Dans la vie d'un bordel malaisien (3/3) - la fille
[ Suite de l'article précédent]
Yumi, une Thaïlandaise de 20 ans, n'est franchement pas très attirante. Petite, plutôt ronde, cheveux courts et la peau sombre, elle a le nez écrasé typique des Cambodgiens, un héritage qui vient du côté de sa mère, qui lui a appris à parler khmer. Elle vient d'un petit village de l'est de la Thaïlande et dès qu'elle m'entend m'adresser à elle en khmer, elle devient surexcitée, comme si elle n'avait pas parlé cette langue depuis des années.
" Ici, c'est pas si terrible. C'est propre, et la plupart des filles sont venues de leur plein gré - je suis déjà passé par des endroits où j'étais la seule à avoir choisi de faire ça, et là, les filles, elles me regardaient comme si j'étais un extraterrestre. 'Comment tu peux vouloir faire ça ?' qu'elles me demandaient. Je ne leur répondais pas. Je ne savais pas trop quoi répondre.
En Thaïlande, je viens de la campagne. Mes parents habitent loin de tout, ce sont des paysans qui n'ont aucune idée de ce que je fais. J'ai 20 ans, j'ai un gosse de 4 ans à charge, et ça fait trois ans que je viens ici trois mois pour gagner de l'argent et retourner vivre avec mes parents et mon fils. Je reste toujours trois mois, pas plus, parce que c'est la durée du visa, et parce que de toute façon, c'est trop dur de faire ça plus longtemps. Le reste du temps, j'aide mes parents et je m'occupe de mon fils, en racontant à tout le monde qu'on gagne très bien sa vie ici, en étant serveuse, grâce aux nombreux touristes qui viennent. Tout le monde croit que je parle parfaitement Anglais, mais je ne sais que baragouiner.
La police vient de temps en temps, mais pas pour nous arrêter. Ce sont des clients comme les autres, ils ont une petite réduction mais ils paient quand même et en échange, ils nous protègent s'il y a des problèmes. Mais c'est rare, et ça n'arrive qu'avec les étrangers. Parfois, on a des gens qui se comportent vraiment mal avec nous. Qui font des choses qu'on a pas envie de faire, ou qui nous forcent un peu. Il n'y a pas une nationalité en particulier ; les connards viennent de partout. Le problème c'est que, sur le moment, à moins qu'ils n'aient vraiment été ignobles, on ne peut pas faire grand chose contre eux, si ce n'est demander aux 'capitaines' [ ndr: les mecs comme Edward] de ne plus les laisser venir. Parfois, les 'capitaines' acceptent. Parfois, non, et on prie pour ne pas avoir une nouvelle fois ce client.
Mais la plupart des clients sont gentils. On ne parle quasiment jamais avec eux, parce que c'est rare d'avoir quelqu'un qui parle notre langue. Si des Thaïlandais viennent, ils vont choisir une fille qui n'est pas Thaïlandaise, forcément, puisqu'ils peuvent avoir ça n'importe quand chez eux. Et pour les autres, bah on parle pas anglais alors ça limite les conversations.
Mais c'est tant mieux. On a pas forcément envie de s'attarder avec nos clients. Plus vite ils finissent, mieux c'est pour nous, parce que ça veut dire qu'on peut avoir d'autres clients plus rapidement, et donc, gagner plus d'argent. Il y en a qui font tout pour durer longtemps et ça nous énerve - parce qu'on a l'impression de ne pas être suffisamment douées, excitantes, belles, et puis, parce que c'est fatiguant, tout simplement.
On ne fait plus trop attention au physique de nos clients. Il y a des hommes qui sont plutôt beaux, ça arrive. Souvent, il y a des jeunes, des adolescents, très timides et très mignons - ce sont nos préférés parce qu'ils sont gentils et respectueux, et qu'ils finissent souvent très vite.
Il y a aussi des hommes politiques. Ils ne viennent jamais ici, c'est nous qui allons à leurs hôtels. Le gouvernement est bizarre ici, mais il est plutôt sympa avec les filles. Il y a parfois des descentes de police, ça arrive, mais c'est toujours parce qu'il y a des affaires de drogue ou des problèmes avec les filles dans ces endroits là. Ici, c'est pas comme ça. C'est plutôt cool.
Si j'amasse suffisamment d'argent, j'aimerais bien avoir un petit hôtel pour accueillir des touristes dans mon village. C'est un très joli coin tu sais, et parfois, on a des Occidentaux qui viennent pour faire des treks, la nature est très belle par là-bas. La forêt me manque, chaque fois que je suis dans une grande ville comme Kuala Lumpur, alors j'espère qu'un jour je n'aurai plus besoin de faire ça, et que les clients qui viendront me voir me paieront pour simplement pouvoir dormir la nuit. "
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Voilà. C'était une tranche de vie d'un bordel malaisien, un instantané sans prétention journalistique, pas follement original, un peu voyeuriste, mais qui, à titre personnel, m'a plus donné à réfléchir que n'importe quelle lecture sur le sujet de la prostitution.