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Les effets et les causes (I) : Dérive de l'Etat

Publié le 29 novembre 2015 par Vindex @BloggActualite
Bonjour à tous,
Suite aux attentats qui ont eu lieu il y a maintenant 15 jours, nous allons essayer de saisir quelques raisons d'un tel désastre sur notre territoire. Au-delà de toute récupération politique (nous ne sommes pas candidats aux régionales...) il est nécessaire de comprendre la situation pour bien agir. Il faut dépasser l'unité nationale qui ne doit pas tuer tout débat. C'est en effet plus une expression de solidarité qu'un acte politique, le gouvernement actuel n'étant de toute façon pas en danger de perdre sa majorité (sauf au niveau régional, mais c'est une autre histoire).
Nous le ferons en trois articles : un sur l'Etat, le deuxième sur la Société, le troisième sur la République.
Les effets et les causes (I) : Dérive de l'Etat-Vendredi, la France pavoisait pour rendre hommage. Mais demain, l'Etat, la République et la Société devront évoluer-
Dérive de l'Etat


Alors que les attaques terroristes se multiplient non seulement sur notre sol mais aussi dans le monde, il ne faut pas négliger les raisons intérieures du drame ayant touché de nombreuses familles et la nation toute entière il y a deux semaines. Car même si le contexte semble être celui d'un accroissement considérable du nombre d'attaques terroristes dans le monde (fois 10 en une dizaine d'année), il faut bien avouer que cela touche de plus en plus des Etats dits "développés". Les attaques ayant touché l'agglomération parisienne le vendredi 13 novembre, rappelant celles de Bombay en 2008, profitent en partie de brèches laissées par un Etat qui doit affermir ses fonctions régaliennes pour mieux nous protéger du risque de représailles très plausible au regard de la guerre intensifiée contre l'Etat Islamique. L'objectif n'est pas de tout reprendre ni par ailleurs de pointer du doigt tel ou tel homme politique. Il s'agit surtout de mettre en perspective certains épisodes des attaques avec des chiffres et des faits. 

