Titre original : Bridge of Spies
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Steven Spielberg
Distribution : Tom Hanks, Mark Rylance, Scott Shepherd, Amy Ryan, Sebastian Koch, Alan Alda, Austin Stowell, Peter McRobbie, Jesse Plemons, Eve Hewson…
Genre : Drame/Thriller
Date de sortie : 2 décembre 2015
Le Pitch :
En pleine Guerre Froide, un avocat américain se voit confier une délicate affaire : défendre un espion soviétique alors que l’opinion publique réclame à corps et à cris sa condamnation à la peine de mort. Ce qui le conduira directement à négocier ensuite la libération d’un pilote américain détenu par les russes. Histoire vraie…
La Critique :
Qu’il soit aux commandes d’un film centré sur des aliens, bons ou mauvais, des soldats, un aventurier, un androïde ou un cheval, Steven Spielberg s’arrange pour imprimer sa patte. C’est la marque des plus grands. Être capable de rester intègre, fidèle à ses propres valeurs, sans se laisser parasiter par les pressions extérieures, les modes, ou encore ployer sous le poids de l’histoire. Un dernier point crucial, quand on aborde le cas Spielberg, tant celui-ci n’a jamais eu peur ni des grands-écarts, ni de s’attaquer de front à des sujets difficiles et « importants ».
C’est donc presque 3 ans après son monumental Lincoln que le réalisateur revient sur le devant de la scène avec une œuvre dense qui retourne dans les livres d’Histoire, par la petite porte, afin de mettre en lumière la lutte d’un homme plongé dans les méandres de l’un des épisodes les plus tendus du 20ème siècle, à savoir la Guerre Froide entre les États-Unis et l’URSS.
Un long-métrage écrit par Ethan et Joel Coen et porté, devant la caméra, par Tom Hanks, que Spielberg retrouve plus de 10 ans après Le Terminal.
Et que peut donner une association aussi prestigieuse ? Un grand film forcément cela va de soi. Car même si il est difficile de se faire une idée au sujet d’un long-métrage uniquement par le biais des personnes impliquées, certains noms, synonymes d’excellence, engagent néanmoins à une solide confiance. Quoi qu’il en soit, Le Pont des Espions ne pouvait pas être mauvais. Spielberg, comme les frères Coen ou Tom Hanks, n’ont d’ailleurs jamais vraiment fauté, individuellement parlant…
Cela dit, il était tout aussi légitime de se demander qu’allait donner le mélange des styles. On sait combien le jeu de Tom Hanks et la réalisation de Spielberg se nourrissent l’un l’autre. Les deux hommes se connaissent, se respectent et savent parfaitement travailler de concert pour servir au mieux les récits qu’ils ont eu l’occasion de porter à l’écran. Les Coen par contre, sont surtout connus pour leur drôlerie décalée, entre autres qualités et spécificités, même si ils ont aussi largement donné dans le cinéma « sérieux ». Que pouvaient-il amener à une histoire vraie, plutôt dramatique de surcroît ? La réponse coule de source : précisément ce pour quoi ils sont populaires. Leur style, si il ne transite pas véritablement via le personnage de Tom Hanks, se lit par contre dans les seconds rôles principaux. Par petites touches, ils insufflent un comique discret mais bel et bien présent. Remarquablement dosé, il permet d’alléger le récit, mais pas trop non plus. Et si il ne fallait citer qu’un personnage vraiment caractéristique de la prose des Coen, ce serait sans aucun doute possible, celui de l’espion russe remarquablement campé par un Mark Rylance parfait. Au fil de réparties ciselées, les frangins imposent leur style et contribuent aussi à fluidifier une histoire plutôt complexe, rendant au final les tenants et les aboutissants de cette grande négociation aux potentielles conséquences dramatiques pour l’équilibre du monde, limpides au possible.
