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La comtesse Greffulhe, l'ombre des Guermantes, biographie de Laure Hillerin

Par Mpbernet

Greffulhe

Lire la biographie d’Elisabeth Greffulhe, c’est parcourir une importante portion de siècle (elle est morte en 1952 à 92 ans !), et, lorsqu’il s’agit de la Belle Epoque, plonger dans les délices d’un temps extraordinairement riche en événements, bouleversements technologiques et politiques, finalement pas si étrangers à notre vie actuelle et pourtant dans un tout autre monde. Le Grand Monde ...

J’avais découvert son extraordinaire destin à travers sa somptueuse garde-robe, actuellement exposée au musée Galliera. J’ai révisé à travers cet ouvrage toute l’histoire mouvementée de la fin du Second Empire, des troisième et quatrième Républiques, de trois guerres contre la Prusse et l’Allemagne. Une expansion industrielle et scientifique sans précédent, le développement de l’art contemporain sous les formes les plus diverses : la peinture, la musique, la danse, le roman … Elisabeth de Riquet de Caraman-Chimay devenue par mariage comtesse Greffulhe a participé à l’éclosion de toutes ces formes de modernité, directement et avec un génie inné de la mise en relation qui font d’elle la première entrepreneuse de spectacles et attachée de relations publiques du monde.

Elisabeth Greffulhe a tout pour elle à première vue : élancée, un port de reine, des yeux de braise, une chevelure auburn splendide, une taille de guêpe, un pédigrée de la plus haute noblesse franco-belge, des talents de musicienne et de pastelliste comme il sied à une jeune fille de la plus haute société. Mais pas de fortune personnelle. Après une cour de quelques mois, elle est mariée à l’une des plus importantes fortunes de France : le vicomte Greffulhe, un géant à la barbe blonde – ou plutôt Bleue ! - et au poitrail avantageux de chasseur compulsif (gibiers et femmes). Sa lune de miel durera moins d’un mois. La belle jeune femme, quasiment cloîtrée au sein d’une belle-famille étriquée et hostile, subira pendant plus de 50 ans les colères terribles de ce mari jaloux, violent, manipulateur et pervers narcissique, notoirement infidèle mais auprès duquel elle restera chaste, ne dérogeant jamais ni à sa condition de femme du monde, ni à sa promesse de femme mariée.

Elisabeth sait avec talent mettre les artistes et les fortunes (Dale Carnegie, Rothschild, Daniel Ifla-Osiris …) en relation et en contact. Elle sait mobiliser les énergies pour produire les artistes les plus avant-gardistes : son nom s’effacera des mémoires mais ses protégés occuperont à jamais le devant de la scène. Parmi ses réussites les plus fameuses : le financement de chercheurs scientifiques comme Edouard Branly et Marie Curie. Novatrice dans ses engouements artistiques, elle se montre non-conformiste dans ses attachements politiques : elle est résolument dreyfusarde dans son milieu très majoritairement antisémite, favorable à la reconnaissance de l’égalité des femmes sans être féministe, proche de Léon Blum, Georges Clémenceau, Joseph Caillaux, Gustave Le Bon. Elle donnera aussi sa confiance à Pétain et Laval, mais se morfondra pour en avoir été « poire, dupe, victime trop confiante »…

Son salon, grâce à la fortune de son mari qui oscille entre la fierté d’arborer son épouse et la crainte des regards masculins, accueille les têtes couronnées et tout ce que l’Europe compte de célébrités. Ses toilettes font la une de tous les journaux mondains, elle semble d’une beauté inaltérable.

En dehors de son activité débordante d’agitatrice culturelle – un dérivatif qui lui tient lieu de survie face à un mari odieux jusqu’à la caricature – elle va, très malgré elle, rester inscrite dans l’histoire de la littérature en inspirant, très directement, et dans plusieurs des 200 personnages de son œuvre, Marcel Proust qui entretint avec elle une correspondance et une relation complexe de dédain-admiration. En fait, cette femme hypersensible à maintes formes d’art, est passée à côté du génie de l’auteur et ne lut jamais La Recherche … Le travail de dépouillement des énormes archives de la comtesse procède à un décodage des correspondances entre les figures crées par Marcel Proust et les familiers d’Elisabeth Greffulhe, fournissant ainsi un trousseau de clefs qui donne vraiment envie de commencer la lecture de ce chef-d’œuvre.

Un seul rayon de soleil dans cette vie aussi fastueuse que dénuée de tendresse : la profonde amitié amoureuse qui lie la comtesse au compositeur Roffredo Caetani, rencontré en 1902 à Bayreuth, qu’elle s’emploie à lancer mais dont la neurasthénie la désole et qu’elle chérira jusqu’à sa mort. L’auteur définit cette relation amoureuse comme très probablement platonique … mais laisse le doute planer !

La comtesse Greffulhe, l’ombre des Guermantes, biographie par Laure Hillerin, chez Flammarion, 565 p. 24€


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