtemps pour aller à l’université. Plutôt optimiste quant au résultat, Alex croise la route de Miles, qu’elle était persuadée d’avoir imaginé de toutes pièces… Avant même qu’elle s’en rende compte, voilà que la jeune femme se fait des amis, va à des soirées, tombe amoureuse et goûte à tous les rites de passage de l’adolescence. Mais alors, comment faire la différence entre les tourments du passage à l’âge adulte et les affres de la maladie ? Tellement habituée à la folie, Alex n’est pas tout à fait prête à affronter la normalité. Jusqu’où peut-elle se faire confiance ? Et nous, jusqu’où pouvons-nous la croire ?
Tout commence dans l'enfance d'Alexandra. Dans un supermarché, elle observe attentivement les homards, entassés les uns les autres, voués à la mort. Alors qu'un employé ôte un homard de l'aquarium, Alexandra est saisie par une horrible pensée : les homards s'entassent-ils les uns sur les autres pour se protéger ou pour se donner du réconfort ? Aidée par Yeux-Bleus, elle les sortira un à un pour les sauver de leur sort funeste. Après cet incident que sa mère refuse d'évoquer, Alexandra suit un traitement et une psychothérapie. Diagnostiquée schizophrène et paranoïaque, elle tente d'intégrer un nouveau lycée. C'est son dernier espoir avant d'être internée...alors qu'elle rêve d'intégrer l'université.
L'entrée en matière de Je t'ai rêvé est très intéressante et suffisamment originale pour qu'on soit de suite happé par l'intrigue proposée par Francesca Zappia. Alexandra est atteinte d'une maladie mentale, elle le sait et vit avec, tout en s'efforçant d'apprendre à distinguer ce qui relève de la réalité et de ce qui ressort de son imagination "détraquée". Tâche compliquée lorsque Alex intègre son nouveau lycée et apprend à être, paraître la plus "normale" possible. Mais comment l'être quand certains de vos camarades sont complètement abrutis et vous prennent pour cible ? Comment ne serait-ce qu'essayer alors que sa mère lui rappelle sans cesse son handicap mental et la rabaisse au lieu de l'encourager ? Alex va rencontrer Miles, un jeune homme au coeur tendre mais dur et brutal avec autrui. Il lui rappelle constamment l'épisode chaotique des homards. Miles est-il réel ou pas ? Est-il une hallucination et comment doit-elle réagir face à ses provocations ? Son quotidien est-il réel ou modifié par sa paranoïa ? Je t'ai rêvé raconte ainsi le quotidien (les cours, la famille, les amis), la bataille perpétuelle et épuisante moralement d'Alex contre sa maladie. Alors qu'elle vit des moments fous, plein d'émotions et de sentiments dûs à ses premières fois adolescentes, saura t-elle faire la part des choses et trouver sa place dans ce chaos psychologique ?
Tout d'abord, il faut saluer le parti pris de la collection R d'avoir publié ce texte, magnifique et original sur la schizoprénie. C'est un thème rare en littérature jeunesse et cela fait du bien de lire une histoire qui sort des sentiers battus. Puis la couverture est sublime, mystérieuse et artistiquement réussie. L'histoire d'Alex est bouleversante, pourtant l'auteure en fait une héroïne à part entière qui en bien des points m'a paru bien plus saine d'esprit, intelligente et lucide que certains êtres humains que l'on rencontre dans le roman. Si certains éléments de l'intrigue m'ont paru carrément dingues (l'histoire du proviseur Mc Coy est hallucinante) et invraisemblables voire confus, j'ai aimé l'écriture rafraîchissante et pleine d'humour de l'auteure. Pour un sujet grave, j'ai beaucoup ri et souri. Alex a quelque chose de touchant, d'attachant et sa folie, bien qu'elle soit un obstacle à son bonheur, la rend différente et précieuse parce que paradoxalement elle appréhende les choses avec justesse et fraîcheur. J'adore les réponses de la boule magique! On a besoin de lire des histoires comme celle là, énigmatique, improbable mais qui prend au coeur.
L'auteure vient conclure son roman avec un fait bouleversant, qui m'a pris par surprise et m'a complètement anéantie, à l'image du roman Le monde de Charlie. Ca m'a déchiré et j'ai eu le coeur brisé pour Alex. Tout s'explique et tout se comprend à la lumière de ce dénouement, ce qui apporte au roman une dimension dramatique (il l'avait déjà) et émotionnelle, intense et triste mais tellement importante au roman. Je t'ai rêvé est un roman déroutant, troublant, à la fois unique et exceptionnel, qui nous incite à voir au-delà de la raison, à comprendre au-delà des mots, à démêler ce qui relève de l'esprit, de la conscience et de la folie... en cela c'est un roman incroyablement fort et passionnant qui ne laissera pas indifférent.