Steven Spielberg, de son côté, peut laisser libre court à son talent. Armé d’un solide script et pouvant se reposer sur un acteur en qui il peut placer toute sa confiance, il insuffle au Pont des Espions plusieurs de ses thématiques fétiches. Il s’approprie l’histoire de James Donovan, cet homme pris en étau en pleine Guerre Froide et, une nouvelle fois, raconte l’histoire de son pays à travers les yeux d’un homme. Un type seul, simple, honnête et courageux. Un homme qui se tient débout, comme cela est d’ailleurs souligné à un moment clé du film.
On peut voir en ce James Donovan la même essence que chez plusieurs héros du cinéma de Spielberg. Il est fait du même bois. Il est de ceux qui ne font pas de vagues mais qui, confrontés à des situations extraordinaires, trouvent toujours moyen de se battre sans y sacrifier leur humanité. Hier en plein Débarquement, ou dans l’enfer de l’Allemagne Nazie et aujourd’hui dans un monde marqué par la rupture violente entre l’Amérique et la Russie.
Le cinéaste parvient toujours à rendre simples les choses les plus compliquées. Il ne se sent par ailleurs jamais obligé de fourguer une ou deux scènes d’action ou encore de faire dans le sensationnalisme pour attirer le chaland. Son Pont des Espions repose d’ailleurs en majeure partie sur des joutes oratoires, dont l’intensité atteint bien souvent des sommets. Sur bien des points, il s’agit d’un film de procès sans tribunal. Du parcours d’un avocat dont les armes résident dans les mots et dans la croyance en l’âme humaine. Sans manichéisme, Spielberg touche à nouveau au but car il croit en ses personnages. Il leur rend hommage sans forcer le trait et sans faire appel à des procédés opportunistes comme tant d’autres de ses contemporains. C’est pour cela que Le Pont des Espions est passionnant et c’est aussi pour cela qu’à la fin, la char de poule se pointe sans prévenir.
Et Tom Hanks ? Comme d’habitude, il est irréprochable. Loin d’être lisse ou de se reposer sur des automatismes attendus, il s’approprie son rôle sans y faire de l’ombre. Il se fond dans ce James Donovan et embrasse sa cause au point de s’effacer derrière lui, tout en lui offrant toute la force de son expérience et de son charisme. Seule véritable star du casting, il n’écrase pas non plus ses collègues, même si au fond, il est quand même omniprésent. À nouveau, sa collaboration avec Spielberg sonne comme une évidence.
Alors bien sûr, sans John Williams à la musique, la partition qui accompagne apparaît un poil trop discrète (la dernière fois que Williams n’a pas accompagné Spielberg, c’était sur La Couleur Pourpre en 1985, alors forcément, on s’habitue). Mais le récit appelle aussi une certaine sobriété donc au fond, ce n’est pas très grave, et il serait un peu injuste de blâmer le courageux Thomas Newman qui s’acquitte de sa tâche avec une certaine prestance non négligeable.
On passera aussi sur cette mise en place un peu longue. Spielberg sait ce qu’il fait et tient à prendre son temps pour bien poser les enjeux. Du coup, le corps de l’histoire, celui qui est présenté dans la bande-annonce, met du temps à démarrer. Le Pont des Espions ne met pas la charrue avant les bœufs et s’applique en permanence. Un peu comme avec Lincoln, Steven Spielberg construit l’émotion et la pertinence de sa démarche en soignant les fondations. Et de toute façon, sa mise en scène est toujours à tomber à la renverse, tout comme, ne l’oublions pas, la photographie du génial Janusz Kaminski, dont l’une des principales forces est de renforcer l’immersion et de donner du corps et de la profondeur à l’étonnante reconstitution. C’est ça aussi le talent. Savoir s’entourer et fédérer. Si il n’a absolument plus rien à prouver, Spielberg nous offre encore et toujours un très beau moment de cinéma, ancré dans son époque et ses préoccupations douloureuses. Un film clôturant en quelque sorte la jolie valse des espions que 2015 nous a proposée. Tout en majesté, avec un grand soucis de réalisme et une sensibilité à fleur de peau, notamment grâce à ce fameux espoir tenu qui habite le cinéma de ce grand monsieur.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : 20th Century Fox France