Sécurité
La sécurité d'abord. Il s'agit là d'une des fonctions de base de tout Etat, à tel point que selon Hobbes, c'est ce besoin qui justifia le passage de l'Etat de nature à celui de société. Le contrat social "Hobbesien" considère en effet que l'aliénation des libertés individuelles s'est faite au prix d'une sécurisation pour éviter la guerre de tous contre tous. C'est en tout cas cette mission qui confère à l'Etat de manière légitime le monopole de la violence. Force est de constater que les attaques, d'une certaine ampleur, révèle déjà trop de concurrence face à ce monopole et trop de relâchement sur cette mission. Loin de nous l'idée de remettre en cause le professionnalisme de nos compétentes forces de l'ordre. Il s'agit plutôt d'une question de moyens financiers et humains. En effet, lorsqu'à plusieurs reprises, juste avant les attentats, des personnes tentent d'appeler la police pour prévenir de l'imminence de l'attaque, et que cela ne donne suite à aucune réponse, on ne peut que constater qu'il y a des insuffisances. Et c'est là un mal qui remonte à quelques années, quand on observe que les effectifs cumulés de la police et de la gendarmerie diminuent depuis les années 2000. 
Les effets et les causes (I) : Dérive de l'EtatSource : Médiapart
Bien sûr, face à l'effet de surprise et à la sournoiserie du terrorisme, embaucher des policiers et gendarmes n'est pas le remède miracle. Mais le niveau de sécurité peut-être renforcé par une disponibilité réelle des hommes en cas de besoin. Il n'est pas question de poster des policiers ou gendarmes partout mais l'Etat doit être prêt, réactif et lutter à armes égales avec les terroristes qui semblent de plus en plus organisés et équipés. Cela ne peut que renforcer le sentiment de sécurité des français, d'autant que le terrorisme n'est pas le seul problème sécuritaire auquel nous sommes confrontés, en particulier en certains espaces urbains. En ce sens, l'augmentation du nombre de postes demandée par le Président de la République va dans le bon sens, tout comme l'idée de recréation d'une Garde Nationale. On en aurait presque l'impression que la République et la Révolution revivent... De telles mesures pourraient peut-être aussi s'accompagner d'un réarmement des polices municipales, comme certains maires l'avaient fait à la suite des attaques de Janvier dernier. On devine bien là que la polémique serait moins grande au vu de ce vendredi 13. Par ailleurs, augmenter les effectifs des forces de l'ordre ne peut être que bien vu quand on sait que depuis les attentats de Janvier l'opinion est devenue très "flic friendly". En outre, selon l'IFOP le 23 novembre, 86 pour cent des Français se prononçaient en faveur d'une nouvelle Garde Nationale. 
Justice
Agir sur les forces de l'ordre est une chose, mais la sécurité ne peut aller sans la justice. Et en la matière, il y a fort à faire. C'est pourtant un pilier d'un point de vue moral et éthique, la justice étant forcément liée au principe d'Egalité si cher à notre Nation. C'est également un outil indispensable pour acter de la sécurisation de la société par les sanctions à l'égard de ceux qui l'ont menacée. Pour commencer, Samy Amimour, le terroriste chauffeur de bus, était l'incarnation de certains dysfonctionnements judiciaires : radicalisé à partir de 2012, il se fit retirer ses papiers et fut placé sous contrôle judiciaire. Il n'eut pourtant aucun mal à se procurer de nouveaux papiers en les déclarants égarés et à échapper à ce contrôle en ne pointant plus au commissariat sans que personne ne s'en rende compte avant un mois et demi. Rien ne l'empêcha non plus de partir pour la Syrie en 2013 et d'en revenir tout fraîchement formé à l'action terroriste. Même s'il n'est pas directement impliqué dans les attentats, le cas du fameux Jawad (et son bordel à djihadiste) est aussi croustillant. Son pedigree est le suivant : homicide involontaire, marchand de sommeil au black, signalé en 2011 et 2013 au procureur de Bobigny, objet de main courantes pour menaces. 
Chaque terroriste, chaque "fiché S" connu des services et révélé par les attaques ne fait que renforcer la question qu'on se pose tous : "Comment a-t-on pu les laisser en liberté ?". Là encore, la réponse est celle des moyens. Certes, le budget de la justice semble en progrès constant depuis assez longtemps mais il restait toujours inférieur à la moyenne des pays européens en 2014. De même, si l'on est obligé d'user du "terrible" bracelet électronique, ou encore que des personnes au passé judiciaire plus ou moins fourni sont tout de même en liberté, c'est peut-être parce qu'on a pas eu l'audace de renforcer les moyens pénitenciers du pays qui ne correspondent probablement plus à des besoins croissants, et ce sur le long terme. En effet, on dispose toujours actuellement de places de prison inférieure au nombre de détenus : plus de 68 000 détenus pour seulement 57 000 places en 2014.
Et ce manque de moyens judiciaires touche particulièrement la justice. Car si la Loi sur le Renseignement du 24 juillet 2015 renforçait les moyens dans l'optique de la lutte contre le terrorisme (et parfois même bien au-delà, ce qui fut critiqué), elle ne permet pas forcément à la justice de mieux traiter ces affaires alors qu'elle est un maillon essentiel de la chaîne.
Marc Trévidic, ancien juge anti-terrorisme, explique bien ce manque énorme de moyens :
« Il y a neuf juges d’instruction, un juge supplémentaire a été nommé en septembre. Il y a neuf procureurs au parquet anti terroriste. Mais depuis deux ans, on assiste à une explosion des affaires. C’est de l’ordre d’un nouveau dossier par semaine à l’instruction. En gros, chaque juge gère quarante dossiers en même temps. En parallèle, il y a quatre cents enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet. On a laissé la situation se dégrader. Le manque de moyens frôle l’indigence. Tout comme on manque d’enquêteurs de police judiciaire, il n’y a pas suffisamment de magistrats instructeurs pour anticiper, agir en amont. Pour neutraliser un terroriste, il faut recueillir des preuves, éventuellement remonter une filière de recrutement… Par exemple, on ne traite que la moitié des dossiers des gens qui reviennent de Syrie. »
Et de poursuivre sur le manque d'enquêteurs : « Actuellement, c’est le renseignement qui gagne, pas le judiciaire. La récente loi sur le renseignement indique qu’il y a une tendance très forte à aller vers les enquêtes administratives, hors contrôle judiciaire. Mais établir une fiche S ne permet pas d’arrêter quelqu’un. Du moins jusqu’à présent. On est dans un État de droit. En France, ce sont les magistrats qui décident d’arrêter ou non quelqu’un, de le mettre en garde à vue ou de le placer en détention. J’espère qu’on va gérer les attentats avec des moyens qui restent fidèles à nos principes. Des méthodes extrajudiciaires, arbitraires comme l’ont fait les Américains à Guantánamo pourraient nourrir les sentiments anti-occident et anti-français. »
Le problème des moyens ne peut pas non plus occulter le besoin d'une meilleure coordination des services et des moyens juridiques et de contrôle plus étendus pour une meilleure surveillance et une meilleure connaissance du risque terroriste, afin de diminuer son imprévisibilité.
Frontières
   
Le dernier domaine de défaillance est celui des frontières. Tout aurait été plus compliqué pour les terroristes si les frontières avaient été moins imperméables. On voit là que les accords de Schengen ne peuvent plus tenir en l'état sur le sujet du terrorisme. Ce fut d'ailleurs pris en compte dès le début par le président de la République (pour autant très européiste) : l'une des premières mesures le vendredi 13 au soir fut de "fermer" les frontières. Une mesure servant toutefois bien plus à rassurer la population, Le Petit Journal ne s'y est pas trompé en allant s'informer sur cette surveillance censée être renforcée le long de la frontière belge, mais qui est dans les faits très partielle. Comme si l'on avait perdu l'habitude (et surtout la volonté) de surveiller nos frontières avec l'approfondissement de l'intégration européenne. 
L'affaire révèle par trois aspects les problèmes de notre trop grande perméabilité frontalière : d'abord les principaux acteurs de ces attentats venaient de Belgique, dans le fameux quartier de Molenbeck en agglomération Bruxelloise. L'ouverture de notre frontière avec la Belgique a permis une plus grande facilité à constituer un réseau djihadiste francophone entre les deux capitales. Ensuite, la fuite de Salah Abdeslam vers la Belgique après ses méfaits montre l'incapacité des pays européens à coordonner leurs renseignements et leur action anti-terroriste, certains hommes étant "fichés" en Belgique mais pas en France. Il est donc nécessaire sur ce point de permettre un meilleur contrôle des frontières et une coopération renforcée de l'Union Européenne sur l'anti-terrorisme. Enfin le détail le plus croustillant et polémique est probablement celui de la provenance de certains terroristes. Les passeports retrouvés semblent apparemment confirmer que certains des terroristes se sont fait passer pour des migrants afin de gagner le terrain de leurs actions. Alors que plusieurs mois avant les attentats, la question avait été posée et de nombreux hommes politiques et médias avaient balayé cet argument d'un revers de main, arguant que tous les migrants quittaient avant tout une situation de guerre. Ce fait étant maintenant avéré, ceux-ci tentent de laborieuses marches arrières comme certains médias usant alors de méthodes presque Orwelliennes, changeant en douce les titres de leurs articles. Sur ce point, la responsabilité est pire encore car il semble que l'Italie a prévenu sur cette éventualité depuis 2013. On est donc loin du fantasme de quelques nazis fascistes frontistes dégarnis... 


On le voit, l'Etat connaît depuis quelques années une dérive qui l'amène à ne plus assurer convenablement certaines de ses fonctions les plus essentielles, et qui font partie de ses compétences régaliennes. Il n'existe pourtant aucune fatalité bien que ses causes ne soient pas les seules. Pas même celui du coût qui pourrait être celui des réformes et décisions nécessaires à remplir de nouveau pleinement ces fonctions, comme le dit François Hollande lorsqu'il affirme que le pacte de stabilité passe après celui de sécurité. Cela ne nous empêche pas de rechercher à maintenir un budget équilibré, le tout étant peut-être de se questionner sur les priorités de notre Etat et de chercher des économies ailleurs. Si la solution n'est pas simple, le débat doit être ouvert. L'ampleur du choc psychologique aura été nécessaire à nous en rendre compte. 
Sources 
RFI
MSN
Le Monde
La Voix du Nord
Vin DEX

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